28 mars 2025, 12:30

ARCH ENEMY

Interview Michael Amott


Alors qu’ARCH ENEMY fête cette année ses 30 ans de carrière, le plus grand groupe underground s’apprête à sortir « Blood Dynasty », son puissant 13e album. A cette occasion, nous nous sommes entretenus en janvier dernier avec Michael Amott, fondateur et guitariste de la formation, pour en parler et dévoiler quelques-uns de ses secrets.
 

« Blood Dynasty » sort dans deux mois à l’heure où l’on se parle. Comment te sens-tu, avant sa sortie ?
Michael : Oh, eh bien, ça sort enfin ! En fait, ça fait presque exactement un an depuis le jour où l’on a commencé à l’enregistrer en Suède. Je me souviens qu’on était partis là-bas en janvier l’année dernière, et il faisait si froid ! -20°C quand nous sommes arrivés ! C’est dans ces conditions que tout a commencé. Et c’est donc formidable d’avoir un album qui sort bientôt ! Tu sais, on a déjà sorti trois singles, mais il en reste encore. Mais de pouvoir sortir l’album et le mettre entre les mains et les oreilles des fans dans son intégralité, c’est l'aboutissement.

J'ai beaucoup aimé l’album, avec cette impression qu’après avoir expérimenté pour voir jusqu’où vous pouviez pousser le son d’ARCH ENEMY sur « Deceivers », vous l’avez appliqué sur celui-ci et y avez donné toute votre énergie. Était-ce l’idée générale quand vous l’avez commencé ?
Merci beaucoup ! Eh bien, on commence toujours avec des riffs et des mélodies, puis, lentement, j’en rassemble beaucoup, et on construit des chansons ensemble plus tard, Daniel (Erlandsson, batteur du groupe, ndlr) et moi, puis viennent l'étape des démos et celle des répétitions. Tu sais, c’est un processus un peu long et lent, quelque part. L’album a vraiment démarré quand nous avons commencé à enregistrer la batterie de l’album précédent, « Deceivers », en septembre 2020, je crois. Et depuis, il y a eu beaucoup de moments où je trouvais de nouveaux riffs, de nouvelles idées de chansons et de nouvelles inspirations. Donc, je pense que chaque album est une accumulation de choses qui se sont produites… et de beaucoup d’idées aussi. C’est difficile de cerner du doigt exactement quand on a commencé. Il n'y a pas eu de date précise, en nous disant : "démarrons l'écriture d'un album aujourd‘hui". On l’a assemblé, pièce par pièce, de manière très graduelle.

Après avoir travaillé à distance pour « Deceivers », est-ce que vous avez pu davantage vous retrouver en face à face cette fois-ci ?
Oui, exactement ! Sans aucune restriction.

Cela vous a-t-il permis d’apporter chacun plus d’idées pour l’écriture que précédemment ?
Oui, c’est plus facile de faire les choses en personne. Et quand, par exemple, Joey (Concepcion, l’autre guitariste du quintet, ndlr) jouait ses solos, il était assis juste là, devant moi. Donc je réagissais en direct, en disant « oh, ce truc sonne bien, faisons la même chose à la fin du morceau, mais plutôt dans cette tonalité ». On pouvait avoir ces fulgurances sur le moment. Ce genre de chose se passe très vite. On peut être plus flexibles et plus rapides.

J’appécie beaucoup le fait que, dans votre musique, derrière le son death metal, il y a toujours l’esprit du heavy metal classique dans votre jeu, comme sur "Pendulum" ou "Paper Tiger". Et j’ai trouvé que c’était plus présent que jamais sur cet album. Est-ce que l’idée sous-jacente était de rendre hommage aussi à la dynastie du metal à travers « Blood Dynasty » ?
C’est génial que tu aies cette impression. C’est toujours l’idée. J’ai toujours été très fier de faire partie de la lignée du metal, d’une certaine manière, et qu’ARCH ENEMY soit une des branches quelque part, parmi toutes les autres. Tu sais, j’ai énormément de respect pour les racines du heavy metal, du hard rock, du heavy rock et du blues rock d’où tout a découlé. Donc j’ai toujours été un peu un archéologue musical. Je m’intéresse toujours à l'origine des choses. Quand j’aime un album, je me demande pourquoi j’aime ça, qui a joué dessus et ce qui a inspiré ses musiciens. Je me demande toujours par qui le guitariste a été influencé, et je creuse. J’ai toujours procédé ainsi, et j’ai toujours trouvé ça très intéressant. Donc on rend énormément d’hommages aux gens qui nous ont précédés. Et on essaie aussi doucement de créer quelque chose de nouveau à partir de ces ingrédients. Tu sais, je ne suis pas super fan des groupes qui jouent du 100% traditionnel. Il y a de nouveaux groupes qui restent collés à 100% à la tradition - je trouve ça sympa mais cela a déjà été fait - donc ça semble se répéter un peu, quelque part. Mais si c’est bon, c’est bon. Je ne vais pas taper sur tous ces groupes, j’en apprécie certains mais, parfois, je me demande s’ils sont vraiment satisfaits eux-mêmes de le faire. Je suis peut-être quelqu’un de trop créatif pour ça. Je dois toujours évoluer, même en tant qu'individu. Je change sans cesse. Je veux apporter ma propre griffe à la musique, laisser ma propre marque.

