
De retour d’une tournée européenne, c’est posée dans le canapé de son appartement, lunettes fumées sur les yeux, que Janine Shilstone, la moitié du duo VUKOVI, nous accorde un échange des plus intimistes au sujet du nouvel album du groupe, « My God Has Got a Gun ».
Pour ma première question, j’avais prévu de te parler de l’artwork de l’album, mais je remarque derrière toi un grand tableau similaire, est-ce que c’est aussi une de tes peintures ?
Janine : Oh oui ! En fait j’en ai même plusieurs ici, tu veux que je te montre ?
Carrément !
Voilà le tableau qui sert de pochette à l’album par exemple.
Génial ! On peut interpréter le rond noir devant comme une bouche béante, ou peut-être une blessure par balles ?
A ton avis ?
Et bien je vais couper la poire en deux, j’y vois une blessure par balle par un tir dans la bouche, comme pour un suicide.
C’est super, il y a autant d’interprétations que de gens à qui je pose la question et j’adore ça.
Toutes les œuvres que tu viens de me montrer semblent traiter d’un même sujet, ce personnage féminin aux cheveux sombres, non ?
Effectivement, ce personnage c’est Sno, et elle est là pour te protéger des mauvais esprits. Je l’ai développée au cours de ma thérapie, mais aussi lors de mes performances musicales, elle est là pour me rappeler que je n’ai pas à être en état de survie en permanence.
J’ai remarqué que vous accordez beaucoup d’importance à votre apparence scénique, pour prolonger l’art musical vers l’art visuel sur scène. Est-ce que vous envisagez un concert de VUKOVI au milieu de tes œuvres par exemple, comme une expérience globale ?
J’adorerais totalement ça ! J’ai toujours voulu organiser une exposition, mais je n’étais pas dans le bon état d’esprit pour aller au bout de cette idée. Je pense que j’ai une crainte par rapport à ça et puis je n’ai aucune idée de comment ça marche, même si j’aimerais vendre certaines de mes œuvres, il faut que je creuse tout ça. Quoi qu'il en soit, ça a été génial d’avoir des retours sur mes peintures. Je ne les ai pas peintes spécifiquement pour l’album, je les ai réalisées dans le cadre de ma thérapie, mais au final nous nous sommes dit que nous pourrions les utiliser parce qu’il n’y a rien de plus primal que ça. J’aime l’art de manière générale, et ces peintures reflètent l’évolution de ma santé mentale dans le choix des couleurs par exemple: les plus récentes vont vers des couleurs plus claires. L’art reste subjectif, et mes peintures peuvent parler différemment aux gens.
Le projet VUKOVI a commencé en groupe, mais aujourd’hui, vous êtes un duo avec Hamish Reilly. Dirais-tu que cela a apporté une plus grande efficacité dans votre processus créatif ?
Je pense que cela nous permet avant tout d’exprimer librement qui nous sommes. Parfois, être trop nombreux ne mène à rien. J’aime comment le travail en duo rend l’approche plus compacte, sachant que nous jouons chacun de plusieurs choses, et que cela simplifie clairement le processus. Hamish joue de la basse et de la guitare sur l’album, il a aussi fait certains synthés, moi aussi, et nous avons travaillé avec les producteurs Machine et Clinton Bradley.
L’album a été écrit au Machine Shop Studio, au Texas, vous vous êtes déracinés du folklore écossais non ?
Totalement ! Tu prends deux êtres humains habitués à un temps très froid et sombre, et tu les téléportes dans un environnement diamétralement opposé en leur demandant de créer un album. Je pense que ce que nous voulions pour cet album, c’était sortir de notre zone de confort et essayer de composer quelque chose de nouveau. Cette expérience a été incroyable !
"Il y a beaucoup de gens qui se reconnaissent dans mes textes, et ce n’est pas forcément quelque chose de négatif, mais plutôt une manière de se sentir “vu”, compris, entendu."

Je note une forte évolution de votre son également. A vos débuts, on était clairement dans un registre pop-punk alors que cet album apporte beaucoup de sons électroniques, modernes, mais aussi des riffs très agressifs, c’était recherché ?
