Si les groupes de metal de toute obédience n’ont jamais hésité à reprendre des titres pop ou funk, l’échange de bons procédés est nettement plus rare. Pas que l’on s’en plaigne plus que ça, soit dit en passant, c’est une simple constatation. Pourtant, quelques artistes – exclusivement féminines ! – se sont frottées à l’exercice. Alors : sacrilège ou pas ? A vous de juger…
"Babe I’m Gonna Leave You" – LED ZEPPELIN
L’original : Largement popularisé par LED ZEP sur son premier album sorti en 1969, “Babe I’m Gonna Leave You” avait déjà été repris sept ans plus tôt par Joan Baez. Une artiste engagée qui composera “Diamond And Rust” que revisitera JUDAS PRIEST deux ans plus tard sur « Sin After Sin » (77). Ce qu’ignore Jimmy Page à l’époque, c’est qu’il ne s’agit pas d’un titre traditionnel comme il le pense mais bien d’une chanson originale composée en 1950 par une certaine Anne Bredon. Quand le fils de cette dernière se manifestera, vingt ans plus tard, pour demander aux musiciens de créditer sa mère et de lui verser des royalties, ce bon Jimmy acceptera sans sourciller vu que LED ZEPPELIN a déjà été accusé à plusieurs reprises de plagiat, pour “Whole Lotta Love” et “The Lemon Song”, entre autres. Et pas plus tard qu’en mai dernier pour l’intro de “Stairway To Heaven” (!). Mais peu importe le créateur au fond, la puissance émotionnelle, le feeling et le groove sont exceptionnels et le titre demeure l’un des plus forts du répertoire du Dirigeable. Et puis c’est tout !
La reprise : Pour la plupart des fils et des filles du metal, Pink n’est rien d’autre que l’une de ces trop nombreuses chanteuses de pop interchangeables et, surtout, jetables. Si ce n’est que l’Américaine, non contente d’être une grande performeuse, a une véritable âme de (hard-)rockeuse. Quand, sur le DVD « Funhouse Tour : Live In Australia » (2009), elle attaque “Babe I’m Gonna Leave You”, ça fout les poils. Le feeling, l’émotion, le grain de voix, le solo de guitare (signé Justin Derrico), tout y est. Et quand elle reprend le monument “Bohemian Rhapsody” de QUEEN, ça le fait tout autant. En même temps, sa tournée australienne débutait par sa version (tronquée) de “Highway To Hell”, alors… Méfiez-vous des préjugés !
"You Shook Me All Night Long" – AC/DC (1980)
L’original : Quand AC/DC revient avec « Back In Black », cinq mois seulement après que Bon Scott soit parti pour un baroud d’honneur sur l’autoroute de l’Enfer, nombreux sont ceux qui pensent que le groupe ne pourra jamais s’en remettre. Contre toute attente, l’album, qui dépassera les 50 millions de ventes dans le monde, devient un classique immédiat et aujourd’hui encore, “You Shook Me All Night Long”, premier single qui en sera extrait, est un titre incontournable du répertoire live des kangourous.
La reprise : Il y a des noms que l’on pensait ne jamais trouver sur ce site. Contre toute attente, en reprenant “You Shook Me…” en live, Céline Dion a gagné sa place dans ce top 5. Que l'on n’apprécie ou pas la Canadienne (bon, dans l'ensemble, on ne l’apprécie pas du tout), il faut bien reconnaître que l’effet de surprise couplé à son coffre font de sa version une surprise pas désagréable. Surtout que “S’line” a convié Anastacia, bombe blonde au timbre black qui fait ce qu’elle veut avec sa voix, à partager le chant avec elle. On ne s’infuserait pas ça tout la journée, il y a des limites quand même, mais voir la chanteuse qui a vendu plus de 400 millions d’albums dans le monde arpenter la scène en mode Angus à stilettos, même si elle ne va pas jusqu’à se rouler par terre (par respect pour son brushing), ça vaut le détour. On notera au passage que le texte, qui parle d’une nuit torride, a été adapté au masculin. Faut pas pousser, le courant alternatif/courant continu sous-entendu dans le nom AC/DC, c’est pas le genre de la maison !
