
Le 6 juin dernier, les Américains KAONASHI, originaires de Philadelphie (Pennsylvanie) ont sorti leur troisième album “I Want To Go Home” chez Equal Vision Records/Rude Records.
Nous nous sommes entretenus avec Peter Rono, le chanteur polyvalent du trio à la formule si originale de death metal, hardcore et de progressif.
Pour commencer, j’ai beaucoup aimé l’album, mais j’ai lu que vous décriviez étonnament votre musique comme “clivante”. Alors, les premiers retours sont-ils le reflet de ta description ?
Peter Rono : Et bien, ils sont excellents ! C’est vrai que parfois, il peut y avoir des commentaires un peu salés sur les réseaux sociaux, mais rien de méchant du style : “c’est vraiment mauvais” (rires). Les critiques sont unanimement bonnes. Il faut savoir que nous faisons la musique que nous avons envie de composer, mais c’est toujours bon de voir que d’autres personnes y adhèrent.
Ce qui est frappant, c’est que de prime abord, vous donnez l’air de faire de la musique fun, décalée et sans prise de tête. Mais en même temps, on a affaire à des riffs techniques, de la polyrythmie, du placement vocal pointu… elle est volontaire cette dualité ?
C’est vrai que c’est probablement le mélange le plus étrange entre ces deux mondes. Pour ma part, je n’aime pas utiliser des retours in-ears ou être super technique. J’adore chanter des parties très techniques sans aucun outil particulier, et j’aime me produire en prenant ce risque. J’ai appris cela de groupes comme THE DILLINGER ESCAPE PLAN ou FROM THE SECOND STORY WINDOW. Ils jouent des morceaux très compliqués, tout en étant accoudés au bar, ou la tête à l’envers, ou en balançant leurs instruments… c’est comme ça que j’ai appris. Il faut qu’il y ait du fun dans tout cela et que je ne reste pas simplement là, debout, en me disant : “wow, je fais ça si bien !”. Ce qui m’intéresse, ce sont les émotions que les gens ressentent.
Ta voix est particulièrement intéressante, car tu alternes chant clair et saturé, mais tu as aussi ce côté théâtral dans ce que tu interprètes. Comment abordes-tu cet aspect ?
C’est vrai ! Je ne veux pas me cantonner à une approche. Je veux faire absolument tout et que ce soit totalement à ma manière. C’est quelque chose qui m’est inspiré par Travis Ryan de CATTLE DECAPITATION, un de mes chanteurs préférés. Il chante, il crie, et il a cette sorte de voix de gobelin entre les deux. Il arrive à crier tout en tenant des notes précises… Donc, oui, j’adore ces musiciens qui sont capables de chanter dans tous les registres, et j’essaie de me l'appliquer aussi.
Tu es très polyvalent effectivement, ça sert totalement le propos !
Merci ! J’essaie de me trouver, et je pense que je commence à y parvenir.

Le projet existe depuis 2012, et Pao, le batteur, est arrivé en 2016. Est-ce que tu dirais qu’être un trio rend les choses plus efficaces ?
Clairement, même si je dirais qu’écrire nos morceaux a toujours été un processus fluide. Je dirais même que nous pourrions écrire de la musique à longueur de journée, mais j’essaie de toujours garder l’objectif de sortir un morceau d’un niveau exceptionnel. Pour tout te dire, je préfère ne même pas être en studio avec Pao et Alex, notre guitariste, quand ils composent les morceaux. Je leur dis : “Vous deux, composez-moi vos meilleurs morceaux de metal technique, et appelez-moi quand c’est fait”. Je ne suis ni guitariste, ni batteur, et ils sont si bons artistes que je ne vais pas leur apprendre comment écrire mieux qu’ils ne le font déjà. Et donc, quand le morceau les satisfait pleinement, alors seulement j’arrive et je fais mon truc. J’aime écouter le produit fini et venir ajouter ma part dessus. Niveau écriture, cela me vient très naturellement, juste en écoutant le morceau encore et encore, fraction par fraction, en l’envisageant selon différentes perspectives. J’adore écouter beaucoup de musique avant d’écrire, et je me dis : “je me sens dans l’ambiance de BAYSIDE ou dans l’ambiance de THE ACACIA STRAIN”. Je peux même regarder un film en plein milieu de l’écriture d’un morceau. Je tire énormément d’inspiration de ces différentes sources et les intègre aux morceaux.
