
50ème anniversaire.
Je n’ai jamais eu la prétention de tout connaître d’un artiste ou d’un groupe, mais s’il en est un sur lequel il me semble posséder “quelques” bonnes notions, c’est bien LYNYRD SKYNYRD. Or, depuis ces dernières années, j’avoue être un peu perdu dans le calendrier des célébrations. Fondé en 1964 mais pas sous cette dénomination, il adopte le nom le plus rentable au Scrabble en 1968. C’est à dire il y a 57 ans… et quand bien même jouerait-on sur les dates et ne prendrait-on en compte que les débuts discographiques, “(pronounced ’lĕh-’nérd ’skin-’nérd)” remonte à 1973.
C’est la raison pour laquelle l’appellation “50th Anniversary Tour” est un mystère pour moi, car il ne correspond pas à grand chose, ou alors à l’année où est paru l’excellent et sous-côté “Nuthin’ Fancy”.
En flânant près du merchandising, voyant un t-shirt reprenant les codes graphiques du troisième album studio en question, j’aurais espéré un instant qu’il serait mis en valeur durant le show comme jamais auparavant avec, peut-être, la chance d’entendre quelques pépites délaissées comme “On The Hunt”, “Am I Losin’” ou “I’m a Country Boy”.
Même pas !

Il faut se rendre à l’évidence, LYNYRD SKYNYRD est prisonnier, comme la plupart des formations au passé légendaire, de ces set-lists prévisibles sécurisant l’empilage de standards au détriment de l’effet de surprise.
Pour les fidèles et donc forcément connaisseurs, venir voir SKYNYRD tient plus du pèlerinage que de la recherche d’originalité, car en dehors du rituel nécessairement incontournable ouvrant sur “Workin’ For MCA” et finissant sur la doublette “Sweet Home Alabama”/“Free Bird”, le juke-box est la figure imposée.
Le groupe ne creuse pas, il va a l’essentiel : du “fan service” comme on dit aujourd’hui, mais surtout à destination du fan de surface plus que du fan pointu.
Et remplir une heure et demie de show, ça file très vite quand on possède autant de hits… à tel point qu'aucune composition ultérieure à 1977 n'est interprétée. Sans manquer de respect vis à vis des albums parus ces quatre dernières décennies, il y a probablement une bonne raison à cela, tout comme pour expliquer la production industrielle de compilations et de live autour du nom.
Néanmoins, si la part belle du show braque légitimement tous les lights sur les classiques des répertoires de “(pronounced…)”, “Second Helping”, “Gimme Back My Bullets” et “Street Survivors”, un tout petit pas de côté va nous permettre de savourer une superbe version moins courante de “Cry For The Bad Man” (1976) et un “Down South Jukin’” nous renvoyant à l’album-posthume “First… and Last” de 1978 et aux sessions les plus anciennes de LYNYRD SKYNYRD (1971-72).

Petit aparté pour signaler aux polémistes du dimanche que, si, il reste bien un membre originel dans la formation de Jacksonville depuis la disparition de Gary Rossington : Rickey Medlocke était présent en studio et sur scène aux tout-débuts - pas au même poste, certes (batteur, chanteur) - mais il peut revendiquer le titre et même se vanter d’avoir participé aux premiers enregistrements de l’éternel “Free Bird”.
Après, c’est indiscutable, le SKYNYRD 2025 est, en dehors du statut spécial de Johnny Van Zant, un patchwork hétéroclite de musiciens appliqués qui jouent consciencieusement leur partition, l’avantage étant que depuis les origines et sur la volonté intransigeante de son fondateur Ronnie Van Zant, la musique du groupe sudiste, et plus encore ses solos, est quasiment écrite à la note près.
Il n’y a bien que le regretté Steve Gaines qui ait, en son court passage sur Terre, réussi à faire dévier la règle, mais sinon, tout est quasiment immuable.
Le canevas de Rossington est suivi par Damon Johnson, celui de Collins par Medlocke, les parties de King et Gaines par Matejka, la basse de Wilkeson par Harrington, le piano de Powell par Keys et la batterie de Burns/Pyle par Cartellone.
Et ça joue, peut-être même mieux, plus carré et plus dur qu’à certaines époques post-reformation.
Mieux, plus carré, plus dur… mais si on ferme les yeux, pas de doute, il manque quelqu’un.

