
Dix-sept albums et trente-cinq ans de carrière ! Peu de groupes de doom/gothic metal peuvent se targuer d’avoir un tel palmarès à leur actif. Les Anglais PARADISE LOST sortent donc « Ascension », dix titres old-chool, profonds, qui racontent une réelle expérience de vie mais aussi bien plus encore. Greg Mackintosh, guitariste toujours à la manœuvre depuis ces nombreuses années nous parle du concept qui anime cette belle œuvre à nouveau.
Comment vas-tu à l'aube de la sortie de ce nouvel album ?
Il fait chaud et dès que j'ai chaud, je deviens grincheux ! J'ai sillonné l'Europe cet été pour faire des festivals, j'étais à Athènes et à Istanbul, et il faisait une chaleur torride. Je suppose qu'il devait faire plus de 30 degrés là-bas. ll fallait juste être à la clim tout le temps, ce qui est embêtant, la chaleur était accablante. C'est le pire avec les festivals d'été, en fait.
On devrait faire des festivals en hiver !
Je préférerais ça, ouais. Des festivals enneigés !
Bon, je ne peux pas m'empêcher de te demander comment tu te sens, au moment où nous discutons et au lendemain de la mort d’Ozzy Osbourne ?
Je suis assez choqué. Comme la plupart des gens, je suis choqué, car c'était un vieil homme fragile mais surtout parce que sa mort arrive si peu de temps après le dernier concert. C'est donc très prophétique, ses adieux. Mais c'est une fin appropriée. Combien de personnes peuvent dire au revoir de cette façon ? Et puis s'incliner. Alors, oui, c'est triste qu'il soit parti, bien sûr, mais... De la meilleure façon possible. Pouvoir dire au revoir comme ça, avec ce concert et cet héritage, c'est le mieux qui aurait pu lui arriver. J'imagine qu'il n'y a pas beaucoup de gens dans une génération qui reçoivent ce genre d'adieu.
Tu es allé à Birmingham pour ce dernier concert ?
Non, ça m'a un peu agacé. Je connais beaucoup de gens qui y sont allés et qui ont adoré. Ils ont dit que le son était super là-bas. Pour ma part, j’étais à un festival, ailleurs. J’ai regardé les vidéos et certains concerts sonnaient mieux que d'autres. Certains groupes sonnaient un peu faux, ce genre de choses. Mais apparemment, si on y était, ça sonnait super bien. Donc, oui, c'est un peu agaçant. Mais j'ai vu et joué avec BLACK SABBATH et Ozzy plusieurs fois, je les ai rencontrés donc j'en suis content. Je suis content d'avoir au moins pu faire tout ça, tu sais.

Bon, parlons de ta propre musique maintenant. Que penses-tu de ce 17e album, « Ascension » ? J'ai l'impression que c'était un disque cathartique à faire, à écrire. D'où le titre « Ascension »...
Je pense qu'une grande partie, ou peut-être la moitié, est liée au passé, à l'époque de ma jeunesse, vers 1992-1993. En partie parce que nous avons réenregistré « Icon », renommé « Icon 30 ». Il s'agissait donc de réapprendre ces trucs et de faire les concerts. Ça m'a fait repenser à ma façon de jouer de la guitare, de composer des mélodies et d'écrire des chansons. Mais ça m'a aussi fait repenser, avec nostalgie, aux groupes que j'écoutais. Ce qui me rendait heureux à l'époque, quand j'ai mis ça dans cet album, tu vois. Et puis, il y a environ un an, j'ai eu une année vraiment difficile. Des choses très difficiles sont arrivées, je m'en suis sorti mais j'ai vécu une expérience très étrange. J'ai donné un concert dans un château il y a environ un an avec un projet parallèle, mon groupe STRIGOI. Et j'ai eu ce que certains appelleraient une révélation. C'était comme une sorte de rupture mentale, je suppose, mais ce n'était pas une dépression nerveuse, rien de tout ça. C'était une bonne chose. Tout d'un coup, un déclic s'est produit et j'ai eu l'impression d'être hors de mon corps, à m'observer. Bon, ça doit être bizarre, Ca a duré environ un mois pendant lequel je ne pouvais plus me soucier de rien. Je m'observais comme une troisième personne et je pouvais prendre des décisions en fonction de cela, sans me soucier de choses futiles et en traversant le quotidien très facilement. Et ça s'est terminé au bout d'un mois environ. Puis j'y ai repensé et je me suis dit : « Tu sais, je parie que c'est ce qu'on appelle trouver Dieu, une expérience religieuse, une révélation, l'illumination ou le nirvana. » Mais en fait, c'est juste ton esprit, le mécanisme de sécurité de ton esprit qui t'empêche de vivre l'horreur ou de t'enfoncer davantage dans l'obscurité. De ce fait, le titre « Ascension » et l'obsession pour la religion, même si je suis athée, sont revenus très forts et ont profondément marqué cet album.