Je pense qu’il y a un cliché qui dit qu’il faut beaucoup de temps à un groupe pour faire évoluer sa musique. Nous, nous n’avons pas une vision stratégique de notre musique. Nous venons d’Ecosse, de la classe ouvrière, et quand nous avons commencé dans ce groupe nous n’avions aucune idée de ce que nous faisions. Au départ, tu ne peux compter que sur tes capacités du moment, exploiter les forces de ta musique et la faire évoluer en même temps que toi en tant que personne. Je pense que l’évolution de notre musique reflète notre propre expérience et ce que nous apprenons. Nous avons écouté tellement de musique, vu tellement de films et lu tellement de livres que nous nous en nourrissons et oui je pense qu’il y a clairement une évolution entre nos albums. Pour être honnête, je pense même que nous cherchons encore à évoluer, à découvrir qui nous sommes.
J’ai aussi eu le ressenti que les morceaux de cet album ont été calibrés pour être redoutables en live, est-ce que je me trompe ?
Oh c’est totalement ça ! Quand nous avons discuté avec Machine, il y a avait des riffs très agressifs, et il nous a dit “je ne sais pas si vous en avez vraiment besoin pour ce passage”. Et nous, on lui a dit que si, parce que c’était un passage que nous voulions explosif pour le live. Nous nous épanouissons en live et oui, nous avons besoin que nos morceaux soient taillés pour ça.
Avant de rentrer dans le détail de certains morceaux, je voudrais évoquer le fait que de manière générale, ils sont tous très accrocheurs, mais en même temps les paroles peuvent être très fortes pour l’auditeur, tu as vraiment puisé dans des ressentis personnels pour les écrire ?
Oui. Au moment où j’ai écrit les paroles de l’album, j’étais dans une période très sombre, en thérapie et sans pouvoir aller jusqu’à dire que je ne ressens plus aujourd’hui ce que je raconte dans l’album, je dirais que ça reflète une période où j’étais vraiment dans un sale état mental. J’ai écrit comme pour un journal intime, afin d’exprimer mes sentiments. Il y a beaucoup de gens qui se reconnaissent dans mes textes, et ce n’est pas forcément quelque chose de négatif, mais plutôt une manière de se sentir “vu”, compris, entendu. Même si au départ c’est difficile pour moi de dévoiler des éléments aussi personnels, au final, je me sens aussi entendue.
"Cet album est plein de colère et de tristesse, mais tout le monde traverse ça, et il n’y a pas de honte à avoir, ce n’est pas de la faiblesse, bien au contraire !"
Tu penses que vous jouez un rôle de modèle pour des gens qui luttent contre leur mal être ou des addictions ?
Pas intentionnellement, mais je vois que le groupe prend de l’ampleur et que des gens dépensent beaucoup d’argent pour venir à nos concerts, c’est parfois terrifiant, mais aujourd’hui je m’autorise à me montrer vulnérable, je n’ai pas honte de qui je suis parce que je sens beaucoup d’acceptation de la part des fans. Je suis sûre qu’Hamish partage cet avis, nous avons une belle communauté autour de nous, et nous reprenons le pouvoir grâce à notre musique. Cet album est plein de colère et de tristesse, mais tout le monde traverse ça, et il n’y a pas de honte à avoir, ce n’est pas de la faiblesse, bien au contraire !
Je trouve que l’album est bien dosé entre des paroles profondes et un ton léger voire irrévérencieux, je pense à un côté Harley Quinn dans le fait d’embrasser le chaos avec le sourire...
