Souvenez-vous, c’était en mai 2024, les Australiens TERAMAZE sortait « Eli: A Wonderful Fall From Grace », l’un de nos coups de cœur de l’an dernier. Et comme ce groupe est pris depuis toujours d’une boulimie de travail incessante, il ne nous aura pas fallu attendre plus de quelques mois pour qu’il nous livre son successeur, « The Harmony Machine ». Le risque avec un groupe aussi prolifique serait qu’il devienne répétitif et ainsi qu’une certaine lassitude s’installe. Que l’on se rassure, il n’en est rien sur cet album.
D’album il s’agit bien ici comme l’a précisé l'auteur, compositeur, guitariste et chanteur, Dean Wells, et non d’EP, ainsi qu’a pu l’affirmer une plateforme de streaming bien connue qui avait regroupé sous ce nom cinq morceaux, comprenant nouveautés et singles déjà parus. En clair, si vous consommez la musique en streaming, la totalité de l’album moins un titre est déjà disponible. Aucune surprise à l’horizon pour vous. Mais, si vous avez décidé, à juste titre, de « résister encore et toujours à l’envahisseur » (les lecteurs d’une célèbre BD mettant en scène un petit Gaulois moustachu apprécieront sûrement la référence), et de ne pas céder à cette fièvre du consumérisme outrancier qui nous inonde les oreilles 24 heures sur 24 au risque de se noyer dans la masse et de ne rien écouter qu’un infini brouhaha, vous aurez le plaisir de la vraie découverte. Inutile de blâmer TERAMAZE ou tout autre groupe, c’est le mode de fonctionnement actuel de l’industrie musicale qui est en cause, forçant les artistes à occuper le terrain en permanence. Au risque que l’on connaisse quasiment tout le contenu de l’album avant sa sortie, d’où une impression d’écouter une compilation. Par conséquent, pour s’en prémunir, rien ne vaut le silence et la patience.
Ainsi, lorsque vous lancerez la lecture, vos oreilles seront neuves et prêtes à recueillir les sons qui sortiront des enceintes, et votre appréciation personnelle n’aura pas été encore polluée par ce matraquage ininterrompu. « The Harmony Machine » comporte neuf morceaux, donc, et selon les dires du groupe, il est le premier volume d’un double album, dont la deuxième partie sera publiée plus tard en cours d’année, et dont les thèmes se recoupent, à savoir, l’influence bien souvent néfaste et de plus en plus envahissante que joue la technologie sur la vie humaine. On reconnait d’emblée la patte de TERAMAZE, cette aptitude incroyable à proposer des mélodies mémorables et des refrains irrésistibles, en poussant parfois vers le côté le plus pop de sa musique ("Gloom", "Perfect World" et son petit cri d’intro (« Ahou » ?) façon Mickaël Jackson sous amphèt’), tout en conservant une approche résolument progressive ("The Harmony Machine") à tendance rock/metal ("Bullet To A Pharaoh", "Like A Cyborg", "Ending Of All"), aux accents parfois djent ("Sinister"), tout en restant ultra groovy ("Black Sound"). Le changement majeur par rapport à « Eli » concerne la durée des morceaux, cette fois bien plus concis et directs, ne dépassant que rarement les 6 minutes, hormis la chanson éponyme qui flirte avec les 9 minutes. Le rythme général est aussi plus trépident, alors que nous étions précédemment sur des mid-tempo. Cela donne un dynamisme bienvenu à cet album, qui ne souffre ainsi d’aucun temps mort.
Si l’influence de DREAM THEATER se fait parfois sentir, on est tout de même en présence d’un metal progressif plus moderne et percutant, avec une accroche directe qui capte l’attention dès la première écoute. Les passages rappés de "Like A Cyborg" et "Sinister" nous prouvent que le groupe a les pieds bien ancrés dans le présent et n’hésite pas à faire fi des barrières et mêler les genres. Ainsi le rap de "Like A Cyborg" est on ne peut plus parlant : « We are lost in a system / Medicating our children / Now our screens are religion / As they implant the visions / Of a world that's connected through AI / Wires and screws / Become machines with no feelings / No longer hungry for truth / That's the way that they wanted it / It's design to perfection / If we don't fight they've won / And we've never learned from this lesson / It's happened before, buried mud under the floor, memories lost in the horde, don't open the door, follow the narrative or be hated by everyone this is the fall. » (« Nous sommes perdus dans un système / Qui soigne nos enfants / Maintenant nos écrans sont des religions / Alors qu'ils implantent les visions / D'un monde connecté par l'IA / Des fils et des vis / Devenus des machines sans sentiments / N'ayant plus faim de vérité / C'est ainsi qu'ils l'ont voulu / C'est conçu à la perfection / Si nous ne nous battons pas, ils ont gagné / Et nous n'avons jamais appris de cette leçon / C'est déjà arrivé auparavant , la boue enfouie sous le sol, les souvenirs perdus dans la horde, ne pas ouvrir la porte, suivre la narration ou être détesté par tout le monde, c'est la chute. »)
Ce n’est pas une dystopie, c’est la réalité. Dean Wells est toujours entouré de la même équipe : Chris Zoupa à la guitare, Andrew Cameron à la basse, Nick Ross à la batterie et bien évidemment, l’atout majeur du groupe, l’excellent Nathan Peachey derrière le micro. Ici, les claviers et orchestrations reculent un peu au profit des guitares qui se taillent la part du lion, pour un retour à un son plus brut. Les riffs et soli s’enchaînent avec fluidité, la section rythmique ne donne jamais dans la facilité, mais la complexité ne prend jamais le pas sur la mélodicité. Et le traitement des voix assure la liaison parfaite avec la musique. Outre la sublime voix de Nathan Peachey, Dean Wells donne également de sa personne et les harmonies vocales entre les deux chanteurs donnent corps à l’ensemble. Certains refrains sont complètement craquants et contagieux, de ceux qui s’inscrivent durablement dans la mémoire (énorme coup de cœur pour "Black Sound", mais aussi "Like A Cyborg", "Ending Of All" et "Sinister"). Seul "Desire Colours N Lust" nous semble un poil en-dessous à cause de certaines lignes de chant qui donnent une impression de déjà entendu auparavant.
« The Harmony Machine » se referme avec son titre éponyme, un morceau épique et entraînant doté d’un magnifique solo de guitare. Ce premier chapitre hautement réjouissant nous conforte dans la conviction que TERAMAZE est un groupe à suivre assidûment tant la qualité est toujours au rendez-vous. Si sa musique est immédiatement accessible et mémorisable, elle n’en est pas simpliste pour autant. Bien au contraire, elle recèle de multiples trésors à découvrir tout au long du chemin. Seul point noir : si vous souhaitez voir le groupe en concert, il vous faudra revendre tout ce que vous possédez (ce que possède votre famille, vos amis, vos voisins aussi, et même vos ennemis, ce ne sera pas de trop !) pour vous payer un séjour en Australie, vu que la bande à Dean Wells qui a depuis 2020 fait le choix de l’autoproduction ne se produit qu’à la maison, faute de moyens suffisants pour parcourir le monde. Fort heureusement, il nous reste les albums, à consommer sans modération, jusqu’au second volet prévu cette année et que nous attendrons de pied ferme.