J’ai cru comprendre que vous avez aussi regroupé certaines idées pendant que vous étiez en tournée. C’était une nouveauté pour vous ?
Oui, en fait nous avons fait toute la pré-production de l’album, puis nous sommes partis sur la route, ce qui fait que j’avais tous les morceaux qui occupaient une partie de mon esprit, tout en ayant beaucoup de temps pour y penser. Je pense que ça a aidé parce que j’écris les morceaux tellement vite que, cette fois, la tournée m’a donné plus de temps pour y repenser et revoir certaines idées différemment.
Les morceaux sont-ils conçus en ayant cette idée de les jouer live par la suite ?
Oui, c’est quelque chose que je garde en tête à chaque fois que j’écris. Ça et faire plaisir au public. Je ne veux pas me retrouver avec un morceau injouable en live, tout juste bon à écouter chez soi. Donc j’y pense à chaque fois.
Je pense notamment à “Fairmount Park After Dark” et son rythme chaloupé. Ce morceau va déchaîner les foules…
C’était une idée de Pao au départ mais ensuite, quand nous avons eu la possibilité d’inviter Piantini (Toribio, chant - NdlR) de NEWCOMER en featuring, nous lui avons laissé carte blanche et il a créé un flow et des paroles dont nous n’aurions même pas pu rêver !
Pour évoquer les paroles et le chant, j’hésite entre “metal mental breakdown” et “hystericore”, qu’en penses-tu ?
J’adore ! En réalité, c’est difficile à définir parce que j’ai tellement de sources d’inspiration différentes, y compris dans les genres musicaux comme le metalcore, le hardcore, le death… Mes textes viennent des expériences de mon entourage ou, lorsqu'il s'agit de ma propre vie, plutôt de mon passé. Je parle de ce que qu’Alex, Pao ou moi avons traversé. Parfois, je vais carrément être dans la fiction ou bien des gens vont m’avoir raconté des sentiments qu’ils ont ressentis. Après des années à faire le tour du monde et à rencontrer des gens qui m'ont évoqué leur vécu, je ne peux m’empêcher d’en tenir compte et même de développer des personnages. Par exemple, pour celui de Morgan qui apparaît sur l’EP “The Three Faces of Beauty”, j’ai énormément écrit sur le thème de l’homophobie. Bien que je ne sois pas gay, j’ai eu des conversations avec des jeunes de différents pays qui y ont été confrontés, et je ne peux que le prendre en compte au moment d'écrire.
Le titre de l’album c’est “I Want To Go Home”. En considérant les descriptions chaotiques que tu en fais, est-ce vraiment une bonne idée de rentrer à la maison ?
Je pense que c’est très métaphorique. En 2017, nous avons sorti un EP partagé avec SABELLA, “Never Home”, qui a marqué le début d’une ère pour nous avec notamment l’arrivée de Pao. C’est aussi un titre qui correspond bien au personnage de Taylor, autour duquel tourne “I Want To Go Home” et qui est une personne très vite effrayée de tout, nerveuse. Ce pourrait vraiment être quelque chose qu’elle pourrait dire. Et puis, à force d’avoir rencontré du monde un peu partout, c’est logique de tout ramener avec nous pour en faire cette histoire. Et enfin, c’est assez marrant, après avoir autant tourné, de finalement vouloir rentrer chez soi (rires). La boucle est bouclée !
Tu en parlais, cet album est une continuité dans le récit par rapport aux précédents. Dirais-tu qu’il clôture une histoire et qu’il donne des clefs de compréhension pour une vision d’ensemble de votre musique ?
