La dernière journée du BETIZFEST offre un programme varié, qui fonctionne par paire... ou presque. Le hardcore est toujours présent (INSURGENT et SORCERER), le brutal death fait son apparition (EMBRACE YOUR PUNISHMENT et BENIGHTED) comme les musiques doom ou stoner (WITCHORIOUS et MONKEY3). Enfin, ALCEST, aussi envoûtant qu’inclassable, clôture cette odyssée métallique.
La fête commence avec le "Northern Hardcore" d’INSURGENT, qui n’hésite pas à glisser des touches metal et emo dans ses furieuses compositions. Un drapeau palestinien orne un ampli et, d’entrée, l’imposant bassiste harangue une salle clairsemée d’un tonitruant « Bougez-vous le cul ! »... d’une efficacité relative. Si l’on passe outre l’accoutrement de Hugo – le crop top sied-il aux chanteurs de hardcore ? Vous avez trois heures pour répondre à cette question philosophique – le groupe offre une demi-heure carrée. Les morceaux s’enchaînent sans blabla dans une belle débauche d’énergie dans le sillage d’un frontman qui arpente les planches sans relâche. Un son épais, une batterie qui claque, du groove et quelques samples entre les morceaux donnent un concert réussi.

La violence reste nordiste, mais de Valenciennes désormais et en mode brutal death, avec EMBRACE YOUR PUNISHMENT, version française de DYING FETUS, camarade de style et de jeu de BENIGHTED – tiens, dommage que Julien Truchan ne soit pas venu pousser la chansonnette avec ses amis, lui qui apparaît sur l’album « Made Of Stone ». Si les fans du quartet s’accrochent aux barrières, le Palais des Grottes est encore loin d’être comble. Les blasts déboulent dès l’entame du set et un petit wall-of-death anime le parterre. Dans l’orgie de décibels groovy qui s’abat sur Cambrai, quelques passages plus lourds, quasi inquiétants, et parfaits pour headbanguer ("Unconquered") surgissent, comme par surprise ("Aeons Of Fire"). Ces variations sont les bienvenues. De l’ultra violence du gang émergent des tendances slam ("Oppression") et hardcore ("Worthless Hound") qui se manifestent aussi dans les différents registres utilisés par le chanteur ; ne serait-ce pas des pig squeals sur "Fear The Wolves" ?

Changement total d’atmosphère avec WITCHORIOUS, ses amplis Orange et ses bougies, comme des filles de celle qui orne leur backdrop. Le trio – un frère, une sœur et un second garçon – cisèle un doom qui dégage une douce chaleur sous les lumières orangées d’un crépuscule d’automne, pour citer Thiéfaine :
scandale mélancolique
sentiments discordants
le parme des colchiques
rend le ciel aveuglant
la beauté de l'ennui
dans la nuit qui bourdonne
à la galeuse féerie
des crépuscules d'automne
Ces vers sont le parfait reflet d’un concert en suspension, qui nage entre la lourdeur de la basse et l’éthéré du thérémine ("Eternal Night"). Soutenu par Paul Gaget, batteur à la technique remarquable ("Catharsis"), Antoine Auclair multiplie les effets sur sa guitare pour enrichir son doom parfois classique ("Blood") d’accents déchirants (le sublime "Eternal Night", encore, sur lequel Lucie Gaget pose sa voix apaisante) ou plus légers ("Sanctuaire"). Antoine, qui alterne entre chant et cris, parfois à la frontière du growl, vit sa musique avec une intensité rare, tout en grimaces quand de belles montées en puissance jaillissent de ses cordes. Il ne s’adresse que peu au public, mais vibre d’une magnifique complicité avec Lucie, comme s’ils ne jouaient que pour atteindre une fusion ultime.

