15 mai 2025, 23:59

AMENRA + TREHA SEKTORI + DIVIDE AND DISSOLVE

@ Paris (Élysée Montmartre)

La première partie de la soirée est assurée par DIVIDE AND DISSOLVE qui semble être une découverte pour l'ensemble de la salle. Venu d'Australie, le groupe de doom instrumental fondé par Takiaya Reed et Sylvie Nehill propose des morceaux inspirés par les génocides, les questions d'appropriation culturelle et de déracinement des populations. Accompagnée d'une nouvelle batteuse, Takiaya Reed joue ce soir le premier concert de sa tournée européenne. Le titre d'ouverture, "Monolithic", envoûte la salle grâce à la boucle mélodique de la clarinette suivie d'un duo entre la guitare et la batterie, sombre et lent à souhait.

La frontwoman prend alors la parole pour présenter son projet et rappeler, après un "Free Palestine" acclamé par le public, que plusieurs génocides sont actuellement en cours, notamment au Soudan et au Congo. Étant elle-même d'origine noire et cherokee, les questions d'affrontements entre les populations la concernent de près. Une fois ces quelques éléments en tête, le public comprend mieux comment appréhender le son produit par les deux musiciennes. La lourdeur et la noirceur qui le caractérisent ne sont que le reflet des horreurs produites par l'humain. Après quelques chansons au rythme lent, le dernier, "Far From Ideal", a l'effet d'une bombe caféinée et sort le public de sa torpeur par un rythme bien plus rapide que les précédents. Après des applaudissements mérités, le groupe quitte la scène.


TREHA SEKTORI s'installe ensuite. Une table de mixage, des instruments multiples et quelques crânes d'animaux et fleurs séchées plus tard, le soliste français Vincent Petitjean (de son nom de scène, Dehn Sora), se place derrière la table et entame son set pendant que des images cauchemardesques défilent derrière lui. Têtes de cadavres, chevaux décharnés, cérémonie occulte sur un rivage montagneux, corps reliés par de longs cheveux raides, le tout dans un noir et blanc légèrement verdâtre pour nous montrer que le dark ambient proposé se nourrit d'un imaginaire terrifiant et lugubre tout droit sorti de l'enfer.

Très visuel, le projet fait également appel aux expérimentations sonores et éléments inhabituels : un archet frotté sur les cordes de la guitare électrique et des halètements gutturaux passés en boucle plus tard, l'atmosphère s'installe, lourde et glauque comme un rituel satanique poisseux. Bien que les morceaux soient difficilement identifiables, il semble que la majorité d'entre eux soit issue du dernier album de TREHA SEKTORI, « Rejet », dont le portant orné de crânes et de fleurs séchées constitue le décor minimaliste présent sur scène. Après quarante minutes de voyage sonore, le soliste salue le public et quitte la scène sous les applaudissements.


Après deux sets marquants par leur noirceur, le public est prêt pour la tête d'affiche belge. Le set d'AMENRA commence avec dix minutes d'avance, de quoi réjouir le public. Au beau milieu d'un nuage de fumée, les membres du groupe s'installent sur scène avec comme dernier arrivé le chanteur Colin H. Van Eeckhout qui tourne le dos au public. Commence alors un rythme lent à la guitare de Lennart Bossu, vite rejoint par la batterie de Bjorn J. Lebon. Un rythme très lent pendant lequel les rares personnes qui parlent encore dans la salle se voient demander de se taire.

La messe a commencé et le rituel doit être respecté. "Silver Needle Golden Nail" ne monte en puissance qu'avec une lenteur extrême. La basse d'Amy Tung Barrysmith ne tarde pas à se joindre à l'ensemble avant que la guitare de Mathieu J. Vandekerckhove ne finalise l'ensemble inquiétant qui gronde. Les musiciens fixent le public, la batterie donne un coup de baguette et le désespoir commence avec le chant qui se situe entre un cri de douleur et un exorcisme. Les cris viennent des tripes, impossible d'en douter. Remplis de désespoir et d'angoisse, ils sont poignants à souhait et le public ne tarde pas à se livrer à des headbangs montrant leur adhésion à la messe noire. Sur la même lancée destructrice, "Salve Matter" commence vite après le premier titre. Les images d'inspiration fantomatique et cauchemardesque, du même noir et blanc légèrement verdâtre qu'on avait vu pendant le set de TREHA SEKTORI, défilent tout au long du set pour une immersion plus complète. Le chant d'Amy Tung Barrysmith résonne alors pendant le passage plus calme du morceau, juste avant que les riffs de guitare ne préparent de nouveau le terrain au chant désespéré de Colin H. Van Eeckhout.