C’est marrant que tu me dises ça parce que c’est un commentaire qui revient effectivement ! Cette notion d’addiction au chaos, je ne peux pas dire que je sois encore dedans aujourd’hui, mais c’est quelque chose que j’ai vécu par le passé. Je ne sais pas comment qualifier ces mécanismes, peut-être que c’est de l’auto-sabotage... Peut-être aussi qu’il y a un lien avec le fait d’être dans un groupe, d’être sans arrêt sur la route et de ne pas vivre une vie "normale". Tu peux vite devenir accro aux montées d’adrénaline, quand tu montes sur scène devant des milliers de personnes venues juste pour te voir, ça te submerge, et quand tu redescends, que tu te retrouves à faire tes courses au supermarché du coin, tu te dis "WTF, c’est ça ma vie ?". Tu voudrais rester perchée là-haut tout le temps, et ce n’est pas tenable, donc la vie c’est un peu ça, être Harley Quinn qui cherche à trouver l’équilibre entre le chaos et le bien-être.
J’aime beaucoup le morceau "Misty Ecstasy" pour son côté très rentre dedans, il est aussi sexy et accrocheur, peux-tu m’en parler ?
Tu sais, d’être allée en thérapie et après avoir eu longtemps une relation étrange au sexe, je suis arrivée au point où quand tu rencontres quelqu’un en qui tu as confiance tu as une vision plus saine du sexe. Cette chanson est fun, comme le sexe doit être fun, et cette personne se soucie suffisamment de mon plaisir, et tout le monde mérite ça. Je dirais qu’il y a aussi une fracture entre les hommes et les femmes et il y a aussi des hommes qui ont peur aujourd’hui de s’exprimer et des femmes qui ont peur des hommes, et je trouve super de trouver un terrain d’entente où les premiers n’ont pas peur de tenter leur chance, et les secondes se sentent assez en confiance pour affirmer leur désir envers quelqu’un. C’est un morceau plein d’espoir, et j’espère que ça aidera certains à surmonter les blocages pour avoir envie de bon sexe, au-delà de tout genre. D’ailleurs, vu que nous rentrons de tournée, je peux te dire que l’une des meilleures choses avec ce morceau c’est d’avoir vu des gars costauds et tatoués chanter à tue-tête “fuck me like a siren” avec les filles. Elle met tout le monde d’accord !
C’était comment le concert à Paris d’ailleurs ?
Oh c’était super ! On était sur un bateau, Petit bain, et quand le circle-pit a démarré, ça s’est mis à tanguer, c’était tellement rock'n'roll ! Cette soirée était sauvage ! Le jour et la nuit par rapport à notre dernier passage à Paris.
"Aller dans différents pays et découvrir différentes cultures tout en créant de nouvelles connexions, tout cela m’ouvre les yeux sur de nouvelles idées."
J’aimerais te parler de mon morceau préféré de l’album, c’est celui qui le clôture, "Sno". C’est donc le personnage que tu as peint et dont tu me parlais tout à l’heure. Le morceau a une bascule très intéressante, il est intense et nous laisse soufflés à la fin. Comment l’avez-vous conçu ?
Et bien au départ, nous pensions même faire de ce titre un single mais Sharptone Records n’était pas fan de cette idée. Ce n’est pas un morceau "typique" de VUKOVI, mais je pense que c’est une ode à tout ce que nous sommes capables de faire en termes d’écriture et même si c’est quelque chose de différent pour nous, il intègre tous nos éléments distinctifs. C’est un titre difficile, sombre, très triste, mais encore une fois c’est très intéressant de voir comment les gens réagissent à ce morceau en live.
Pour terminer sur une note d’humour, Gwen Stefani de NO DOUBT est connue pour avoir écrit ses plus beaux textes quand elle était malheureuse. Maintenant que tu vas mieux, et je te souhaite que ça dure, comment vas-tu faire pour les prochains albums ? (rires)
Haha !, et bien sache que je suis tellement mieux maintenant dans ma vie, et je suis en fait bien plus capable de séparer l’ombre et la lumière. Je suis sûre que j’arriverai à trouver de nouvelles choses à raconter. Je kiffe ma vie actuellement, et d’aller en tournée et rencontrer de nouvelles personnes m’offre des sources d’inspiration. Aller dans différents pays et découvrir différentes cultures tout en créant de nouvelles connexions, tout cela m’ouvre les yeux sur de nouvelles idées.