Johnson est appliqué, doué et maîtrise totalement son sujet, mais ce ne sera plus jamais pareil : Rossington possédait un toucher inimitable, une sorte de fraction de seconde de nonchalance, d’infime retard sur le temps qui était sa griffe.
Je me suis imaginé sans en avoir la réponse que cela avait peut-être à voir avec son corps rafistolé après tant d’accidents (voiture, avion…) qui donnait au guitariste décédé en 2023 cette approche unique.
Medlocke avait eu beaucoup moins de mal à empoigner les manches de Firebird et d’Explorer au poste d’Allen Collins parce que, comme lui, c’était l’inverse : toujours un soupçon d’avance sur le tempo.
D’ailleurs, les années passent et je regrette aussi la basse d'antan - et plus précisément le jeu walking bass - qui faisait la caractéristique de Leon Wilkeson, au même titre que deux ou trois rares bassistes du genre comme Greg T. Walker (BLACKFOOT) et Larry Junstrom (.38 SPECIAL), passés eux aussi d’ailleurs par la case SKYNYRD à ses prémices.
Mais Harrington ne démérite pas, tout comme Johnson. Le ressenti est juste différent.

Medlocke en doyen à l’imposante stature et l’insolente vivacité (75 ans !), Van Zant parfaitement en voix, le reste du groupe un peu plus jeune et dans la force de son exécution, SKYNYRD n’est pas celui de l’âge d’or, pas plus que celui du tribute, mais il occupe sa juste place. Il respecte le public en lui offrant un show qui, à aucun moment, ne ressemble aux visions tristes et pathétiques de gloires sur le déclin où chaque concert est celui de trop et ressemble à de l’acharnement thérapeutique.
Assurément, ce Zénith n’a pas la charge émotionnelle, palpable à chaque seconde, des dates de la résurrection à l’Elysée Montmartre il y a plus de 30 ans, mais possède au moins autant et certainement plus d’énergie et de mise en place.
L’émotion vient d’ailleurs : de la ferveur du public reprenant “Tuesday’s Gone” et “Simple Man” à tue-tête, des duels de guitare encore possibles en 2025 (“Workin’ For MCA”, “That Smell”), de la hargne d’un foncièrement hard rock “Saturday Night Special” (le seul titre de “Nuthin’ Fancy”, au bout du compte), de la dramatisation intacte et de la structure incroyablement riche de “That Smell”, de ce bijou qu’est “The Needle and The Spoon”, de la méchanceté viscérale et lourde de “Gimme Back My Bullets”, de la bonne humeur swinguante de “I Know a Little”, “What’s Your Name”, “Gimme Three Steps” ou “Call Me The Breeze”, donc globalement du répertoire lui-même… un patrimoine musical inestimable et un pan de l’histoire du rock américain.
Sans oublier l’émotion des archives…

Revoir le célèbre film de Ronnie marmonnant deux trois principes de vie, canne à pèche à la main et l’entendre chanter avec son petit frère sur “Free Bird”, on est toujours pris aux trypes et par les poyls.
Et encore plus quand tous les prénoms des disparus s’affichent à l’écran et que l’on voit combien l’épopée de ce groupe a été cruelle et injuste.
Toute la force de LYNYRD SKYNYRD aujourd’hui, c’est d’avoir survécu, surmonté les épreuves et d’être encore là, sur scène, sous une forme ou sous une autre, pour satisfaire plusieurs générations de fans. Le contrat est rempli.
Workin' for la postérité.