Subsiste malgré nous l’impression que les californiens sont restés retranchés dans une zone de confort cotonneuse depuis une bonne décennie, ne livrant que sporadiquement une poignée d’albums fonctionnels et par conséquent plus confidentiels, souffrant inévitablement des comparaisons avec le séminal “The Action Is Go” en 1997. Aussi engourdi dans sa complaisance que ne l’est le stoner freak enveloppé dans leur magma bourdonnant, le groupe s’échappe d’une longue hibernation et s’expose à nouveau sous l’écrasante chape du désert, livrant un neuf titres presque miraculeux : en moins de cinq minutes, FU MANCHU enchaîne donc pulsations tachycardiques, punk-rock fuzzé et jam lysergique minimaliste, soit les codes du genre réunis sur l’introductif “Dimension Shifter”, rappelant ainsi, avec simplicité mais revanche, qui est le patron - peu enclins à continuer à s’enliser dans la parodie, Scott Hill, Brad Davis & co choisissent de tordre le cou à tous les sceptiques, dont j’avoue aujourd’hui quelque peu honteusement avoir fait partie depuis ces quelques derniers albums. Si j’avais pris une claque ultime après leur concert au Divan du Monde le 15 avril 2002, les albums suivants ne semblaient hélas pas dégager les mêmes saveurs que celles des amplis fumants en live, et que dès lors, aucun disque ne pouvait égaler cette puissance, cette énergie ni ce son massif, brut et groovy pour le coup parfaitement capturé sur “Go For It... Live”, double manifeste comme on en fait si rarement, et considéré ici comme l’un des meilleurs albums en concert de notre chère discothèque, point à la ligne.
Mais derrière ? Soyons sérieux : ni “Start The Machine”, ni “We Must Obey” ni “Signs Of Infinite Power” n’avaient franchement convaincu et, sans être foncièrement mauvais, avaient déçu et donc malheureusement relégué FU MANCHU une division derrière, créant la colère : bordel, on parle tout de même d’un des groupes les plus cultes de cette fabuleuse nébuleuse qui, au même titre que KYUSS, MONSTER MAGNET, NEBULA ou CLUTCH, a largement contribué à définir ce qu’est depuis 25 ans le stoner.
On retrouve avec bonheur sur “Gigantoid” bon nombre de brulots frondeurs tels que “Invaders On My Back”, “No Warning” ou “Triplanetary”, missives in-your-fuckin-face avoisinant les deux minutes et révélatrices de leur facette ouvertement punk - n’oublions pas qu’une des grosses influences du Fu est bien le hardcore US des early 80’s, comme il serait de bon ton de rappeler leurs fortes similarités avec un autre groupe culte de l’underground stoner/indé, THE SUPLECS, ayant sorti des disques chez Man’s Ruin, LA défunte référence des labels stoner...
Autres ambiances plus confortables et propres à l’inhalation de bongs sous lumière noire, “Anxiety Reducer” renoue avec ces morceaux implacables, mid-tempos placides et nonchalants à forte valeur mélodique, aussi écrasants qu’hypnotiques et marque de fabrique des californiens depuis le début, tandis que “Evolution Machine” marque si aisément le lien entre fièvre gorgée de fuzz et mesures terriblement heavy avec moultes cassures rythmiques bien anguleuses, entre speederies effrontées et lourdeurs quasi doom. “The Last Question” clôt quant à lui l’album sur près de huit minutes et s’éternise le temps d’une douce litanie desert-rock complètement kyussienne, s’éteignant à petit feu sur une ligne de basse envoûtante, et qui accompagnerait idéalement ces mystiques couchers de soleil mordorés sur les montagnes mauves de la vallée de Coachella : c’est déjà une évidence, on écoutera ça cet été en traversant la forêt de mille éoliennes en arrivant sur Palm Springs sur la 10 East.
Que dire de cette production gigantoïde donc : analogique, vintage, brûlante et redoutablement puissante, honorant à merveille la fougue et le talent de ces vétérans ayant enfin retrouvé la foi et l’envie de nous en (re)mettre plein la gueule, façon old school... “Gigantoid” est purement de la trempe des “Eatin’ Dust”, “In Search Of”, “King Of The Road” et donc bien sûr “The Action Is Go” : fidèle et à la hauteur de son titre monumental, ce onzième véritable album studio sorti sur le propre label du groupe (At The Dojo Records) est la réussite que l’on n’attendait plus, et donc une claque, aussi magistrale que ne l’est cette splendide pochette, véritable hommage à la grandeur d’antan de tous les chefs d’oeuvre de space-rock ou de heavy seventies.