J’imagine oui ! C'est comme si ton esprit prenait le contrôle de ton corps ?
Non, c'était vraiment difficile à expliquer. Je l'ai expliqué à quelques personnes, car à l'époque, j'assistais à des séances de thérapie de groupe et j'expliquais tout ça au groupe. Ils discutaient tous de ce que ça pouvait être et nous sommes tous arrivés à la même conclusion, à l'exception d'un homme très religieux qui a dit : « Oh, tu as trouvé Dieu. » J'ai répondu : « Mais je ne crois pas en Dieu. » Le reste du groupe a dit : « On dirait que tu as échappé au pire grâce à ça. Ça t'a éloigné, ça a presque séparé ton esprit en deux. » Il semble que j’ai échappé à de mauvaises choses que je ne vivais donc pas, tu vois ? Et je ne peux que supposer que c'est vrai. Je ne sais pas si c'est vrai ou non. Je ne sais pas. Mais tout ce que je sais, c'est que c'était la meilleure chose qui soit arrivée, qui pouvait arriver à ce moment-là. J'ai mis tout ça dans l'écriture de cet album, en essayant de transmettre les sentiments que je ressentais. Puis j'ai commencé à réfléchir à l'ascension, d'un point de vue religieux, historique, et aussi à travers le quotidien. Est-ce ce à quoi les gens aspirent ? Est-ce le but de la vie, une sorte d'ascension ? Ou est-ce juste pour avancer ? Est-ce la raison d'être de la religion ? Ou est-ce simplement parce que notre esprit ne peut comprendre ce qui se passe au-delà du monde physique ou quoi que ce soit d'autre ? Donc, toutes ces choses ont servi de matière à l'album, je suppose.
Et à son écoute, on ressent cette ascension, car au début, il y a une chanson très profonde, mélancolique et grave intitulée "Serpent On The Cross". Mais ça continue encore et encore jusqu'à une autre plus moderne, peut-être, "A Life Unknown". Ça pourrait être un résumé de ce que tu évoques, et un bon résumé de ta carrière aussi.
Oui, je suppose. Je dirais que c'est 50 % nostalgie, 50 % tourné vers l'avenir. Et on a essayé de mélanger tout ça d'une certaine manière. Donc oui, c'est un mélange de plein de styles, je suppose. Mais on a essayé d'en faire une seule chose. Et on y est parvenu simplement grâce à notre propre style de jeu. Tu sais, on ne peut plus jouer différemment maintenant. C'est comme ça qu'on joue. On essaie notamment de rester sur la corde raide, loin des clichés. C'est très difficile, et j'espère qu'on y parviendra. Mais c'est à l'auditeur de voir. On essaie d'être à la fois grandiloquent et mélancolique. Tu sais, avec ces hauts et ces bas sur cet album. Et c'est quelque chose que seul l'auditeur peut décider, vraiment. On essaie de le faire subtilement. Aussi subtilement que possible, surtout avec les claviers, les cordes, les pianos ou ce genre de choses. Ou les chœurs. On essaie toujours de le faire de manière très subtile pour éviter la parodie.
C'est un album parfait. Il est parfaitement équilibré, je trouve. Parce qu'il est peut-être plus sombre que le précédent ?
L'objectif était de rester pertinent, n'est-ce pas ? Et je ne sais pas ce qu'est la pertinence. Je ne pense pas que quiconque le sache, vraiment. Parce que si les gens connaissaient la formule magique, ils l'adopteraient et resteraient pertinents pour toujours, non ? Mais je pense que tout ce qu'on peut faire, c'est se plonger dans son travail. Et espérer que les gens le perçoivent comme pertinent, comme avant-gardiste. A la production, j'ai essayé de créer des sons presque imparfaits. Tu sais, surtout dans le metal actuel, tout est devenu parfait. C'est le grave parfait, le niveau parfait, le volume parfait. Chaque batterie résonne de la même manière. J'ai essayé d'en faire presque l'antithèse. Il y a donc des imperfections, mais des imperfections comme il y en aurait eu dans un enregistrement d'il y a 20 ans. En fait, il y a 30, 40 ans. Il y a 20 ans, on était seulement en 2000, non ? Ça montre mon âge...
Ça rend l'album très authentique aussi.