Très calme, la guitare acoustique solo de "Razoreater" ne l'est que pour envoûter davantage le public avant un nouveau moment de force brute dévastatrice. Le chant clair est assuré par la bassiste et par le frontman, la montée en pression s'effectuant, là encore, avec une lenteur et des nuances maîtrisées au maximum.

"Plus Près de Toi" rappelle au public le ton général de la soirée, le chant désespéré reprenant de plus belle avant un nouveau moment de calme. Le set ménage habilement l'alternance entre les moments de force dévastatrice et les temps de calme triste pendant lesquels les instruments jouent lentement, accompagnant Colin H. Van Eeckhout dont les mots sont si doux qu'ils en sont presque inaudibles. Alors que les guitares et la basse jouent à l'unisson, le chant change et crie de nouveau la détresse devant la perte de l'être aimé.
Un rythme cardiaque émerge lentement du silence. Les coups portés par Bjorn J. Lebon sont mesurés et, une fois la basse entrée dans la danse, la transe est complète. Le public écoute les battements de cœur (Sont-ce les siens ? Ceux du frontman ? Ceux de l'ensemble du groupe ?) et plonge plus profondément dans la messe du doom. Issu de l'un des deux EPs récemment sortis du groupe, le morceau "Heden" est déjà adopté par le public dont les cœurs battent au rythme de la batterie.

Une fois la transe partagée, "De Evenmens" est l'occasion d'un moment de communion intense entre le groupe et le public. Colin H. Van Eeckhout alterne les techniques de chant, entre hurlements démoniaques, spoken word et chant clair, avant de surgir d'un immense nuage de fumée pour le dernier temps du morceau. C'est l'un des rares moments où le frontman est tourné vers le public, le reste du concert étant davantage l'occasion pour lui de se livrer à une introspection afin de donner à entendre une voix poignante et torturée.
Inmanquable de la discographie du groupe, "A Solitary Reign" vient ensuite et les headbangs reprennent. La salle ressemble alors à un immense chant de blé noir dont les épis se courbent au rythme de la batterie et se relèvent au son des guitares et de la basse.
"Terziele Am Kreuz" et "Aorte Ritual" sont les derniers morceaux de la soirée. Plus instrumentaux que les précédents, ils amènent une transe moins colérique et ménagent les nuques déjà bien ébranlées par les headbangs effectués tout au long de la soirée. Le chanteur finit pourtant par enlever son t-shirt, poursuivant la mise à nu que représentent les textes hurlés ce soir. Son immense tatouage dorsal est alors visible et la dévotion du public s'en trouve renforcée. La montée en puissance finale propose un dernier moment hors du temps, au rythme des notes répétées de guitares et basse, et de la batterie dont les coups de grosse caisse et caisse claire résonnent de plus en plus fort. On en vient à sentir ses battements de cœur s'aligner avec les coups de baguette. Et alors qu'on pensait que le frontman avait tout donné, les cris reprennent de plus belle, plus forts, plus aigus et plus enragés que ce qu'on avait entendu jusque-là.

On ne sort pas heureux.se d'un concert d'AMENRA, mais on en sort retourné.e et ébranlé.e par une telle force et une telle maîtrise des nuances et du temps qui semble s'écouler différemment. L'expérience est totale, la messe est dite le doom proposé par le groupe en devient sacré. Vive AMENRA, vive le doom.

Photos © Leonor Ananké - Portfolio

Blogger : Ivane Payen
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Ivane Payen
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