10 mars 2025, 23:59

ZAKK SABBATH

@ Paris (Elysée Montmartre)


Pour vous dire la vérité, j’écris ces lignes depuis ma chambre d’hôtel à Birmingham, trois jours plus tard : j’y suis pour mon pèlerinage habituel dans les traces de ces messieurs qui, il y a près de soixante ans, faisaient leurs débuts en tant que musiciens désœuvrés dans les faubourgs délabrés de la ville, traînant leurs chaussures trouées dans la boue gelée. Mais j’y suis aussi en repérage, pour cette journée logiquement bien plus ensoleillée de juillet, quelques accords de triton résonnant encore dans mon crâne : si cela faisait bien longtemps qu’on n’avait plus eu la chance d’entendre ces morceaux en live, Zakk Wylde nous a permis d’en savourer quelques heureux suppléments, notamment de « Volume 4 » - et surtout à volume 11.

C’est d’ailleurs avec une certaine consistance que démarrent les hostilités, au son de "Supertzar", drôle de pièce instrumentale et opératique tirée de « Sabotage » qui ouvrait de la sorte la dernière tournée d’époque, "Never Say Die" - et ça, ça pose une ambiance : le public exulte, encore d’un cran lorsque leur guitar-hero favori s’empare de la scène avec l’envergure qui le caractérise, kilt de rigueur et masse de viking tous biceps saillants, devant un backdrop des plus kitsch, vintage et cool possibles. Zakk Wylde est donc bien là, tant pour asperger avec zèle tous ses adeptes de pentatoniques goulues, que pour rendre amoureusement hommage aux Dieux qui nous réunissent tous ce soir - BLACK SABBATH.

Mais au-delà de l’enthousiasme, réel, il y a quelque-chose qui cloche, très rapidement. Même si l’on sait que ZAKK SABBATH tente de coller au plus près de l’esprit des originaux, avec toutefois cette patte Wylde encore plus gluante, forcément très présente / envahissante / encombrante (selon le degré de sensibilité des puristes), on connaît tellement tout ce patrimoine par cœur, tant cristallisé dans notre ADN, que certains passages nous font crisser les dents. Oui, on connaît chaque note, chaque bend de Gibson SG de Father Iommi, chaque roulement de tom de Ward - mais ici, nombre de ces subtilités et détails qui font le sel de SABBATH sont hélas gommés. Et j’ai envie de vous dire : blâmez le batteur. Car aujourd’hui, c’est un ZAKK SABBATH au rabais auquel nous assistons. Un band par dépit : ZAKK SABBATH c’est normalement Blasko, ex-bassiste de Rob Zombie mais surtout d’Ozzy en solo, et le monstrueux Joey Castillo. Et il y a encore pas mal de monde dans l’assistance qui pense avoir ces derniers sous les yeux - sorry, il n’en est rien. Le ZAKK SABBATH du soir, c’est les trois-quarts de BLACK LABEL SOCIETY. Un bon groupe en soi, évidemment, mais qui n’a pas appris à apprivoiser le répertoire requis. Si John DeServio, dit JD, bassiste miniature, maigrelet et poilu de BLS, s’en sort pas trop mal avec son jeu volubile qui le voit tricoter d’épaisses notes rondes et articulées à la façon de son modèle moustachu, il peine à les entrelacer sur le jeu très générique et sans finesse de Jeff Fabb, qui n’est donc PAS Joey Castillo. Ce dernier, bûcheron trapu et musculeux au pedigree si impressionnant, avait quand même été le seul batteur capable de succéder à Dave Grohl au sein des QUEENS OF THE STONE AGE à la divine époque de « Songs From The Deaf » / « Lullabies To Paralyze » / « Era Vulgaris ». Le mec savait cogner, avec une robustesse rare, tout en étant précis, avec de la profondeur dans le beat. École Bonham donc - et Grohl par conséquent. Mais là on est pas loin de la catastrophe : aucune puissance, aucun pattern vraiment restitué avec amour, et surtout aucun swing, là où la batterie originelle de Bill Ward venait du jazz pur. Pire, certains passages sont même sensiblement ralentis de manière à ce qu’il puisse tenter de placer ses fills approximatifs, mais rien n’y fait : tu nous fous une rythmique bancale, et tout s’en ressent - surtout lorsque tu as déjà en tête l’exactitude du travail parfaitement exécuté. Et aussi simple la musique de BLACK SABBATH puisse-t-elle paraître, tout est censé se tenir en un tout d’une cohérence et d’une efficacité rares. Remplacez l’une des données de l’équation par un ingrédient plus faible, et toute la formule s’écroule.

