10 juin 2014, 23:37

HELLYEAH : "BLOOD FOR BLOOD"

Album : Blood For Blood

On parle d’album de la maturité. C’est à la fois un point de vue forcément très positif dans l’évolution du groupe, mais à l’écoute de ce quatrième album charnière, il apparait qu’HELLYEAH ait cependant perdu une facette non négligeable de sa personnalité : le fun. Il est vrai peu finaude, grossière et franchement bas-du-front, la musique des américains, cependant loin de ne se résumer qu’à du party-metal pour redneck, comportait bon nombre d’hymnes à la joie sous une sévère ébriété : la ballade “Alcohaulin’ Ass”, le classique fédérateur “Drink Drank Drunk”, l’éponyme “Hellyeah”, et j’en passe. 

En 2014, avec le très douloureux départ de Greg Tribbett —partenaire de Chad Gray chez MUDVAYNE et donc HELLYEAH pendant près de vingt ans — et du bassiste tout aussi historique Bob Zilla, le quintette désormais réduit à quatre individus (Tom Maxwell prend en charge toutes les guitares en studio et Kyle Sanders est promu à la quatre-cordes ; un cinquième gusse est néanmoins pressenti pour les tournées) semble, timide euphémisme, remonté à bloc. Difficile même de faire plus revanchard que “Blood For Blood”, tant cet album est empli de colère, de rage non feinte et si une plus large palette d’émotions reste perceptible, elle tire davantage sur le noir, le gris anthracite... ou le sang, plutôt que sur le rosé qui tâche. 

L’heure est donc grave : exit les séances de picole jusqu’au coma, les strippeuses et les fiestas jackass-style dans des tour-bus aux doux parfums de testostérone. HELLYEAH n’a plus vraiment envie de déconner et leur power-metal hybride a parfaitement su conjuguer la somme d’influences de ses différentes parties, principalement MUDVAYNE et PANTERA, en un tout plus cohérent et désormais dôté d’une personnalité singulière. Les morceaux sont directs, graves, sombres, frondeurs et particulièrement agressifs, alors que seules deux respirations salvatrices viennent aérer et tempérer ce bloc de violence : les mélodies contagieuses de “Moth” et un “Hush” tout aussi sensiblement calibré pour les radios, comme STONE SOUR saurait si bien les ficeler. En fin de parcours, “Black December”, mid-tempo plus émotionnel et lyrique, se pose, on l’aura tous compris, comme un nouvel hommage ouvertement adressé au frère de Vinnie Paul, le si regretté Dimebag Darrell, assassiné par un fan paranoïaque schizophrène complètement allumé un certain 8 décembre, partageant cette date funeste avec John Lennon, descendu dans un contexte étrangement similaire. “Black December” possède d’ailleurs tout du tube potentiel, fougueux, enlevé, porté par des choeurs soulignant l’intention dramatique et néanmoins plus accessible de cette chanson.

Ailleurs, tout n’est que bourre-pifs : d’emblée, on jurerait reconnaître Robb Flynn et un MACHINE HEAD direct et sans prétention sur “Sangre Por Sangre (Blood For Blood)”, nouvel étendard éloquent qu’on imaginera sans mal ouvrir le bal, et éventrer une fosse de fous-furieux en pleine ébullition - le song-writing est ici simple et uniquement axé sur l’efficacité d’un nouvel hymne guerrier, fièrement brandit dans la tradition HELLYEAH, viril et déterminé, mais ici l’humour en moins. “Cross To Bier (Cradle Of Bones)” ou “Say When” (qui fait très très mal) sont toutes autant de missives soulignées par des riffs forcément super heavy, une rythmique huilée sur roulement à bille tenue par l’expert Monsieur Paul, et une verve particulièrement colérique du sieur Gray qui rappellera le tempérament bien sanguin de Corey Taylor dans SLIPKNOT tant on imagine sa jugulaire bien saillante lorsqu’il s’égosille ainsi. 

On appréciera -ou pas !- le changement drastique de production, suite aux interrogations, remarques et protestations variées concernant le son du précédent “Band Of Brothers” en 2012, complètement calqué sur un certain “Vulgar Display Of Power” : et pour fêter le vingtième anniversaire de ce dernier, Vinnie Paul n’avait pas oublié comment placer ses micros et aligner les curseurs de sa table de mixage, promu producteur autocrate de ce troisième album efficace mais décrié tant il repompait avec exactitude toutes les recettes du célèbre album de PANTERA. Sauf que de “Band Of Brothers” unifié et fraternel, il ne restait plus grand chose quelques mois plus tard... Anyway. Au moins saluerons-nous un groupe qui a peut-être enfin trouvé sa voie sans forcément se calquer à n’importe quel prix sur une formule gagnante déjà bien éprouvée par l’un de ses membres : “Blood For Blood” est-il au moins bien singulier, avec une production américaine bien caractéristique, compressée, compacte, massive et chromée, servant donc au mieux des compositions taillées dans le metal US moderne.

Après, si album de la maturité il y a, on ne peut s’empêcher de penser que ce nouvel album est encore loin du chef d’oeuvre ni du disque qui marquera son époque, “Blood For Blood” n’apportant pas grand chose de plus ni de neuf au sein d’une production pléthorique sur le marché nord-américain, tout juste de quoi se mesurer aux FIVE FINGER DEATH PUNCH, AVENGED SEVENFOLD, STONE SOUR ou autres DEVILDRIVER définissant les standards actuels entre brutalité évidente, surenchère dans la démonstration de puissance suprême, et petites concessions distillées ci et là pour espérer percer ailleurs que dans les arènes de hockey du mid-west...

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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