Dans cette journée marquée par un va-et-vient plaisant entre les genres, c’est au tour de SORCERER de prendre le Palais des Grottes d’assaut. Les Parisiens jouent sur le matériel d’INSURGENT que Dominique, chanteur à la voix d’une puissance remarquable et homme de goût puisqu’il aborde un t-shirt TYPE O NEGATIVE, n’omet pas de remercier ; quelle belle solidarité chez les hardcoreux tricolores ! Les compositions du groupe, pour l’essentiel tiré de son dernier album, « Devotion », oscillent intelligemment entre lourdeur et vitesse, entre passages mélodiques et riffs metal. Des intermèdes quasi indus offrent à ces titres une coloration inquiétante. Si la fosse, striée de lights rouges, s’anime, elle n’atteint pas le degré de folie de la veille. En une trop courte demi-heure, SORCERER a montré qu’il occupait désormais une place majeure au royaume du hardcore français... et international !
Alors que l’écran en fond de scène accueille des images d’espace, de vaisseaux ou de codes informatiques, les membres de MONKEY3, en toute décontraction, embarque le public dans un voyage intersidéral. Puisque le dernier disque des Suisses paru en 2024 s’intitule « Welcome To The Machine », comme l’une des chansons de « Wish You Were Here », il n’est guère étonnant de constater les inflexions floydiennes de leurs morceaux instrumentaux qui se déploient en longues volutes cosmiques. La basse, très présente, donne de la puissance, voire de la lourdeur, à une musique portée vers l’éther, qui décolle vers un univers parallèle au gré des lignes psyché de claviers. Invitation au rêve, à un périple impossible au-delà des frontières de la raison, traversé de montées en puissance volcaniques, le concert du quartet, odyssée des étoiles inaccessibles, captive, capture un auditoire hypnotisé et conquis.

Un camarade, novice en matière de brutal death, me fait remarquer, à l’issue de la prestation de BENIGHTED que « à ce niveau-là, ce n’est plus de la musique, c’est du sport ! ». Et même un sport de combat aurais-je pu ajouter ! Les quatre gaillards ont en effet livré une prestation athlétique à l’image du numéro de haut-vol exécuté derrière sa batterie par Kevin Paradis pour sa dernière sortie avec le groupe. Seul à la guitare, Emmanuel Dalle assène ses riffs sans faiblir quand Pierre Arnoux, sans faillir, pose les fondations de cette cathédrale de l’ultra violence. Les blasts de "Scars" en guise d’ouverture ont montré une voie qui atteint son sommet d’intensité sur le supersonique "Nothing Left To Fear". Julien Truchan, pieds nus comme d’habitude, ne cesse d’arpenter la scène, le sourire aux lèvres et les pig squeels crachés des enfers de sa gorge. Devant un backdrop à effigie de « Ekbom », dont six titres sont joués, les Stéphanois récitent à merveille leur leçon qu’ils enrichissent d’une touche de black bienvenue ("Spacegoat" ou le surpuissant "Morgue") sans jamais renier leurs racines grind ("Fame Of The Grotesque"). Comme les lumières se marient à merveille à l’ambiance de chaque morceau, les 55 minutes défilent à une vitesse folle pour s’achever dans le fracas de l’inévitable crash que constitue "Let The Blood Spill Between My Broken Teeth".

Après les cauchemars horrifiques distillés par BENIGHTED, place à la beauté des rêves d’ALCEST. L’enchantement débute avant même que ne résonne la première note de "L’envol". Le décor, tout en fragilité et délicatesse, s’inspire de la pochette de « Les Chants de l’Aurore ». Joncs et hérons ornent les planches dans une ambiance tamisée, dans une atmosphère apaisée d’inspiration japonaise. Une lune, qui se drapera au fil du concert de couleurs en harmonie avec les morceaux joués, offre sa protection sereine aux quatre musiciens – Neige, bien sûr, Zéro, dont la guitare et la voix se marient à la perfection à celles de l’âme d’ALCEST, comme sur le toujours sublime "Ecailles de Lune Part 2", Wintehalter imperturbable à la batterie, et Indria, à la basse douce et puissante.

Les lumières dessinent les hommes parfois en ombres, parfois en spectres blancs, reflets de la musique du groupe qui passe d’une douce lumière de printemps (l’entêtant "Le Miroir" ou "Flamme Jumelle", merveille quasi pop) aux ténèbres encolérées de l’hiver ; tels sont les longs, envoûtants et parfois black "Améthyste" et "Oiseaux de Proie" à la montée en puissance gorgée d’une énergie solaire. La salle, silencieuse et admirative, est comme happée dans l’univers du quartet, comme ensorcelé par ces compositions aux pouvoirs presque magiques. Le seul regret de cette heure précieuse est de voir le groupe, fatigué, supprimer "Autre Temps" pourtant prévu sur la set-list.
Ces deux jours dans le Palais des Grottes, portés par une programmation variée à dominante française, ont été une réussite. Sérieux dans son organisation qui allie rigueur et bonne humeur, le BETIZFEST est un festival qui offre, en toute simplicité, un grand bonheur métallique.
