Kaonashi (ou Sans-Visage) est un personnage du Voyage de Chihiro de Miyazaki, dont la spécificité est de pouvoir générer de l’or pour attirer ses proies, qu’il dévore avant de grossir et d’utiliser leurs différentes voix. Quand on écoute « I Want To Go Home » et n’importe quel morceau des Américains KAONASHI, c’est justement la voix protéiforme de Peter Rono qu’on remarque d’emblée. J’ai presque l’image d’un Ruby Rhod, l’animateur déchaîné interprété par Chris Tucker dans Le Cinquième Element, qui me vient à l’esprit. Rono peut allègrement passer d’un aigu strident à du growl bestial, sa voix nous prenant à contre pied dans des placements de haute voltige, au service de paroles riches en punchlines.
Ce côté "débordant" peut faire écho aux instrumentations du trio (parce que oui, ils ne sont que trois derrière cette débauche d’énergie !), qui peuvent donner l’impression d’un groupe qui ne se prend pas au sérieux. Et pourtant, quand on prête l’oreille, on peut là aussi admirer une technicité redoutable, que ce soit au niveau des riffs du guitariste et co-fondateur du groupe Alex Hallquist (très modernes sur "Confusion In a Car Crash" ou rythmiquement complexes sur "Red Sink, Yellow Teeth") ou au niveau du travail ciselé de Pao à la batterie (le passage chaloupé à la limite du reggaeton sur "Fairmount Park After Dark" fera des ravages en live).
Cet album offre un bel aperçu de la richesse d’influences de KAONASHI, là où le single "When I Say" offre un beau chant clair digne de la période emo, alors que "Elephant In The Room (If You Can Keep A Secret)" lorgne plus vers un côté punky voire nu-metal. Comme son titre le laisse présager, "Slower Forms Of Suicide" déroule une ambiance oppressante, comme une bande son de crise d’anxiété, sombrant même sur une sonorité black tragique.
Alors que la voix redevient mélodique sur "Fly On The Wall (An Orange Sidewalk Paved Around Your Feet)", c’est la guitare qui se fait poétique sur "Extra Prayers", alors que l’effet de delay est enrichi d’accords dissonants.
Côté invités, Anthony Green de LS DUNES vient apporter sa voix plus aiguë reconnaissable sur "J.A.M.I.E.", alors que Piantini Toribio de NEWCOMER participe à "Fairmount Park After Dark"".
Les textes de cet album sont comme à l’habitude du groupe empreints d’émotions et de vécu intense, et la quadrilogie "The Sanguine" à la fin de ce travail ne faillit pas à la règle, s’articulant autour de trois chapitres. Le premier, "The Sanguine I: Nevermind, Narcissist" démarre avec un riff plutôt punk, mais bascule ensuite rythmiquement et laisse apparaître un effet de synthé digne des années 80 avec une partie centrale planante et une voix parlée. Le second "The Sanguine II: Misguided Malice" débute avec une ambiance plus sombre, plus agressive, mais là aussi une bascule s’opère vers un univers plus doux au solo onirique. Alors qu’un changement rythmique se produit, la fin de la chanson nous ramène inexorablement vers les ténèbres. La conclusion de l’album, est amenée par "The Sanguine III: Auditorium Annihilation" dont l’énergie semble annoncer une reprise du contrôle avec un son ironiquement plus lumineux que le titre ne le laisse présager, suivi des 6 minutes de "The Sanguine IV: Exit Pt. VII (The Confession of Classroom 2114)".
Si les fans de KAONASHI seront ravis de retrouver l’univers narratif du groupe et d’entendre son album le plus abouti, il y a fort à parier que "I Want To Go Home" amènera de nombreux nouveaux auditeurs au trio américain. Pour nous, ce sera le 15 juillet que nous aurons la chance de l'accueillir pour la première fois en France à Glazart (Paris), pour une mise en pratique sportive.