
« Children of Eve », onzième album de NIGHTFALL est tout simplement massif. Avec ses atmosphères théâtrales, ses rythmes lourds et son concept prenant, il révèle toute l’inspiration de l’esprit tourmenté mais diaboliquement créatif de son leader, Efthimis Karadimas. C’est avec une gentillesse et une intelligence extrêmes qu’il nous révèle tous les secrets de cet album marquant.
Quel est ton état d'esprit, Efhtimis, en cette sortie d'album ?
Très bon. Je suis vraiment impatient. Après des années à être resté un groupe de studio, j’ai décidé, avec les autres membres, que NIGHTFALL allait redevenir un groupe live à part entière. On a du coup eu besoin de tout l’environnement compatible nécessaire à la création d’une musique qui va dans ce sens. Donc les nouvelles compos sont faites pour être à 100% présentées en live, dans des shows massifs. Et on a vraiment senti toute cette énergie en studio, c’est incroyable.
La production est énorme aussi et« Children of Eve » très lourd.
Oui, on a choisi un des meilleurs producteurs, Jacob Hansen, qu’un ami m’avait conseillé mais que je ne connaissais pas bien. Je trouvais l’idée sympa, même si je ne savais pas ce que ça donnerait avec NIGHTFALL. J’ai décidé d’essayer de travailler avec lui. J’ai construit les titres avec des refrains énormes sur lesquels je savais que Jacob Hansen pouvait y apporter sa patte. Ça a été une très bonne décision et on est très content d’avoir coopéré avec lui. Il est fantastique, en tant que producteur mais en temps qu’individu aussi. Il a vraiment compris l’esprit NIGHTFALL et il est très amical, en plus. C’est quelqu‘un de très fiable et il sait communiquer avec les gens, ce qui est important dans la conception d’un album. Il est très ouvert d’esprit, possède les connaissances et sait te comprendre. C’était une très bonne expérience avec lui. La production musicale est un travail très compliqué : tu as beau avoir de très bons musiciens, si tu n’as pas autour de toi des personnes de qualité qui accompagnent la production de l’album, cela ne peut pas fonctionner. Et je suis ravi que tout au long des années de NIGHTFALL, j’ai été très bien entouré.
A t'entendre, tu es d'un enthousiasme !
Oh oui, si je m’écoutais, je ferais des bonds partout !
C’est sympa, parce que tu n’apparais pas comme quelqu'un de très "joyeux" en général !
Oh, merci. Mais cette excitation, c'est parce qu'il est grand temps pour nous de revenir sur le devant de la scène avec NIGHTFALL. Cela fait trop longtemps que nous n'avons pas fait de la scène et été actifs, alors on est survolté. C’est le meilleur album qui soit pour un tel retour à la scène.
Mais les précédents étaient très bien aussi…
Oui et je te remercie, mais « Children of Eve » est différent. Les compositions antérieures avaient une superposition de couches, une approche différente. Les albums précédents étaient plus conçus pour t’y perdre, chez toi, tranquillement installé, avec un concept dans les textes. Plus spirituels, peut-être. Celui-ci va droit au but, comme un coup de poing dans la figure à base de black et de death. Il y a quand même du sens dans nos paroles puisqu’il traite de la dépression, qui est toujours en nous bien sûr. « Children of Eve » est juste bien plus puissant.
Est-ce que la dépression, puisque tu en parles, te stimule dans la création ou au contraire représente-t-elle un obstacle pour toi ?
