Après l’événement du week-end passé à Birmingham le 5 juillet dernier, il était tout à fait logique, naturel et humain, que l’on craque.
Oui, on a craqué, à chaudes larmes, et heureusement que nous pouvions compter sur de robustes épaules parmi nous pour partager notre émotion, tant celle-ci fut envahissante.
Mais on a aussi craqué juste après, en rentrant.
En se repayant l’intégrale de notre hôte en vinyle.
Le timing était parfait : sitôt les derniers confettis retombés, ce coffret se retrouvait à nouveau à la portée des fans encore fébriles, tout juste une semaine après.
Tout avait pourtant démarré normalement en 1989, en commençant à acquérir, pièce par pièce, chaque album de BLACK SABBATH et d’Ozzy Osbourne, tant en CD qu’en 33-tours donc, comme autant de témoignages bien tangibles de notre fascination croissante. Achats d’albums parus dans un passé que nous n’avions hélas pas pu vivre, mais évidemment, dès lors, acquisition de ses albums solo le jour même de leur sortie, à un prix des plus justes et dignes, à une époque où le vinyle n’intéressait absolument plus personne – pas même ces petites quantités guère encore convoitées de ces « Ozzmosis » ou autres « Live & Loud ». Aujourd’hui j’en souris, voire en rigole, lorsque j’en décrypte leur côte sur Discogs.
Alors si on avait déjà TOUT, avec des déclinaisons parfois improbables de pressages plus exotiques, pourquoi diable devions-nous alors tout racheter à nouveau, fut-ce dans un coffret massif de 11 kilos nécessitant pour sa manipulation moult gainage, ceinture de renforcement lombaire et autre génuflexion adaptée ? Eh bien pour trois raisons, de la plus haute instance : 1/ parce qu’on s’est donc laissé submerger par l’émotion débordante du show ; 2/ parce que ledit coffret, enfin disponible dans le commerce, nous a lancé des clins d’œil aguicheurs – et qu’il est juste irrésistiblement magnifique. Enfin 3/ : connaître l’existence d’un tel objet, présent quelque part dans la vitrine d’un bon commerçant bienveillant, et prétendre continuer à vivre sans s’en soucier est absolument impossible – pire, d’une douleur sans nom tant la convoitise s’apparente à un besoin charnel.
Après le délestage de quelques centaines d’euros (une broutille !!!) claqués dans un cocktail d’euphorie et d’insouciance, vient alors l’heure de l’effeuillage : doit-on se hâter à l’extraire de son carton et à le déshabiller de son film plastique protecteur dans une gestuelle pressée – ou bien rester planté là, coi, la poitrine gonflée de grandes respirations masochistes, en pleine conscience de toute cette somme de plaisir en suspens ?
Passons donc à cet unboxing, virginal, dont les délices rares ne se produiront qu’une seule fois : devant nous trône donc cette fameuse boite, massive, décorée comme une platine vinyle customisée, stylée et un brin rétro, qui s’ouvre magnifiquement dans un silence feutré plein de volupté.
Et là...
Vous le saviez peut-être : « See You On The Other Side » avait déjà été mise en vente depuis l’automne 2019 en VPC uniquement – ou plus exactement en B2C comme on dit dans le business –, et ce depuis le site officiel d’Ozzy Osbourne, exclusivement. A l’époque pressée en quantité très limitée avec des vinyles splatter particulièrement gouleyants, l’épaisse box avait été lancée pour coïncider avec l’annonce de sa toute dernière tournée mondiale, "No More Tours 2", à de nombreuses reprises repoussée pour cause de pandémie puis de lourds soucis de santé successifs, jusqu’à ce que le chanteur annonce en 2023 ne plus être capable de subir le rythme d’une vie sur la route et, pire, de tout simplement assurer ne serait-ce qu’un seul concert en entier – tel que le confirmerait l’annulation de sa participation prématurée au festival PowerTrip en octobre suivant. En 2019, le coffret comptait ainsi 24 vinyles, et donc la quasi-totalité de ses travaux en solo – le monument ayant même été signé et certifié. « Quasi-totalité » précisons-nous puisque, étrangement, si l’on trouvait ici pour la toute première fois en 33-tours son album « Black Rain » de 2007 ainsi que le mitigé « Live At Budokan » de 2002, aucune trace par contre de l’iconique « Speak Of The Devil » de 1982, ni du tiède « Under Cover » de 2005 – peut-être parce que ces deux album n’étaient alors considérés que comme des disques de reprises (de BLACK SABBATH pour l’un et de standards classic-rock pour l’autre) et que pour des raisons de droits, ils n’ont pu être inclus ici (alors que « Speak Of The Devil » avait lui bien été réédité pour une collection de CDs remasterisés (et de cassettes !) en 1995, et donc bien intégré dans sa discographie officielle) ?
