Tout juste un an après le très classieux Duke, annonciateur d'un vrai virage musical dans la carrière du groupe, Genesis retourne à "The Farm", le studio dont ils sont désormais propriétaires, situé dans une ferme du Surrey.
Si Duke avait inauguré une nouvelle orientation musicale tout en ménageant les susceptibilités des premiers fans, Abacab enfonce littéralement le clou avec un album qui n’a décidément plus grand-chose à faire dans la catégorie "rock progressif". La suite « Dodo / Lurker », par exemple, n’en est plus qu’une pâle tentative de représentation.La production, confiée à Hugh Padgham (connu pour sa collaboration avec The Police, notamment), pose les jalons de ce que sera le groupe dans les années 80 : un son très « FM » allié à des titres formatés, accrocheurs, efficaces et surtout, considérablement raccourcis.
Les fans de la première heure déserteront, écœurés, les expérimentations musicales de cet album pourtant particulièrement créatif et sans doute le plus novateur de la carrière du groupe, d'ailleurs reconnu et salué en tant que tel par le maître Peter Gabriel en personne. Le succès commercial sera aussi au rendez-vous et ce nouveau disque ne fera qu’amplifier la renommée internationale de Genesis. Le succès surprise mais mérité, remporté par le premier album solo de Phil Collins, Face Value, renforce ici l’influence du chanteur dans le groupe (« Man On The Corner »). Ainsi, la section de cuivres d’Earth Wind & Fire se retrouve dans « No Reply At All » et l’improvisation générale prend le pas sur l’écriture traditionnelle telle qu’elle était pratiquée jusqu'alors. Le groupe se retrouve en studio et enregistre des heures durant, au gré des inspirations pour faire le tri ensuite dans ses sessions d'enregistrement. Les textes sont relégués au second plan et, pour la première fois, ne figurent même pas dans la pochette du disque. Ces expérimentations aboutissent à des compositions parfois très controversées (« Who Dunnit », honni, même des fans les plus « jusqu’au-boutistes ») tout en côtoyant le carrément génial comme « Me And Sarah Jane » à la rythmique syncopée, qui démontre, si besoin est, que Tony Banks demeure encore et toujours le gardien de la flamme.
Autant adoré que détesté, Abacab marque une étape majeure dans la carrière de Genesis et rien ne sera plus pareil après. Il faut néanmoins reconnaître à ce disque une volonté de faire table rase du passé, sans pour autant trahir le prestigieux héritage musical du groupe.