Passée cette (longue) observation qui se confirmera toutefois, hélas, pendant tout le set, forcément arrive-t-on néanmoins par être happé par la puissance évocatrice de ce patrimoine, et de ses riffs aux vertus transcendantales. Malgré un son bien trop moyen, ZAKK SABBATH a toutefois parfaitement dosé sa set-list, rodée, entre hymnes incontournables et morceaux plus confidentiels parfois peu ou jamais joués par la formation originale - et qui reste strictement circonscrite aux quatre premiers albums de SABBATH, entre 1970 et 1972. Mention particulière à « Volume 4 » qui occupe donc une grosse partie du début du set avec l’enchaînement "Supernaut" et "Snowblind" (où les « cocaaaaaiiiine » hystériques d’antan sont cependant remplacés par des « oh yeeeeeaaaah » inoffensifs - révisionnisme, signé des temps ?), puis aussitôt "Under The Sun" et "Tomorrow’s Dream" - et qui augurent peut-être le futur enregistrement de ce quatrième classique. Le reste n’est donc qu’un pot-pourri (comme on disait du temps du music-hall) des trois premiers - avec des petits bonheurs aléatoires comme "Wicked World" et "Lord Of This World". Mais parmi les moments forts, citons cette interprétation forcément méga heavy du monstre "Into The Void", dont les riffs ont définitivement bâti plus de cinquante ans de heavy metal, au point d’en être devenu une définition - et qui a forcément excité tous les convives, jubilant sous cet écrasement noir. Et c’est au bout du plus méconnu mais jouissif "Behind The Wall Of Sleep" que JD a pu tenter faire montre de ses talents en reproduisant à sa sauce le solo de basse de Geezer Butler qui précède l’intro, fédératrice et gorgée de wah-wah, de "N.I.B.", classique suprême repris à gorge déployée par tout l’Elysée Montmartre.

Enfin, l’autre point d’orgue n’est-il pas le colossal "War Pigs", tant attendu et précédé de sa sirène anti-aérienne ? Cantique parmi les cantiques, l’interaction entre le chanteur et le public reste systématiquement un grand moment - d’ailleurs, lorsque l’on en entonne avec enthousiasme chaque vers, on se prend en retour le cruel réalisme de ses paroles, la situation du monde n’ayant guère évolué depuis des décennies - que dis-je : depuis des siècles. Mais Zakk, qui se met à la fois dans la peau de son mentor en haranguant ses disciples et en restituant le phrasé nasillard des paroles, n’oublie pas pour autant de faire son Wylde : il étire la dernière partie de ce classique en proposant un solo interminable qui le voit traverser toute la salle, pour se retrouver longuement au centre de la fosse et prolonger encore et encore son déluge de notes qui n’ont plus rien à voir avec celles, plus sobres, de son modèle gaucher. Reste que malgré cette surenchère bavarde (ou généreuse, c’est selon !) qui le caractérise tant, il provoque la fascination absolue de tous ceux qui se massent pour l’entourer, et qui n’ont plus rien à faire de ce qu’il peut se passer sur scène alors que la moitié de BLACK LABEL SOCIETY s’escrime à faire traîner la rythmique.

Pas de "Iron Man", pas de "Paranoid" - et c’est tant mieux : un concert de ZAKK SABBATH n’a pas l’obligation de s’achever forcément comme ceux de son modèle. Mais cela n’empêche pas le héros du jour de profiter de ces dernières acclamations en bombant le torse et en le frappant comme un gorille, après avoir abandonné sa guitare dans un long larsen. Si l’immense excitation entretenue depuis des semaines a été douchée par ces faits qui s’avèrent bien plus pénibles que de simples détails, la passion contagieuse de Zakk Wylde, sa générosité, sa présence et la seule existence de ces morceaux joués à fort volume ont toutefois permis de passer une très bonne soirée - mais pas si folle que dans nos fantasmes.


Photos © Benjamin Delacoux - Portfolio

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