Je l'espère. C'est ce qu'il essaie de faire. Par exemple, pour enregistrer la batterie, on est allés dans un studio dans une église du nord de la Suède, spécialement pour avoir cette salle de batterie, qui est vraiment géniale. C'est comme une vieille église luthérienne. C'est là que WATAIN et MAYHEM enregistrent régulièrement. Elle appartient à leur ingénieur du son. C'était en plein hiver, et l'ambiance était parfaite. On y a passé trois semaines, sous la neige, et il faisait beau dehors, parfait ! Et quand on jouait les morceaux plus lents, au lieu d'ajouter de la réverbération, on montait simplement le volume de la salle de l'église, ce qu'on aurait fait historiquement lors des enregistrements, avant l'apparition des machines à réverbération et de ses effets. Et j'espère que ça se ressent.

En tant que producteur, est-ce que tu te sens plus responsable que les autres membres du groupe ?
Cette fois oui, parce qu'ils ont mis le nom du producteur sur la pocbette de l’album ! Mais c'est juste une étiquette car pour « Obsidian » ou « Icon 30 », c'était déjà moi qui disais quoi faire, en gros. Alors je me suis demandé : « Pourquoi avons-nous besoin d'une tierce personne ? » C'est bien d'avoir une autre paire d'oreilles, mais pourquoi ne pas utiliser mes amis, des gens que je respecte, plutôt que de payer quelqu'un pour être là ? C'est la seule raison pour laquelle je suis devenu producteur, c'est parce qu'on a passé des années à savoir ce qu'on veut, à savoir comment le faire, et à se dire : « Écoutez, on n'a pas besoin de payer quelqu'un pour être là. » Donc, rien que le nom, c'est devenu un peu plus de responsabilités. Mais c'était aussi bien d'avoir construit ce studio séparé au fil des ans, pour pouvoir y passer du temps et enregistrer. J'ai aussi essayé d'être spontané, car je sais par expérience qu'on a tendance à passer trop de temps sur les choses et à tourner en rond. Par exemple, il y a une chanson sur l'album qui s'appelle "Lay A Wreath Upon The World", dont la première partie est entièrement à la guitare acoustique. Je l'ai jouée sur une guitare que j'ai empruntée, assis dans ma cuisine avec un micro sur le plan de travail. Et ce n'était censé être qu'une démo. Je l'ai juste fait comme ça. Et puis, quand je suis venu l'enregistrer en studio, je n'ai pas réussi à retrouver la même sensation, la même authenticité, la même spontanéité que celle que j'avais quand j'étais assis dans ma cuisine. Alors je l'ai gardée. Donc, toute cette acoustique qu'on entend sur la première moitié de "Lay A Wreath Upon The World", c'était une prise que j'ai faite dans ma cuisine. Et c'était le meilleur son. Ce n'était pas pour pouvoir dire : « Oh là là, ça a été enregistré dans une cuisine ! » ou quelque chose comme ça. C'était juste parce que c'était la version qui sonnait le mieux. Peu importe où c'est. Peu importe comment. C'est juste ce qui colle à l'ambiance de la chanson et qui donne le résultat final.
Et c'est une très belle chanson. C'est comme une pause dans l'album, car elle suit le très agressif et très punchy, "Silence Like The Grave"...
Eh bien, la liste des chansons d'un album est importante pour le flow, pour moi, à cause de la façon dont j'ai grandi avec la musique. On achetait un disque. On économisait pour s'en acheter un. On se demandait comment étaient les membres du groupe, parce qu'il n'y avait pas de vidéos d'eux. On regardait les photos en se disant : « Je me demande comment il est. » Je me demandais ce qu'il voulait dire par ces paroles. Pour moi, la liste des titres d'un album est aussi importante pour le flux et la dynamique de ce qu'on ressent à l'écoute que la chanson elle-même, chaque chanson, individuellement. Par exemple, "Silence Like The Grave" est une chanson très explosive, presque militaire, qui, sans le vouloir, a fini par parler - parce que Nick a dit qu'elle avait un ton militaire - de l'ascension et de la chute des empires et des guerres. Cela mène ensuite à une sorte de berceuse avec une section acoustique qui réduit le tout à presque rien, avant de le reconstruire, ce que j'ai toujours respecté lorsque j'entends d'autres musiciens faire. Je pensais donc que c'était quelque chose qui fonctionnerait bien sur cet album. Et encore une fois, c'est à l'auditeur de décider si ça fonctionne ou non.
Ça fonctionne très bien. Comme tu le disais, "Silence Like The Grave" est une chanson très martiale au contraire de "Lay A Wreath Upon The World". C'est comme une délivrance.
