7 novembre 2025, 05:33

PERTURBATOR

Interview James Kent


Producteur mystérieux à la parole rare, James Kent, surtout connu sous le nom Perturbator, est aujourd’hui plus en vue que jamais, alors que la synth-wave est revenue au cœur de la scène gothique. Dans ce contexte, un projet tel que « Age Of Aquarius », sur lequel Perturbator fait de nombreux essais dans des styles où l’on ne l’attendait pas forcément, intrigue forcément. C’est donc dans son hôtel à Paris que nous avons retrouvé le producteur, afin qu’il nous parle de la genèse de ce nouveau disque, sans détours et en profondeur.
 

Tu as sorti « Age of Aquarius » le 10 octobre dernier. Dans quelle disposition d'esprit te trouves-tu aujourd'hui pour cette nouvelle phase de ta carrière ?
Mon état d'esprit ? Bonne question… Je suis confiant pour l'album, je trouve que c'est un des meilleurs que j'ai faits et j'ai hâte de voir les réactions des gens, principalement. Vraiment, je suis impatient et confiant, et j’ai hâte de le présenter en live !

C’est un album assez progressif dans sa structure. Il monte crescendo sur la première moitié, puis redescend et il y a une petite pause avec « The Swimming Pool », puis ça reprend à fond pour la fin. Qu'est-ce qui t'a amené à l'écrire comme ça, avec autant de relief ?
J'ai écrit chaque piste dans l'ordre où elles apparaissent sur l’album et, du coup, c'est un peu un peu le même procédé que tous les autres albums. Je commence par la première et après je me concentre sur les quatre premières pistes. A la base, je l'avais pensé un peu comme un EP. J'imaginais faire quatre ou cinq titres au maximum pour une durée totale de 30 minutes avant de prendre une autre direction. Donc, les quatre premières tracks, j'ai mis un peu tout ce que je voulais, mais ensuite, je me suis dit qu’il y avait d’autres choses à explorer quand même. C'est à partir de là que je suis parti sur des choses plus expérimentales, telles que "The Swimming Pool"… Et je me suis dit : « maintenant c'est un album, il faut donc que je continue » et il fallait que la fin parte loin, sur un « climax » quelque part.  

L’album dénonce la société actuelle, très manichéenne, très conflictuelle. Est-ce pour cela que les deux parties paraissent assez délimitées, mais communiquent tout de même un peu entre elles ?
Oui, il y a de ça. Même dans la manière dont c'est écrit, il y a des changements de style un peu drastiques au sein d'une même musique. Une piste peut partir en black metal d’un coup, avec des guitares et de la distorsion, tout comme une autre peut s'engager sur une grosse électro dark un peu industrielle. Et en fait, c’est un album qui parle de conflits, donc même musicalement, il y a plein de choses qui sont en dissension et ne devraient pas fonctionner ensemble, presque comme des échanges de questions/réponses, voire une engueulade dans la musique. C’est un peu pensé comme ça.


Quand tu élabores ces idées qui se contredisent, un peu conflictuelles, comment les construis-tu ? Cherches-tu forcément l'opposition totale ?
Pas forcément l'opposé, mais un changement au sein de la piste. Je me demande donc ce que je pourrais faire qui serait un élément auquel on ne penserait pas et un peu différent. Pas forcément l'opposé, sinon on aurait un autre style de musique au sein même de la piste, mais j’ai plutôt tendance à me demander jusqu'où je peux l'emmener, pour qu'on ne s'y attende pas, mais que cela complète tout de même le début.

La plupart de l'album est instrumental. Comment transmets-tu un message dans une composition sans paroles ?
Ce n’est pas facile (rire) ! Mais il faut que la musique inspire quelque chose, génère une énergie… C’est un cliché de dire ça, mais il faut que la musique parle d'elle-même et que l’on se dise : « là, il est énervé, donc c’est une piste rapide », ou par exemple sur "The Swimming Pool", c’est une piste un peu… peut-être pas mélancolique, mais c'est un peu comme une fin de bataille. Ensuite, il y a aussi les titres des pistes, leurs noms, la manière dont ils sont placés dans la tracklist. C’est un peu comme ça que je fais, tant bien que mal. On essaie de créer une petite histoire, mais sans paroles.

C’est vrai, cet album suscite des émotions assez étranges car d’un côté, la production est très propre, mais de l'autre, il y a quelque chose qui m'a presque mis mal à l’aise à son écoute…
Oui, il y a un petit truc, un petit twist qui rend mal à l’aise et que j'aime bien. Dans tous mes albums, j'aime qu’il y ait une ambiance un peu sombre.