Je suis assez âgé maintenant pour savoir la gérer et me retirer quand je ne vais pas bien. Je dors plus, je m’isole. J’ai appris à vaincre ces situations. Et parfois, grâce à la création, cela me stimule même à revenir plus fort. La dépression me permet parfois de rentrer dans des détails que je n’aurais pas vus en temps normal. En fin de compte, mon combat contre la dépression m’a beaucoup aidé à trouver des buts pertinents dans la vie. C’est le message que je voudrais faire passer aux jeunes générations à propos de ces désordres mentaux : ne soyez pas effrayés, sortez, parlez-en, partagez, ne vous souciez pas de ce que les gens disent de vous. La société est très dure vis à vis de ceux qui ne semblent pas normaux. Mais ce combat m’aide à sortir du lit tous les matins pour soutenir les gens comme moi. J’ai d’ailleurs fondé une association, la MMAD (Metal Music Against Depression) de laquelle je vais bientôt parler. Quand tu t’investis dans quelque chose, cela t’aide à surmonter tes difficultés. Je suis de toute façon un grand fan de travail collectif. Je pense qu’ensemble, on peut faire de grandes choses. J’aime la notion d’unité, d’égalité entre les gens. D’autant plus que la théocratie, la religion, deviennent à mon sens très prégnantes, notamment au Moyen-Orient, en Europe de l’Est, aux Etats-Unis. Les gens ont besoin de se sentir unis, pas divisés et pourtant tout cela affecte notre vie de tous les jours. Le radicalisme est une plaie, quelle que soit la religion. Il faut oublier la suprématie et penser en termes d’individus. Il ne faut plus se fier à un dogme mais réfléchir en tant qu’espèce humaine. Il est difficile de lutter contre les doctrines religieuses, mais il me semble que le moment de l’unité est venu. Mais de quoi parlait-on déjà ? (rires)
Eh bien, nous essayons de faire la promotion de l’album « Children of Eve »… mais tout cela en fait partie, en plus du son lourd et de ses atmosphères monstrueuses. Il est puissant et épique, ce qui correspond peut-être à cette colère contre la société et la religion que tu as en toi ?
En fait, ce n’est pas de la colère contre la foi que j’ai. Je ne veux pas être mal compris. La foi est précieuse, c’est sacré et personnel et je respecte tout ce en quoi les gens peuvent croire. C’est important de le signifier. Mais je suis très contre la religion organisée qui devient un réseau de pensées qui suppriment le libre-arbitre et finalement l’être humain. Le côté épique de « Children of Eve », et de la chanson "I Hate" en particulier, correspond au moment où l’être humain se rend compte qu’on l’a trompé, qu’on lui a insufflé de grandes idées, de grands dieux, de grandes théories pour remplacer son propre sang qui coulait en lui, sa propre pensée.
Tu parles du titre "I Hate". Pourquoi l’avoir choisi en tant que premier morceau de l’album et premier single extrait ?
Eh bien, car sa signification est directe. Elle va droit au but. Elle donne le ton à l’auditeur et lui apporte un indice annonciateur du reste de l’album. Il est très représentatif et je pense qu'il fonctionne très bien ! Et tu verras en live ce que ça donne. Explosif !
Est-ce que tu as déjà des concerts de prévus, en France notamment ?
Comme cela fait presque 15 ans que l’on n’a pas tourné, on a un peu perdu le marché live. Mais dès que l’album sera vraiment lancé, j’espère qu’on pourra s'engager dans une vaste tournée après l’été. C’est un nouveau départ. J’espère vraiment venir en France car sans le soutien français, nous ne serions pas là. Tout a commencé au début des années 90 avec un label français (Holy Records NdR), nous sommes toujours sur un label français (Season of Mist), nos meilleurs trucs ont été enregistrés sur des labels français donc comme vous ne pouvez pas tous venir ici, nous allons venir jouer chez vous !
A quel genre de public t’attends-tu pour vos prochains shows ? Des vieux fans, comme moi, ou de petits jeunes enthousiasmés par votre nouvel album également ?
J’aimerais bien avoir un public qui mêlent toutes les générations. La nouvelle génération est importante pour l'avenir de NIGHTFALL. C’est à vous, médias, d’ouvrir notre monde aux jeunes. On compte beaucoup sur vous. On a l’impression qu’ils n’écoutent que des albums de groupes de leur génération, mais je sais que ce n’est pas vrai. Ils se passent aussi de vieux albums qui offrent encore des choses intéressantes. Je crois qu’on est sur la bonne voie. De toute façon, si cet album a du succès, ce sera grâce à une action collective. Tu sais, tout le monde qui gravite autour d’un album est important. Ce n’est pas simplement moi, ou les autres membres du groupe, c’est tout le monde et l’enthousiasme autour de lui. Je suis très content que vous tous fassiez partie de cette communauté.
Mais tu en es un bon leader tout de même…
Euh… L'avenir le dira !
Il y a une chanson très mélodique et fédératrice sur l’album qui m’a marquée : "With Outlandish Desire To Disobey". Elle est très heavy, très épique, avec des voix féminines. Cela donne une atmosphère plus lumineuse. Est-ce une espèce de point culminant de l’album, à tes yeux ?
