10 mai 2025, 14:15

SLEEP TOKEN

"Even In Arcadia"

Album : Even In Arcadia

Je me revois en cette soirée de mars 2020 face à la Seine illuminée par les dernières activités humaines de la capitale avant que le confinement ne soit instauré. Je m’étais arrêté net sur le quai, non pas à cause du contexte dramatique et oppressant de l’époque, mais parce que l’album que je me passais en boucle depuis des mois m’avait révélé un détail que je n’avais jamais entendu auparavant.

Il y avait quelque chose d’obsessionnel dans ce disque, “Sundowning”, qui relevait de l’incompréhensible, de l’inattendu, la porte ouverte sur une autre dimension par ce groupe énigmatique nommé SLEEP TOKEN.
Cette sensation était née l’année précédente, d’abord par l’écoute de singles annonciateurs de ce premier album, puis par une date dans la salle parisienne des Etoiles devant un public de 80 personnes d’où pas grand monde n’était sorti intact.
SLEEP TOKEN a déclenché à cet instant une sensation qui ne s’est quasiment jamais produite chez moi, celle d’aller remuer profondément des vibrations contradictoires de plaisir et de gêne, provoquées par des assemblages de contraires, bien au-delà des fusions soi-disant audacieuses apposant un genre sur un autre.
Rendre les choses moins évidentes que les codes établis, avec un droit d’entrée (l’effort et la réflexion), pour une musique qui se mérite.
Et ensuite, cette satisfaction incroyable de se sentir entrer en communion avec un artiste et un groupe, dont la démarche est de s’être affranchis depuis le premier jour des barrières.

Que les choses soient bien claires - s’il était besoin de me justifier - je ne renie rien de tout ce que j’ai adoré musicalement, y compris les expressions les plus basiques et primaires en accords, en décibels et que je n’oppose pas. Et je ne valide pas non plus tout ce que SLEEP TOKEN propose. 

Non, je le remercie d’avoir ouvert cette brèche qui permet d’entrevoir l’avenir de la musique avec plus de sérénité, parce qu’il existe des créateurs aventureux comme Vessel. Depuis le premier jour où il a pensé son concept, son écriture, sa démarche d’anonymat, son destin était tracé, ascension fulgurante à la clé. D’une intelligence supérieure, avec un soupçon d’opportunisme aussi : le mystère, le cryptique et la mise en scène théâtrale ont toujours été des atouts marketing. Ce n’est pas Tobias Forge qui le contredira.

Cinq ans ont passé durant lesquels, assez désabusés sous le poids de notre lourd héritage de sectarisme franchouillard, nous sommes une poignée à avoir regardé le monde entier porter d’album en album SLEEP TOKEN au statut de star. Et à chaque fois, vu d’ici, on aura quand même essayé d’initier celles et ceux qui acceptaient l’invitation à la découverte. 

On en arrive à ce 9 mai 2025, jour du verdict.
Plus j’avance dans l’écoute répétitive de “Even In Arcadia”, plus s’éloigne l’idée que je me faisais de cette chronique quand sont parus les singles “Emergence”, “Caramel” et “Damocles”.
Je réalise juste qu’il est parfois impossible de transcrire des impressions avec ce groupe une fois les pièces du puzzle assemblées. Ou de donner un avis qui se veut parole de référence. C’est une prise de conscience qui est apparue il y a déjà plusieurs années : la perception d’un album de SLEEP TOKEN est un voyage qui se fait d’abord seul.
Je pourrais vous dire que je trouve le titre “Even In Arcadia” absolument déchirant, avec l’apparition inédite d’un violoncelle ou la voix de Vessel portée jusqu’au cri désespéré.
Que “Damocles” est, à mon goût, un formidable single si 3 secondes de transition ne me gâchaient pas systématiquement le plaisir de l’écoute.
Ou combien "Look To Windward”, “Gethsemane” et “Infinite Baths” possèdent ces paliers de progression, ces envolées paroxysmiques et ces retours à l’apaisement qui les inscrivent dans les grandes compositions de SLEEP TOKEN.
Qu’il peut y avoir du reggaeton, des rythmiques électroniques ou du saxophone dans un même morceau que de gros blasts aussi… et que ce n’est pas une hérésie.
Que la production sur la voix est un bijou de nuances, mais que je m’interroge sur l’absence de choeurs à part entière, donc sur le rôle que joueront nos chères Espera sur scène ou les arrangements dont elles bénéficieront.
Et une fois que je vous aurai dit ça, vous ne ressentirez pas la même chose, parce que moi-même, demain, je laisserai sa chance à un titre que je trouvais moins fort (“Provider”) ou que le mood du jour me fera tripper sur “Past Self” ou fondre sur “Caramel” (j’avoue, celle-là, était facile). Pris dans un piège circulaire, car le thème de "Infinite Baths" qui achève "Even In Arcadia" revient sur celui du début de "Look To Windward" : une boucle sans fin et, peut-être, un autre message caché de Vessel…

Comme le groupe, “Even In Arcadia” fait partie d’un tout narratif et musical. C’est flagrant par le nombre de citations mélodiques et textuelles, reprises d’albums antérieurs saupoudrées dans ces 10 compositions.
Ce qui donne lieu à des envies d’allers-retours pour réécouter les productions précédentes et, peut-être, les découvrir sous un autre jour. 

Au moment où je finis ces lignes, je regarde les premiers commentaires qui animent les réseaux et confortent l’impression que je vous confiais :
il y a ceux qui rejettent,
ceux qui adorent,
ceux qui ont adoré (avant) et sont déçus,
ceux qui découvrent et se prennent une claque,
ceux qui n’ont pas écouté et qui détestent (les meilleurs),
ceux qui… 

Je vous l’avais dit : pour que le plaisir ne soit pas gâché, écouter un album de SLEEP TOKEN, c’est un voyage qui se fait d’abord seul.

 

Blogger : Christian Lamet
Au sujet de l'auteur
Christian Lamet
Christian Lamet est réalisateur, journaliste et producteur pour la télévision et le multimédia...entre autre. Fondateur en 1985 du magazine HARD FORCE, il en a été le rédacteur en chef durant ses quinze années de parution en kiosques. Depuis, l'aventure HARD FORCE a repris en 2008 sur le web, devenant ainsi le plus ancien média metal en France toujours en activité encore mené par son fondateur. Christian est également producteur et réalisateur de l'émission METALXS et créateur du media digital HEAVY1 en partenariat avec LIVE NATION FRANCE.
Ses autres publications

2 commentaires

User
MARJORIE Ribiere
le 17 mai 2025 à 10:12
Je partage totalement votre avis ...les 3 morceaux sortis m ont fait peur quand à la teneur de ce 4 ème album...Caramel m a choqué le reaggeton c est non ...emergence est magnifique mais le final à stoppé net le coït auditif( 1 minute inutile pour mes oreilles)
Damocles jolie mais sans plus....puis vient le jour de l écoute le vendredi 9 ....link to windward commence à me plaire avec ses petits violons...past self c est un grand non il y a toujours un ou 2 morceaux par albums qui je zappe.
Genthesame provider s écoutent avec plaisir mais seulement après quelques écoutes.. infinite baths juste le titre je savais que ça allait claquer..Bref comme vous le dites Sleep Token est un voyage à faire seul. Et ce qui et génial avec ce groupe ce que leurs albums s écoutent en boucle sans être écœuré. Leur DA est dingue. Et vje vous envie de les avoir vu à l époque sur une scène si petite.merci pour ce bel article
User
Christian Lamet
le 17 mai 2025 à 13:44
Merci pour ce commentaire !
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