Mars 2013 : stupéfaction, étranglement, gasp. BLACK COUNTRY COMMUNION over. Out. Done. Finished. Fucked. Kaput. Par communiqué de presse, Glenn Hughes annonce la fin de ce supergroupe qui aura tout de même tenu trois albums - un de moins à peine que CREAM. Les boules, parce qu’en trois albums studio, le quatuor de rêve s’était montré exponentiellement excitant, "Afterglow" en étant à la fois le chant du Cygne et l’apogée artistique. Alors que Glenn, 62 ans, montrait une soif démesurée d’aller défendre sur scène toutes les compositions de son groupe de tueurs, Joe Bonamassa préférait lui se concentrer sur sa carrière solo et ne se contenter que de brefs passages en studio pour faire vivre BCC, évitant donc fermement l’exercice de toute tournée mondiale chronophage pour le stakhanoviste de la guitare qui, aussi surdoué et talentueux soit-il, semble depuis se payer une bonne tranche de melon, entre nous soit dit. Alors que Glenn, lui-même conscient de son inestimable talent, de cet incroyable alignement des étoiles lui permettant de jouer avec Joe, Bonham fils et Derek Sherinian, et surtout de la chance inouïe d’être encore vivant après être sorti du caniveau en s’offrant une seconde vie saine et striée d’ondes positives, n’avait pour ambition que de profiter au maximum d’un tel groupe et de le faire perdurer le plus longtemps possible.
Juillet 2013 : comme tous les étés, nous dînons chaque soir de nos séjours angelinos au Rainbow Bar & Grill sur Sunset Boulevard. La jeune waitress type Bunny rock’n’roll nous place dans un de ces boxes aux banquettes de skaï pourpre, et plus précisément dans celui directement voisin de Glenn Hughes, attablé avec un ami devant une de ces monumentales pizzas à $17.00. Ma fille s’agite et me demande si « celui-là aussi il est connu ». Un peu ma chérie, un peu. Il m’a néanmoins fallu de peu pour bondir et l’alpaguer, l’envelopper par les épaules et le rassurer : « mec, t’inquiètes. Joe t’a fait une crasse, mais ça va pas se passer comme ça. Tu vas te ressaisir et leur montrer qui c’est le boss. On a confiance en toi, t’es le meilleur. T’es The Voice Of Rock quoi, merde ! Pas besoin d’un guitar-heroe habillé comme un comptable pour te faire de l’ombre. Va vite nous trouver deux ou trois autres zicos et montes-nous un nouveau band. De toutes façons, y-a qu’en groupe que t’es le meilleur. Go Glenn, go ! ». En fait non. J’ai gardé dignité, discrétion et respect. Mais vu que nos regards se sont croisés plusieurs fois au-dessus de nos plateaux de pizza (dans les brasseries parisiennes nous avons des plateaux de fruits de mer, au Rainbow c’est plateaux de pizzas), il a dû se passer quelque chose, télépathie, eye-contact, un truc.
N’empêche que ça a presque marché, puisqu’en peu de temps Glenn est revenu, regonflé à bloc avec un groupe. Un trio. Un power-trio. Le premier depuis TRAPEZE d’ailleurs, 1972. Merci Jason Bonham d’être resté fidèle au poste : tu en es d’ailleurs récompensé puisqu’ici ta frappe magistralement héritée n’a jamais été aussi magnifiquement mise en avant. Quel son nom de Dieu : on connait un sacré buveur moustachu qui doit être sacrément fier là-haut... Car outre son expérience enfin assouvie avec LED ZEPPELIN pour le fameux concert de l’O2 à Londres, c’est bien avec tonton Hughes que Bonham Junior voit enfin son savoir-faire aussi bien exploité - il était temps. Autour du jeu mastodonte de Jason, Glenn enroule son jeu de basse toujours aussi groovy avec la souplesse et la puissance légendaires qu’on lui connait depuis plus de quarante ans... sans parler de la robustesse de sa voix, intacte, aussi majestueuse que toujours gorgée de feeling soul et de vigueur définitivement rock’n’roll. Quel maître, mais quel maître !!! Petit dernier arrivé dans cette famille comptant bien trois générations, la nouvelle recrue, inconnue mais prodige : Andrew Watt. Discret, vert, vif, acéré mais pas frimeur pour un sou, le jeune new-yorkais de 23ans est véritablement issu de la vieille école : pas celle des shredders en boîte made in L.A, mais plutôt de la veine des Jimmy Page, Jeff Beck, Leslie West ou de son idole Mick Ronson, garant de l’efficacité d’un hard-rock anglo-saxon des early 70’s où chaque note, chaque riff a son importance dans la construction d’une chanson. Le garçon brille autant dans les rythmiques que dans des soli de folie ("Scars"), où le terme Classic-Rock reprend toute son importance et se conjugue désormais au présent.
Classic rock ultime donc, le temps de douze chansons fortes, puissamment exécutées et scintillantes de classe naturelle : d’emblée "The Way" explose comme si le meilleur d’Hendrix période "Electric Ladyland" grondait et ondulait avec LED ZEPPELIN deuxième opus, mis en boîte avec soin, amour, précision et énergie par un amoureux des 70’s déjà responsable du son des RIVAL SONS, Dave Cobb. Surenchère dès le deuxième titre : on a tous entendu le premier extrait "Sweet Tea", ultra dynamique, frais, intense et frondeur, meilleur single possible pour présenter avec panache et fougue au monde entier les effets magiques de leur formule secrète. On a déjà carrément oublié BLACK COUNTRY COMMUNION : plus riche encore, vecteur d’un classicisme Champagne - on frôle à plusoeirs reprises le Bowie de Ziggy Stardust, notamment sur un "Spit You Out" intenable. Tantôt incroyablement heavy ("Scars"), soit plus subtilement emprunt d’un psychédélisme enivrant et mordoré ("Chemical Rain", obscur reliquat de "Physical Graffiti" ???), ou bien encore plus typiquement gorgé d’une soul historiquement chère à Hughes ("Midnight Oil"), "California Breed" est un premier album aussi dense que parfait, irrésistible et plutôt hétérogène dans la palette d’émotions véhiculées, d’autant que cette irréprochable collection de douze titres se conclue sur “Breathe”, dernière note émouvante, hantée et tourmentée, sorte de power-ballade semi-acoustique antique et épique, surpassant même la déjà très efficace "All Falls Down".
Immense Glenn Hughes, l’un des derniers grands mythes du hard-rock à se bonifier projet après projet, complètement imperméable aux attaques de l’âge.