Elle est en effet plus gothique, un peu dans la lignée de ce que l’on faisait à la fin des années 90, sur "Diva Futura" par exemple. Un clip accompagne cette chanson. C’est une chanson typique de NIGHTFALL. Une sorte de pont entre le vieux NIGHTFALL et le nouveau. La construction est très NIGHTFALL. D’ailleurs, est-ce que tu as compris que les titres présents sur l’album composent une phrase ? Et que cette phrase est le concept des paroles de l’album ? « I hate the cannibal lurking inside my head seeking revenge for the expelled ones, the traders of anathema with outlandish desire to disobey the Makhaira of the deceiver, Christian Svengali ». Ce sont les dix titres qui composent une phrase conceptuelle. Un être humain qui devient ultra violent car il a été trompé toute sa vie par la religion, la société. Il se retrouve dans une position difficile à se battre juste parce que quelqu’un lui a dit de le faire. Et qui est ce quelqu’un ? Le svengali chrétien.
Passionnant !
Je parle de la chrétienté, car la société dans laquelle j’ai grandi est chrétienne, mais la même chose pourrait s’appliquer à toutes les religions c'est cert.
On est tous des enfants d’Eve. Est-ce que ce titre implique qu’on est tous des descendants de pêcheurs et assumer de fait vivre une vie douloureuse ?
Eh bien c’est quelque chose qui affecte plutôt les femmes. La foi chrétienne dit que c’est à cause d’Eve et de son erreur qu’elle a été rejetée du paradis. Depuis lors, elle est vouée à la douleur dès qu’elle donnera la vie. Je trouve cela cruel, rien que d’y penser. C’est oppressant, offusquant. Ce concept de péché originel, comme une punition collective d’une espèce humaine à cause de l’erreur d’une Mère. Pour ma part, je ne vois pas cela comme une erreur, mais comme un acte de rébellion. Si nous devons souffrir à cause de cet acte de rébellion, eh bien battons-nous en retour. « Children of Eve » célèbre aussi la nature féminine, Mère Nature.
Si on parle un peu de scène, est-ce que tu sais déjà comment seront élaborés vos concerts ?
J’ai vraiment envie de rendre nos shows très visuels et d’essayer d’en faire une espèce de mini-pièce de théâtre, donc on va essayer de s’entourer de beaux effets lumineux, de visuels. On ne sait pas encore exactement ce qu’on va mettre en place. J’ai une idée claire de ce que je veux, mais on doit être flexibles pour s’adapter aux différentes scènes. On veut se donner au maximum en termes de visuel. Mais soyez sûrs que ce sera quelque chose de spécial. Car cet album est spécial. « At Night We Prey » était un bon album, mais il ne repoussait pas nos limites en termes de musique. C’était simplement un bon album typique de NIGHTFALL. « Children of Eve » va plus loin, il a l’expérimentation qui devrait lui donner son succès. Il est puissant grâce à Jacob Hansen, comme je le disais auparavant.
Tu complimentes beaucoup les gens autour de toi et c’est tout à ton honneur, mais tout cela est bien grâce à toi aussi. Tu peux être fier de ce que tu as accompli.
Merci, mais j’aime bien me tenir en dehors des projecteurs. J’aime orchestrer les choses, laisser les gens agir et quand le travail est fini et que l’accueil est chaleureux, j’ai besoin de faire un pas de côté, prendre un verre et apprécier en silence le succès. Je suis comme ça. J’aime bien ce que je fais, mais je ne veux pas les gratifications. Si tu n’as pas cette capacité de détachement, tu risques de perdre ton inspiration. C’est très dangereux. Soyez prudents : si vous avez du succès, ayez une vie équilibrée pour que cela dure le plus possible. Le mieux, c’est de capitaliser le succès avec encore plus d’expérimentation. J’aime écouter la musique créée après un album à succès. Je trouve que c’est là que tu saisis le mieux le caractère d’un artiste. S’il plie devant la demande du public ou s’il se rebelle et qu’il dit « ok, vous avez aimé ça. C’est bien. Maintenant je vais vous offrir quelque chose de plus décalé, de plus dérangeant ». On a besoin de sortir de notre routine pour rester des Artistes avec un grand A. Il faut explorer, inspirer les gens, les inciter à choisir leur destin et les gens avec qui ils sont. C’est déterminant.