En parlant d’archéologie, vous m’avez fait découvrir le groupe BLASPHEME avec votre reprise (NdlR : on te pardonne, Valentin) ! Alors même que je suis français !
Je ne te blâme pas, tu es sûrement beaucoup trop jeune (rire). Et c’était un album très underground, non ? J’ai toujours été intéressé par ces groupes obscurs du monde entier. Pas seulement de France, mais aussi de toute l’Europe, et à l’est, même au Japon. Partout, vraiment. Je suis intéressé par ces groupes, parce que j’ai écouté tellement d’albums, et j’ai passé tellement de temps à écouter les gros noms, les plus connus qu’on aime tous… Mais il y a toute une couche de groupes en-dessous de ça, et encore en-dessous il y a davantage de groupes, et certains d’entre eux sont vraiment bons, mais ne sont jamais devenus célèbres. J’aime beaucoup de groupes de metal français comme H-BOMB et SORTILEGE. Et je pense que BLASPHEME est l’un d’entre eux. C’est quelque chose de différent. On a fait beaucoup de reprises par le passé, mais c’est la première fois qu’on en inclut une dans la tracklist principale d’un album. Et c’est parce qu’on était si satisfaits du résultat qu’on a pensé que ça ajoutait quelque chose, et que ça changeait l’album de manière positive, en lui donnant une autre dimension. Donc on s’est dit "pourquoi pas ? Essayons".

Ce morceau m’a aussi donné l’impression qu’il y avait vraiment une face A et une face B à l’album, comme sur un vinyle.
Oui, c’est comme ça que l’on réfléchit quand on détermine l’ordre des chansons, et je pense que c’est plus facile de créer une dynamique en réfléchissant ainsi. Je trouve que ce morceau donne à la face B une dimension très différente de la première.

Un de mes morceaux préférés de l’album est certainement "March Of The Miscreants". Je l’ai ressenti un peu comme un hymne de musiciens qui essairaient de percer. Comment gardez-vous cet esprit underground, alors que vous remplissez de grandes salles dans le monde entier ?
Oui, c’est dingue ! Je n’imaginais vraiment pas qu’on remplirait des arènes, mais c’est arrivé comme ça et je ne sais pas comment. On a oeuvré à peu près toujours dans le même genre musical et depuis longtemps. Lentement mais sûrement, c’est devenu de plus en plus gros. Et comme on adore jouer, qu'on adore créer et qu'on adore tourner… donc j’essaie de préserver cela. Quand j’écris ma propre musique maintenant, j’essaie de me souvenir de quand je prenais le bus pour aller en ville acheter un album, de quand je rentrais pour l’écouter chez moi, et de cette excitation en découvrant une nouvelle sortie de metal. Ou bien de me souvenir quand j’allais voir des concerts, et même quand j'ai commencé à jouer dans des groupes. La scène metal était extrêmement confidentielle, à l’époque. Et plus extrême. Il n’y avait pas grand monde qui s’y intéressait, et les gens en général nous regardaient de haut, pour être honnête. Ils ne pensaient pas qu’il y avait quoi que ce soit de valable dans ces batteries bruyantes, ces guitares accordées plus bas et ce chant hurlé. Les gens en riaient ! Même au coeur de la communauté, des musiciens de metal en riaient. Mais maintenant, cela a beaucoup changé, ce qui est bien. Je pense que j’ai écrit ce morceau en mémoire de cette époque, et pour les jeunes groupes de maintenant, je suppose. Pour tous ces gens qui ont l’esprit metal.


