Imaginez-vous assis.e dans un fauteuil confortable près d’une cheminée dans laquelle le feu crépite doucement. Il pleut dehors et une boisson chaude est posée près de vous. Vous décidez alors de regarder un album de photos de famille retraçant les quinze dernières années. Défilent alors sous vos yeux des images de lieux oubliés jusqu’à aujourd’hui, d’objets que vous possédez encore mais dont vous aviez oublié l’importance, mais aussi de vous-même à différentes époques de votre vie. La bouffée de bonheur procurée par ces souvenirs est telle que vous décidez de créer quelque chose. Cet élan est celui qui a donné naissance à « Songs To Sun », premier album d’une trilogie composée par Igor Sydorenko, chanteur, guitariste et frontman du groupe ukrainien STONED JESUS.
En juin dernier, le trio avait fait un post sur les réseaux sociaux en présentant six durées successives sans autre explication qu’un décompte de 99 jours ainsi que le hashtag #songstosun. Quelques jours plus tard, lors d’un concert mémorable à la Purple House du Hellfest, le groupe annonçait la sortie de trois albums dont le premier, « Songs To Sun », le 19 septembre 2025. Les deux autres, « Songs To Moon » et « Songs To Earth », compléteront la trilogie et sortiront respectivement en 2026 et 2027. Après tout, pourquoi faire les choses comme tout le monde et annoncer un seul album à la fois ? Autant réjouir le public en annonçant d’emblée que 2026 et 2027 seront des années fabuleuses.
Au fil des années, la musique de STONED JESUS a évolué entre un stoner rock aux tendances heavy plus ou moins diluées selon les albums et un rock progressif explorant tout aussi bien les structures que les sonorités. Bien que des groupes de rock progressif comme OPETH, KING CRIMSON et VAN DER GRAAF GENERATOR fassent partie des influences notables de l’album, c’est en réécoutant les anciens morceaux de son propre groupe qu’Igor Sydorenko a majoritairement puisé son inspiration. C’est donc avec une vague impression de déjà-vu que l’on écoute les nouvelles chansons, entre composition inédite et réécriture, comme une zone de confort qu’on aurait élargie juste assez pour qu’elle soit plus ouverte sur le monde en nous offrant la sécurité dont on a besoin.
Plus contrasté que ses prédécesseurs, « Songs To Sun » est majoritairement énergique, rempli de sonorités lourdes et de la puissance caractéristique du groupe. Pourtant, c’est bien un nouveau départ symbolique que prend STONED JESUS avec le single "New Dawn" dont les premières notes, d’une douceur à vous faire frissonner de bien-être, vous transportent au lever du jour, meilleur moment pour écouter l’album avec calme et sérénité. C’est la guitare d’Igor Sydorenko qui nous emporte petit à petit, avant d’être rejointe par la basse d’Andrew Rodin et la batterie de Yurii Kononov, tous deux membres du groupe fraîchement arrivés en 2024. La cohésion du trio se ressent aussi bien sur scène que sur l’album et laisse présager de nombreux concerts mémorables. Le défi est de taille puisque le frontman s’étant inspiré de ses propres morceaux, il exige une maîtrise complète et rapide de l’ensemble de la discographie. Exemple avec "Shadowland" dont l’un des riffs signature est tiré du single "Silkworm Confessions" de l’album « The Harvest » (2015) : une fois joué à l’envers, le riff constitue l’un des éléments clefs du deuxième single de l’album.
Seule exception à l’énergie globale de l’album : "Lost In The Rain" dont la douceur, le calme et la nostalgie offrent un contraste surprenant et d’une grande beauté avec les deux singles précédents. Plus proche de la force tranquille de l’incontournable "I’m The Mountain", il suspend le temps et offre une semi-fin parfaite pour achever la face A d’un vinyle. La face B reprend de plus belle sur la lancée énergique avec le single le plus heavy, "Low", dont les quatre minutes poussées à plein volume ainsi que le cri d’Andrew Rodin montrent bien que la réécriture ne fait pas forcément tourner en rond. Loin du nombrilisme, la démarche permet au contraire à STONED JESUS de repousser ses propres limites en cherchant toujours à se renouveler.
Tout comme "New Dawn", "See You On The Road" fait écho aux nombreux trajets du groupe entre deux concerts. Avec une tournée en Australie et une autre en Amérique latine au mois d’octobre 2025 ainsi qu’une prochaine tournée européenne, il y a de quoi trouver l’inspiration. Avec davantage de vibrations et toujours autant de lourdeur dans la basse et la mélodie de guitare, le tout par-dessus une batterie impeccablement dosée, le single a de quoi devenir l’hymne de vos prochains longs trajets routiers. L’album s’achève sur "Quicksand", plus mystérieux et personnel que les singles précédents. Plus long titre de l’album, il est probable qu’il connaisse le même destin que "Black Church" de « The Harvest » : exister sur album mais ne jamais être joué sur scène à cause de sa nature plus introspective. C’est un cri de douleur, de frustration et de rage qui monte petit à petit au fil de sonorités plus dérangeantes et perturbantes, comme si on n’arrivait pas à sortir d’un cauchemar dans lequel on est empêtré.e depuis trop longtemps. Le mantra « And now I’m ready / To become what I hate the most » est répété en boucle de plus en plus fort jusqu’à la chute a cappella.
Ajoutez à tout cela un enregistrement dans les meilleures conditions qui soient : le matin et le soir, le trio a profité de l’ambiance familiale d’une auberge polonaise reposante tandis qu’en journée, il se rendait au studio Monochrom situé dans un cadre champêtre propice à la concentration et à la sérénité. Peu importe que vous connaissiez déjà STONED JESUS ou non, « Songs To Sun » est parfait pour découvrir aussi bien que pour redécouvrir les cinq autres albums du groupe ainsi que pour appréhender l’entente qui règne entre les membres du nouveau line-up qui, on l’espère, va perdurer le plus longtemps possible.