"Raining Blood" – SLAYER (1986)
L’original : “Raining Blood”, c’est, depuis bientôt trente ans, un classique absolu du thrash. Un des titres phares de « Reign In Blood » de SLAYER qui figure au panthéon des albums du genre et qui a marqué un tournant dans la musique extrême de la fin des 80’s, au même titre que « Master Of Puppets » de METALLICA. Un riff immédiatement mémorisable, composé par le regretté Jeff Hanneman, qui donne toujours la chair de poule quand le groupe l’attaque sur scène. Un must.
La reprise : Peut-on encore parler de cover quand un morceau est tellement différent de l’original, tellement déstructuré, que l’on ne peut l’identifier que par son titre et ses lyrics ? C’est la question qui se pose quand on découvre la version enregistrée par Tori Amos sur « Strange Little Girls » (2001), son sixième album uniquement composé de reprises écrites et jouées par des groupes ou artistes masculins. Une interprétation dont Hannemann disait ne pas être très fan… Il faut dire que, toute en violence intériorisée, la chanteuse/pianiste sexy est l’antithèse de la machine de guerre californienne. Pourquoi cette improbable version alors ? « Quand un de mes musiciens m’a suggéré de reprendre “Raining Blood”, les Talibans avaient pris le pouvoir, explique Mrs. Amos. J’ai eu aussitôt l’image d’une vulve magnifique déversant une pluie de sang sur la brutalité masculine. » Only women bleed…
"Smells Like Teen Spirit" – NIRVANA (1991)
L’original : Titre d’ouverture de « Nevermind », ce morceau au texte opaque à tendance obscure, qui fut inspiré à Kurt Cobain par le Teen Spirit, un déodorant féminin bon marché, demeurera à tout jamais l’hymne de la génération X et des suivantes. Celui d’une époque où une vague de fond baptisée grunge a balayé de ses riffs, de son attitude anti-star et des chemises de bûcheron le monde de la musique. Celui où un pays aussi peu rock que le nôtre a vu le single squatter la première place des ventes et rester pendant 29 semaines dans le top 50. Un hymne, écrit par un camé dépressif (pléonasme ?) génial qui mettra fin à ses jours en avril 1994. Et qui, horrifié par le succès du morceau, refusera de jouer ce classique sur les dernières tournées de NIRVANA…
La reprise : Marraine du punk rock, poétesse, artiste, survivante des années 70 et bien d’autres choses encore, Patti Smith est une icône du rock. Après avoir parlé de Cobain dans “About A Boy” (clin d’œil au “About A Girl” du trio de Seattle) sur « Gone Again » (1996), elle s’attaque à “Smells Like Teen Spirit” sur « Twelve », un album de reprises sorti en 2007. Une version dépouillée, avec guitare acoustique, banjo, basse et violon mais sans batterie, qui fait pourtant mouche. Tori Amos a également repris le morceau au piano sur « Crucify » en 1992 ainsi qu’en live.
"Black Tongue" – MASTODON (2011)
L’original : Maîtres ès-sludge progressif, les Américains de MASTODON n’ont pas leur pareil pour composer des titres à la fois sombres, heavy et teintés d’un certain ésotérisme. Excellente entrée en matière de « The Hunter », leur cinquième album, “Black Tongue” donne le ton. Quelque part entre le metal moderne pachydermique et le rock progressif des Seventies, les quatre hommes ont su créer leur univers. Ce qui n’est pas donné à tout le monde…
La reprise : Artiste indé canadienne, Feist bénéficie d’une jolie réputation underground. Sa relecture personnelle du morceau du quartette d’Atlanta revu à la sauce garage rock fonctionne plutôt pas mal, même si on lui préférera largement l’original sous amphétamine. MASTODON a prouvé son respect pour la demoiselle en sortant avec elle, sous le nom de FEISTODON, un split single vinyle tiré à 5 000 exemplaires. Y figurent sa version à elle de leur “Black Tongue” et leur version à eux de son “A Commotion” (échange de bons procédés, Clarice) Vendu en quelques heures seulement, le 45 tours a par la suite été mis à disposition en version digitale.