​J’ai aussi beaucoup aimé "Don’t Look Down". Parce qu’elle est très heavy bien sûr, mais aussi parce que je pense que son message sur la résilience me semble important. Et je trouve que ça s’applique pas mal à vous, avec une partie des fans qui vous demandent de revenir à un son "à l’ancienne" d’un côté, et votre succès qui s’envole de plus en plus haut à chaque sortie. Peux-tu me parler de cette chanson et de ta perception de cette pression extérieure ?
Eh bien, musicalement, je me suis très impliqué dans ce morceau, mais pour les paroles, il s’agit en fait d’une des chansons d’Alissa. Mais pour te parler de la pression extérieure, je pense qu’il faut juste suivre son cœur, et ce qui te semble bon en tant que musicien ou qu’artiste. Cela devient très douteux quand tu es un poète, et que tu écris un poème en te disant : "j’espère que les gens aimeront celui-là". Je ne pense pas que ce soit correct. Cela devrait être une pure expression de soi, venant de ton cœur, et il faut l’exposer au monde, pour que les gens y réagissent ensuite. Je n’aime pas vraiment être calculateur dans la musique. Parfois, une de nos chansons a beaucoup de succès. Il y a de nombreuses années, on a écrit "Nemesis" et elle est toujours l'une des plus populaires de notre répertoire, alors qu’elle fête ses 20 ans cette année, je crois. Mais je ne peux pas écrire une autre "Nemesis". C’est impossible. Comme je le disais, je n’aime pas me répéter, mais je n’aime pas calculer comme ça non plus, ni penser à la musique comme une façon de proposer un produit. Je réalise, bien sûr, que ça devient un produit quand on le donne au label, et que ça devient cette chose que les gens peuvent acheter ou écouter, et que tu fais en sorte que les gens aient hâte que ça sorte. Là, tout de suite, je suis en train de faire du marketing, je travaille pour ça, pour ARCH ENEMY. Mais c’est avant que je dissocie les notions. Quand on écrit vraiment, et qu’on crée, c’est pour nous avant tout, et il faut que ça nous plaise. Ensuite, on espère toujours que les gens vont l’aimer, mais après seulement. Et par expérience, si ça nous plaît, et que ça nous semble bon, souvent les gens aiement. Mais si on n’est pas sûrs de quelque chose, et qu'on n'est pas à l’aise avec, alors on se remet au travail jusqu’à ce que ce soit le cas.

Oui, ça reste votre art avant d’être un produit...
Oui, en tout cas je l’espère (rire). Maintenant, l’industrie de la musique est de toute façon un peu morte (rire) !

Autant faire les choses à votre manière, alors !
Exactement, à 100% (rire) !

Quelle chanson de l’album correspondrait le mieux à ton humeur aujourd’hui ?
J’ai passé une mauvaise journée, même si je n’en ai pas l’air. Parfois, tu vois juste un tas d’e-mails, et tu détestes un peu tout le monde (rire). Donc peut-être quelque chose comme "Dreamstealer", aujourd’hui (rire).


2025 marque les 30 ans de ARCH ENEMY. Comment placerais-tu « Blood Dynasty » au coeur de votre discographie ?
Eh bien, nous allons officiellement le célébrer en 2026, l’année prochaine, car 1996 était l’année de la sortie du premier album. Là, nous sommes occupés à promouvoir « Blood Dynasty » cette année, mais c’est assez difficile de le situer. C’est plutôt aux fans de le faire. Pour moi, c’est juste un nouveau recueil de chansons qu’on a faites et l’album après « Deceivers ». C’est difficile d’avoir ce recul sur soi-même. Ce sera plus facile dans quelques années, quand il sera là depuis un moment, mais pour l'instant, c’est ce que nous avons fait de plus récent. C’est pour cette raison que beaucoup de musiciens disent souvent qu’ils pensent sincèrement que leur nouvel album est le meilleur qu’ils aient jamais fait. Je n’irai cependant pas si loin, parce qu’on a écrit beaucoup de grands morceaux au fil des années, et on en a fait d’autres qui ne sont pas si géniaux, à mon avis. C’est assez hétéroclite.

D'accord... donc, comment placerais-tu « Deceivers » ?
Bien rebondi (rire) ! Eh bien j’ai trouvé que c’était un album intéressant. Il a été créé pendant une période difficile pour tout le monde. On devait prendre une année de repos, je me souviens, puis c’est devenu deux ans pour le monde entier. C’était une période étrange et très difficile, et on ne pouvait pas faire l’album de la même manière que d’habitude. Nous avons dû accepter beaucoup de compromis avec cet album, d’une certaine manière, mais il y avait aussi de nouvelles possibilités intéressantes qui se sont présentées. Donc « Deceivers » est un album que je trouve particulier pour cette raison, parce qu’il a été créé pendant un moment spécial. La manière de l’enregistrer était très mémorable, avec les restrictions et tout ce qui se passait dans le monde. Et je pense aussi que c’est pour ça qu'on y trouve des moments très mélodiques sur l’album, presque doux. Je ne sais pas si on refera quelque chose d’aussi doux un jour. Assurément, « Blood Dynasty » est plus dur et plus agressif.

Vous allez jouer à Paris dans quelques mois avec ELUVEITIE, GATECREEPER et AMORPHIS, et c’est votre troisième Zénith de Paris en trois tournées, vous devez connaître la salle par cœur maintenant ! Qu’attends-tu de ce concert ?
Les concerts à Paris, et en France en général, sont très particuliers pour nous. Nous avons un lien privilégié avec les fans français. Peut-être que tous les groupes le disent, mais je me souviens que sur la tournée de l’album « War Eternal », on avait joué tellement de concerts ! Je crois qu’on avait donné peut-être 25 concerts en France, avec énormément de villes de province ! Et je crois que c’est à ce moment-là qu’on a créé ce lien. J’aimerais jouer dans ces villes à nouveau, mais maintenant que nous nous produisons dans de plus grandes salles, les choses ont un peu changé. Mais j’ai hâte de jouer au Zénith, on y donne toujours de super concerts, et on passe d'incroyables moments. J’aime cette salle, et, oui, je la connais très bien maintenant (rire) !
 

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