
La foule s’épaissit autour de La Défense Arena alors que le soleil décline lentement derrière les tours de verre. Dans l’attente fébrile, on entend déjà des bribes de refrains entonnés par des fans venus de toute la France – et bien au-delà – pour cette unique date parisienne. Certains arborent fièrement des t-shirts "Legacy of the Beast", d’autres exhibent le nouveau visuel de la tournée "Run for Your Lives". Les discussions tournent autour des débuts de la tournée, et bien sûr, du grand absent : Nicko McBrain, pilier du groupe pendant plus de quatre décennies. Une page se tourne. Mais ce soir, la légende continue - et s'amplifie.

21h tapantes. Les lumières s’éteignent d’un seul coup, provoquant une onde de choc sonore : 40 000 voix hurlent à l'unisson les refrains de "Doctor Doctor", de UFO annonçant les hostilités de la Vierge de Fer depuis toujours. Sur le gigantesque écran LED qui surplombe la scène, un Londres industriel et crasseux se dessine dans la pénombre, éclairé par des éclairs de plasma bleuté et des vapeurs d’usine. La caméra virtuelle progresse, traverse la Manche, et nous emmène dans un Paris inquiétant et sombre. Le décor est planté, c'est bien dans une rue parisienne que débute le show : "Murders In The Rue Morgue" lance le show après l'intro sur bande "The Ides Of March". IRON MAIDEN surgit dans une lumière blanche aveuglante : les trois mousquetaires à six cordes en avant, Steve Harris le poing levé, et surtout Bruce Dickinson, qui déboule comme un diable, énergique, précis, magnétique. À 66 ans, il a toujours ce regard intense et cette voix tendue comme un arc, tranchant le vacarme comme une lame.

Dès les premières minutes, la scénographie se révèle être bien plus qu’un simple habillage visuel - une grande nouvelle pour les fans qui attendaient une refonte de la scène du groupe depuis plus de 20 ans ! Exit les éternels backdrops en tissu, exit les deux uniques plateformes de part et d'autre de la scène, et la rampe entourant la batterie : bienvenue dans l'ère des écrans - il était temps ! Le mur LED ne se contente pas de faire joli : il raconte, projette, habille chaque morceau d’un univers propre. Sur "Rime Of The Ancient Mariner", des mers déchaînées défilent, et les aventures du vaisseau du vieux marin se terminent dans le fracas d'un Eddie géant venu des cieux le précipitant sous les flots.

Sur "Aces High", on vit la bataille en Spitfire aux côtés d'Eddie avec une intensité jamais atteinte - c'est d'ailleurs le seul titre où l'on est tenté de se focaliser sur les écrans, quitte à oublier le groupe qui se démène juste en dessous : le reste du show évite cet écueil avec un très bon équilibre visuel. On ne regarde plus un concert : on est happé dans un opéra heavy metal numérique, où la musique s’incarne à l’écran autant qu’elle tonne dans les amplis. Ce sentiment culmine sur "Hallowed Be Thy Name" qui arrive à effacer la frontière entre le réel et les écrans. Un long chemin caillouteux serpente depuis la scène jusqu'à une corde de pendu. Un Bruce fantomatique entame sa montée d'un air affolé, poursuivi par un ectoplasme, et finit par littéralement jouer sa propre pendaison avant de "ressusciter" en hurlant le refrain final dans un panache de fumée : magistral et hypnotisant !

Le vrai cœur battant de ce show, à l'image de cette mise en scène jusqu'à la potence, c’est évidemment Bruce Dickinson. Entre deux chansons, il s’adresse au public dans un français touchant, avec l’humour et l’aisance qu’on lui connaît - citant au passage le vieux slogan télévisé d'un fromage à l'ail bien connu : hilarant ! Il saute, court, grimpe sur les plateformes comme si le temps n’avait aucune prise sur lui. Il s’empare de chaque morceau comme d’un monologue théâtral, et livre des performances vocales sans compromis, sans triche. Il module, rugit, rugit encore. Aucun signe d’essoufflement, pas même sur le final de "Seventh Son" où il tient une impression"note note près de 30 secondes. Quand il hurle le dernier refrain de Wasted Years, c’est Paris tout entier qui lui mange dans la main et hurle avec lui.

Un moment particulièrement chargé d’émotion survient lors de la présentation du nouveau batteur, Simon Dawson. Le groupe prend le temps de saluer l’immense Nicko McBrain, retraité pour raisons de santé mais toujours présent « dans nos cœurs et dans nos oreilles ». La standing ovation qui suit est spontanée, chaleureuse, bruyante. Simon Dawson, malgré la taille du vide à remplir, livre une performance très solide. Son jeu est net, puissant, rigoureux. Moins jazzy, moins subtil que celui de McBrain - certains breaks percutent droit sans détour là où Nicko aurait joué sur l’élan et la nuance, et les cymbales tintent de façon générale avec moins de finesse... mais Simon fait le job avec respect et conviction. Ce n’est pas un remplaçant. C’est un relais, qui laisse entrevoir un futur encore fourni pour IRON MAIDEN.

Le concert progresse avec une fluidité parfaite. Plusieurs titres épiques s'enchaînent : "Powerslave", "Phantom Of The Opera" et "Seventh Son Of A Seventh Son" se couplent à "Rime Of The Ancient Mariner" pour un volet rassasiant les fans les plus exigeants, tandis que les classiques comme "The Trooper", "Wrathchild" ou "Fear Of The Dark" ont sans exception l'effet escompté de faire hurler toute l'arena à gorge déployée.
Si l’on devait formuler un bémol, ce serait peut-être le son assez moyen, en tous cas en ce qui concerne le premier show : celui de la deuxième soirée à en effet été bien au dessus. Si la voix et la batterie ressortent bien, la basse est en revanche un peu trop "sèche" et manque de corps, tandis que les trois guitares créent parfois une bouillie assez illisible. Même en connaissant sur le bout des doigts la moindre notre de chaque morceau, on peine parfois à suivre sans jamais perdre le fil : vraiment dommage pour un groupe de cette envergure, même si les dimensions de la salle jouent forcément en la défaveur du pauvre sondier.

Le set principal s'achève sur l'inévitable titre éponyme "Iron Maiden", sur fond d'un Eddie géant complètement virtuel et très réussi : on en oublie même les excellents Eddie gonflables habituels, preuve de la réussite de la transition vers les écrans ! Puis, après "Aces High" et "Fear Of The Dark", le rappel s’achève sur un "Wasted Years" galvanisant, presque mélancolique. Les bras levés, les sourires, les yeux brillants... Le public refuse de lâcher prise. Quand les lumières se rallument, ce n’est pas seulement un concert qui vient de s’achever : c’est un voyage, un hommage, une célébration d'un demi-siècle de succès et d'intégrité. IRON MAIDEN n’a pas simplement joué à Paris ce soir-là. Ils ont rappelé à tous pourquoi ils sont, et resteront, une des pierres angulaires du heavy metal. Intemporels. Inébranlables. Intouchables. Inoubliables.
Photos © Benjamin Delacoux - Set-list