Sold-out, la première mouture de la box qui fit tant d’envieux bien frustrés vient donc d’être rééditée dans une version 2.0, non pas avec ces deux opus manquants enfin rajoutés, mais avec l’adjonction des deux derniers albums studio enregistrés en dépit de sa présence sur les routes, « Ordinary Man » (2020) et « Patient Number 9 » (2022). Avec ces deux derniers petits chefs-d’œuvre, « See You On The Other Side » pouvait donc compter une somme d’exactement 27 vinyles, y compris un certain « Flippin’ The B-Side » (qui contient, comme son nom l’indique, ses faces B les plus emblématiques), ainsi que le maxi-45-tours « Mr. Crowley », datant de 1980). Impossible ici, visiblement, de glisser en guise de gros bonus l’intégrale du copieux « Prince Of Darkness », compilation 4-CDs parue en 2005 avec sa myriade de titres rares (certainement pour des raisons de copyrights à nouveau). Alors si l’absence d’un épais livre reste également à déplorer – à l’instar de ceux qui illustrent les habituelles boxes commercialisées par METALLICA ou même, plus précisément, celui présent pour célébrer le trentième anniversaire du doublé « Blizzard Of Ozz » / « Diary Of A Madman » –, on ne peut que rester pantois devant le déploiement de tous ces albums studios et live, conformes à leurs versions originales et qui défilent ainsi les uns après les autres à mesure qu’on les extrait de cette boite sans fond.
Complétistes névrosés ou simples amateurs de l’œuvre d’Ozzy Osbourne tout juste à l’orée de démarrer une collection, « See You On The Other Side » est pour VOUS : il ne manquera ainsi pas grand chose pour que vous puissiez faire le tour de la question, et vivre la pleine expérience du format vinyle, qu’il s’agisse de ces mythiques premiers opus avec Randy Rhoads, les « Bark At The Moon » et « The Ultimate Sin » réalisés avec Jake E. Lee entre 1983 et 1986, mais également du troisième Age d’Or en compagnie de l’extravagant Zakk Wylde à partir de « No Rest For The Wicked » en 1988, puis surtout de son successeur, le splendide « No More Tears » en 1991. Suivent le fabuleux « Ozzmosis » en 1995 ainsi que d’autres galettes parfois moins iconiques mais qui renferment bon nombre de pépites mésestimées (telle « Gets Me Through » sur « Down To Earth » en 2001) ou encore « Scream » en 2010. Certains de ces albums mythiques n’étaient de toutes façons plus disponibles dans ce format depuis des lustres, et l’on se réjouit entre autres de la re-re-re-découverte du double live « Tribute » initialement paru en 1987, quelque cinq ans après la disparition du guitariste légendaire. Outre l’incroyable déploiement de petites beautés parfois en gatefold, ceux qui auraient de quoi redécorer leur intérieur trouveront aussi une dizaine d’affiches absolument splendides, idéalement dépliées pour se laisser encadrer, s’offrant par la même une bien belle galerie de portraits selon les époques.
Il faudra évidemment voir ce titre, « See You On The Other Side », justement emprunté à une chanson de « Ozzmosis », comme la simple lecture de devoir retourner le vinyle pour compléter l’expérience d’écoute. D’autres esprits plus chagrins y verront, eux, une formule en guise d’adieux plus prophétique et funeste... comme le soulignait la teneur de cette émouvante ballade enregistrée en 1995.
Franchement : pourriez-vous dès aujourd’hui vous permettre d’ignorer cette box et d’en envisager son absence – alors qu’elle s’impose d’elle-même en faisant de l’ombre aux autres dans les rayons comme un monolithe autoritaire ? Elle est donc dès aujourd’hui disponible chez votre disquaire – c’est une première – et il n’y en aura toujours pas pour tout le monde non plus, puisque ses quantités sont à nouveau limitées.
Que vous ayez assisté au show de Birmingham ou tout simplement savouré le concert en streaming depuis votre canapé, un tel héritage ne peut s’apprécier autrement que dans une certaine célébration, à la hauteur de celui qui a bouleversé toutes nos vies depuis 55 ans : si le patrimoine BLACK SABBATH doit immanquablement faire partie de toute discothèque (avec, tiens, pourquoi pas, le coffret « Ten Year War »), celui d’Ozzy Osbourne est tout aussi essentiel – et l’écrin en est ici aussi majestueux que l’œuvre.