Quand tu écris, tiens-tu un « mood board » pour te permettre de tenir un fil conducteur à travers l'album ?
Eh bien, j'en avais auparavant, mais là, sur cet album, pas vraiment. Je savais ce que je voulais faire et je l’ai un peu pris comme il venait quand je le composais. Je savais quelle devait être l'ambiance de l'album. Je savais ce que je voulais faire. J'ai donc gardé ce thème en tête tout le temps et n'ai pas eu besoin de plus. J'avais une idée de la pochette et de la direction artistique du disque également, pendant que je faisais l'album et qu’il n’était pas encore fini. J'avais une idée bien définie et pas besoin de trop me prendre la tête là-dessus.


​​La pochette de l’album inspire d’ailleurs de la sérénité. Une contradiction de plus !
Oui, la photo de la pochette a été faite dans le musée Tegner, au Danemark. C’est le musée consacré à Rudolph Tegner, un sculpteur danois qui a été rejeté par beaucoup d'institutions d'art, parce qu’il était un peu anarchiste. Il avait des idées assez sombres et peu conformistes. Il s'est dit : « si personne ne veut présenter mes œuvres, je vais ouvrir mon propre musée ». Il a donc acheté un bâtiment hyper brutaliste au milieu de nulle part. On dirait presque un bunker, et toutes ses statues y sont exposées. Et il a même été enterré dans le musée. La pièce donc que tu vois sur la pochette est celle où se trouve sa tombe. Il repose au milieu de cette pièce circulaire avec les statues qui sont énormes, d’ailleurs ! C'est immense.


J’ai beaucoup aimé "The Art of War" qui était un des premiers singles. Je trouve que ça introduisait pas mal le concept de l'album avec son côté martial et le sujet autour de la passion morbide face à la violence aujourd’hui. Un moment particulier t'a-t-il incité à écrire sur ça ?
Sur ce titre, je me suis dit qu’il fallait une piste un peu militaire, un peu techno, parce que j'en ai toujours eu sur chaque album. Et je me suis dit que pour "The Art Of War", ce serait parfait de s'en servir pour produire quelque chose de vraiment martial, avec le clip qui retranscrit parfaitement le thème. Je me suis juste dit que ce serait la track militaire du disque.

Et dans le choix du thème, un moment dans ta vie en est-il à l'origine ?
C'était pour le tout premier morceau, celui que j’ai fait avec ULVER. Ils me demandaient de quoi l'album parlerait, et à l'époque, je n'avais pas trop d'idées. Je me suis demandé ce dont je voulais parler, et ce que j’aimais bien dans ses paroles. ULVER parle beaucoup d’Histoire, surtout dans "Assassination Of Julius Caesar", qui est mon album préféré du groupe. Je me suis dit que j’avais envie de parler de ce qui se passe dans le monde, finalement. Pour celui d’avant, « Lustful Sacrament », ce que j'ai fait avait été vachement introspectif, ça parlait surtout de moi, de mes addictions, de mes excès, etc. J’ai alors senti que pour celui-ci, ce serait bien d'orienter l'album sur la manière dont je vois le monde. Je ne pense d’ailleurs pas être le seul. J’ai eu alors envie que ça parle de guerre, de l'être humain et de la capacité qu'on a à s'entendre.

Comment vis-tu cette période où les conflits se multiplient autour de nous ?
J’ai un regard très extérieur là-dessus. Je ne suis pas affecté par les conflits. Je me sentirais donc un peu illégitime d'avoir un avis là-dessus, ou de me plaindre. Je me dis surtout que l'humanité fait ce qu’elle a toujours fait : se foutre sur la gueule...

Parlons d’une des chansons les plus singulières de l’album, "The Swimming Pool", qui donne une ambiance un peu à la « Twin Peaks », de David Lynch…
Oui, un peu à la Angelo Badalamonti !


​Cela fait-il partie de tes influences assumées ?
J'adore David Lynch. C’est un de mes cinéastes préférés. Cela étant, je ne sais pas si c'était l'influence principale là-dessus. Elle a surtout été beaucoup inspirée par un morceau d'un jeu vidéo, « Castlevania 4 ». Et je voulais un titre avec beaucoup de piano. A la base je l’avais faite pour un autre projet, mais finalement je me suis dit que je voulais que ce soit du Perturbator. Et en fait, ça se mêlait très bien avec le reste de la tracklist, créant un bon moment de répit avant ce qui suit.

J’ai justement beaucoup apprécié ensuite "Mors Ultima Ratio"…
"Mors Ultima Ratio", c'est un peu "la dernière bataille" en quelque sorte. L'album parle de guerre, et c’est la dernière piste agressive sur celui-ci. Le titre signifie en latin que la mort est le dernier recours. Il n'y a pas vraiment de thème, ni vraiment de propos derrière. C'est un single fait pour balancer un maximum, avant d’arriver au final de l’album.