Ouais, parce que, par exemple, si tu avais une autre chanson dans la même veine que "Silence Like The Grave", ça atténuerait son impact. Parce que j'ai toujours dit ça : si tout est lourd, alors rien n'est lourd. Si tout est fort, rien n'est fort. Il faut vraiment jouer avec les nuances. On peut toucher les deux extrémités du spectre, mais il faut avoir toutes les nuances intermédiaires pour que tout le reste ressorte.

Une question à propos de la pochette. On dirait une vraie peinture, non ?
Oui, c'est une peinture que j'ai trouvée il y a environ un an et demi. Je l'ai vraiment aimée. Alors je l'ai sauvegardée. Je me suis dit que j'allais en faire une impression sur toile pour l'accrocher chez moi. Et c'est ce que j'ai fait. Et je l'ai dans cette pièce maintenant. Et puis, quand on a commencé à enregistrer l'album, on avait besoin d'un artiste. On en cherchait un et on n'en a pas trouvé pour l'album. Alors je me suis dir que j'avais cette impression et je l'ai envoyée à notre management. J’ai demandé à Vicky de trouver de qui était cette photo parce qu'on l'aimait beaucoup et que l'on allait appeler l'album « Ascension ». Ce tableau ressemble à un personnage central, tout calme, ayant atteint l'illumination. Et puis, il est entouré de chagrin. Et elle a dit : « Oh, je n'ai pas besoin de demander. Je viens de voir l'original de ce tableau à la Watts Gallery, dans le sud de l'Angleterre. J'y étais en vacances. » C'était vraiment une coïncidence. Elle a su qui appeler et a obtenu les droits pour pouvoir l'utiliser. Donc, de George Frederick Watts, qui, je suppose, était populaire à l'époque victorienne. C'est très agréable de pouvoir utiliser quelque chose qu'on admire. Et cela colle bien au titre et à l'œuvre. Puis on a fait appel à un graphiste pour coordonner le tout. Ca s'est très bien passé. Ce qui n'est pas toujours le cas, crois-moi ! Parfois, c'est vraiment difficile de coordonner un ensemble de visuels. Tu sais, un joli visuel qui colle bien à la musique. Mais cette fois, ça a vraiment très bien marché.
Oui, c'est vraiment très bien. Ça colle parfaitement au concept de l'album. Et tu n'utilises pas d'IA...
Non, heureusement. On l'a utilisé sur le dernier clip vidéo. Je sais que ça agace les gens. Moi, je suis encore plus agacé qu'eux. Parce qu'on a fait un clip pour "Silence Like The Grave", le premier single. Je l'ai vraiment adoré parce qu'il correspondait exactement à ce qu'on avait imaginé. On s’est dit : « Waouh, oui, ça parle de l'ascension et de la chute des empires. » Ca marchait vraiment. Et puis on est partis en tournée avec KING DIAMOND. Le label voulait une deuxième vidéo mais on était sur la route... Ils ont donc dit : « C'est bon, on va régler ça. » Ils nous ont envoyé cette vidéo et j'ai dit : « C'est quoi ce bordel ? » On aurait dit un truc de Donjons et Dragons. Je n'aime pas du tout. Ils m’ont répondu : « Oh, eh bien, c'est trop tard pour changer. Ça sort demain. » Donc j'aime la première vidéo. Je déteste la deuxième mais je pense qu'il faut qu'on s'y fasse. Parce que, c’est comme ça. Tu sais, je peux comprendre que ça agace les gens. Mais ils ne peuvent pas être aussi agacés que moi. Parce que ça ne nous représente pas. Je n'aime vraiment pas ça du tout. Mais tu sais, comme je l'ai dit, on ne peut pas aimer tout ce qu'on fait. Et c'est ce qui arrive avec les maisons de disques et les managers quand on est en tournée. On vient de tourner une nouvelle vidéo, en fait. Un clip pour un troisième morceau. Ce sera juste un clip de performance live. C'est cool. Donc ça va être quelque part entre les deux : soit on aime, soit on déteste parce que ce sont juste cinq pauvres hommes d'âge mûr qui jouent de leurs instruments.
Est-ce que tu ressens le même plaisir et la même excitation à promouvoir tes albums après plus de trois décennies de carrière ?
Je pense que oui. Et je vais te dire pourquoi. C'est parce que si tu crois en ce que tu viens de faire, alors tu peux être fier et enthousiaste à l'idée de le promouvoir. Et pour chaque album que nous faisons, je l'ai toujours dit. On oublie le passé et on essaie de penser à ce qu'on créerait si on pouvait sortir un album maintenant. C'est ce qu'on a fait avec celui-ci. Oui, il y a une touche de nostalgie. Mais c'est nostalgique d'un point de vue musical. On ne peut donc être qu’impatients d'en parler.