Oui, et je dirais même qu’il peut faire un excellent point d’entrée pour découvrir notre musique. C’est à la fois la pièce manquante en terme de récit et la meilleure représentation de notre musique. Nous avons pris le temps de faire les choses avec tellement d’implication que je pense que ce sont les meilleurs morceaux que nous ayons écrits. Je le sais même ! Du point de vue narratif, “I Want To Go Home” couvre les années de lycée pour les personnages, alors que l’EP précédent “A Second Chance At Forever” évoquait les années universitaires. “The Three Faces of Beauty” couvrait l’entrée au secondaire et l’EP “Dear Lemon House: You Ruined Me” la fin du secondaire. Tu pourrais donc totalement commencer par notre dernier album et remonter le temps, ce serait correct chronologiquement. Nous avons organisé ces quatre productions comme autant de chapitres correspondant à quatre années d’études, avec quatre personnages principaux.
L’album comporte une trilogie “The Sanguine”, pourquoi ce choix ? C’est votre “Pain Remains” à vous ?
(rires) Ouais !! En fait, nous nous sommes totalement inspirés de COHEED AND CAMBRIA, qui a toujours été une grosse influence pour nous. Il a toujours eu ces fins d’albums incroyables et nous avons voulu faire de même. C'est le cas sur “Dear Lemon…” avec la trilogie des “The Underdog”. Nous voulons que les gens se rendent compte que l’album raconte une histoire, et la trilogie est un chapitre à part entière en son sein.
Le single “When I Say” est excellent, ton chant sonne très emo. Il y a un changement de tonalité à un moment, c’est très intéressant. Peux-tu me parler du clip qui l’accompagne ?
Merci beaucoup ! En fait, c’est très drôle parce que nous avions beaucoup d’idées, de concepts, de quoi donner du contexte au morceau par le biais de cette vidéo, mais je ne voulais rien de tout ça ! Je voulais que la vidéo soit accessible, que tu puisses juste la regarder sans aucun élément de contexte. J’ai grandi avec des clips du même style et je pense que la dimension scénique est prépondérante avec KAONASHI, donc je voulais que ça ressorte dans ce clip. Pour autant, il s’y passe quand même d’autres choses et le clip est pertinent par rapport au thème global, mais nous mettre en avant en tant qu’artistes sur scène, c’était le plus important. Je pense en plus que “When I Say” est un des morceaux les plus accessibles de KAONASHI, et je me dis qu’il était donc temps de montrer qui nous sommes au monde entier pour une très bonne première impression.
L’album comprend aussi un titre avec la participation d’Anthony Green de LS DUNES, “J.A.M.I.E”, comment cela s’est-il monté ?
En fait, ça s’est joué à un coup de fil ! (rires) J’étais en studio, j’avais besoin d’avis ou d’inspiration, je l’ai appelé. Nous nous connaissions des croisières avec COHEED, et je l’ai appelé juste pour parler, sans même penser qu’il pourrait apparaître sur l’album. C’est seulement après avoir raccroché que je me suis dit : “Est-ce que je devrais lui proposer ? Ouais, je devrais lui proposer !”. Je l’ai fait, il a dit oui et j’ai été étonné qu’il soit partant ! Ça s’est fait comme ça. Le morceau était déjà prêt, les paroles étaient écrites, ce n’est pas comme si on l’avait composé en se disant qu’Anthony Green allait apparaître dessus, mais j’étais sûr qu’il ferait des merveilles, et c’est bien le cas !
Vous allez commencer à tourner pour promouvoir l’album ? Passez-vous par la France ?
Cet album, c’est probablement la chose la plus incroyable que j’ai faite ! Demain, je le défendrai en live, et il me tarde ! Nous jouons à Paris ce 15 juillet d’ailleurs. Je n’y suis encore jamais allé, mais il me tarde de découvrir. Je connais HEADBUSSA comme groupe français, parce qu’ils sont venus jouer à Philadelphie, et je connais évidemment GOJIRA ! Je suis donc très impatient de découvrir la France !