Le dernier titre de l’album est réalisé en collaboration avec ALCEST. Comment a-t-elle été initiée ? As-tu travaillé de la composition au résultat final avec Neige ou est-ce juste un apport de sa voix ?
Juste sa voix. Je voulais qu’il y ait "Age Of Aquarius", une espèce de mantra. C'est basé sur quatre notes qui se répètent et qui montent en intensité avec des couches qui se superposent. Et on s’est dit avec Stéphane (le prénom de Neige d'ALCEST, ndlr) que ce serait parfait d'avoir sa voix sur l’album. Il fallait que ce soit sur cette track, vu que son chant s'adapte à merveille aux nappes de synthés. Sur celle-là, il fallait qu’il pose des nappes de voix comme si c'était un synthé et qu’à la fin il crie comme il le fait dans certaines chansons d’ALCEST.

Et de manière générale, est-ce ton fonctionnement d’ajouter uniquement la voix sur une composition que tu as créée de A à Z ?
Oui, sur chaque collaboration, je sollicite juste la voix des collaborateurs. Donc, avec ULVER je n’avais besoin que de la voix de Kristoffer Rygg, de même pour ALCEST et pour AUTHOR & PUNISHER.

Pourquoi as-tu appelé l'album « Age Of Aquarius », d’après le titre éponyme ?
C’est basé sur un concept d’astrologie, même si je ne suis pas grand fan de la discipline. Il semble qu’en astrologie, cela corresponde à une phase lorsqu'on entrerait dans une période où l'être humain atteindra une espèce de déclic : « c'est bon, on arrête les conneries, on arrête la politique merdique, on arrête la religion et tout ça ». Il y a également un aspect anti-religieux dans l’album, parce que je suis contre les religions. L'ère du Verseau correspondrait à cette période où l'on se réveille un peu. L’humanité se ressaisit et on arrête les conneries : on se focalise sur le bénéfice de l'humanité et on arrête les histoires de religion ou de manigances. C’est la raison principale du titre, donc, mais c'est aussi parce que moi-même je suis Verseau. J’ai trouvé que c’était une bonne allégorie de tout cela.

J’ai également remarqué qu'il y avait un petit interlude à la fin de "The Swimming Pool", accompagné d'un message anti-religieux, il me semble. D’où vient l’extrait ?
C'est tiré d'un film. Il y a deux samples de films. Mais celui dont tu parles vient de « Bride Of Reanimator ». C'est la suite du film « Reanimator », qui parle d'un scientifique qui a réussi à trouver un sérum pour faire revivre les morts. Et il a toute cette tirade, ce monologue à un moment où tout le monde dit que ça va à l’encontre de Dieu, etc. Mais il répond : « moi, ce que je fais, c'est créer des trucs ». J'aime bien ce monologue et il colle également avec le message anti-religieux.

Tiens, quel film correspondrait le mieux à cet album selon toi ?
Bonne question parce que je ne sais pas trop ! J'imagine dans la veine d'« Apocalypse Now » parce que c'est un film de guerre, mais qui n’y ressemble pas vraiment. C’est plus psychédélique, avec la thématique de la guerre, mais qui aborde surtout la façon dont ça pourrit le cerveau, ça change les personnes, ça change les hommes. Donc, oui, je dirais « Apocalypse Now » !

Tu te produis début décembre au Bataclan, deux soirs de suite. Comment appréhendes-tu ces concerts et as-tu prévu quelque chose de spécial pour ces dates ?
Oui, je vais sans doute proposer une setlist un peu différente pour les deux. Je ne vais pas non plus changer toute la setlist, bien sûr, mais il y aura quelques titres que je ne jouerai pas le deuxième jour, et que je remplacerai par d’autres.

Généralement, construis-tu tes concerts sur le même bloc commun ou laisses-tu un peu de place à des changements ?
Plutôt pour les changements de setlist. Avant, je proposais davantage une espèce de bloc qui ne bougeait pas. Mais maintenant, je m'amuse un peu à changer. Evidemment, je préviens tout le monde… et je préviens toujours le batteur, surtout ! Mais oui, on s'amuse, on peut bouger les choses. Mais je sélectionne les tracks avec un petit contrôleur MIDI. Je sélectionne quel backing va jouer, et quel métronome va jouer pour quel single. Et on peut s'amuser : si on se dit que ça nous embête de jouer un single, par exemple, on peut le changer. C’est flexible !

L'album recèle-t-il d'un détail inattendu que tu aimerais bien que les gens remarquent ou retrouvent ?
Il y en a un petit. Après c'est vraiment pour les gens qui connaissent et écoutent la même musique que j'aime. Mon groupe préféré, c'est THE DEVIL’S BLOOD. Et le guitariste avait un projet solo qui s'appelait SELIM LEMOUCHI AND HIS ENNEMIES. Il avait samplé un film dans son album solo, et j’ai re-samplé le même film pour deux secondes. C'est donc un peu une référence. Le sample colle au thème de l'album, mais c'est aussi une petite allusion à THE DEVIL’S BLOOD et Selim Lemouchi. C’est l’extrait d’un homme qui parle à Dieu et dit : « je vois que tu es là, tout le monde me dit que tu existes, mais toi, vois-tu que j’existe aussi ? » A découvrir juste avant le dernier titre.

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