18 janvier 2015, 20:26

MARILYN MANSON : "The Pale Emperor"

Album : The Pale Emperor

Ca n'engagera que moi, mais plus de 18 ans après, je continue à croire que "Antichrist Superstar" est le "The Wall" de notre génération.
Avoir une bonne vingtaine d'années à sa sortie et continuer ainsi à le plébisciter est un signe - mais outre sa puissance d'évocation, sa force, sa robe sulfureuse, sa narration et sa construction en font l'un des plus grands albums conceptuels de l'histoire du rock.
Eh oui.
Et de Marilyn Manson, une fois débarrassé de tout son Barnum, des frasques et de la publicité, un immense artiste. Avec de multiples parenthèses et bémols selon les époques. Parce que son dernier grand disque remonte quand même à près de quinze ans en arrière avec "Holy Wood", ou cette réponse pleine de meurtrissures, de violence et de ressentiments à une Amérique qui le pointe comme coupable de la tuerie de Columbine. Depuis, le Reverend s'est complètement cassé la gueule. A son apogée artistique correspond l'incroyable révélation aux yeux du monde entier d'un homme ambitieux et en recherche de sensations : sexe, drogues, expérimentations aussi décadentes qu'inqualifiables, mais aussi succès. Non seulement celui qui chantait en 1994 "I wanna grow up, wanna beeeee, a fuckin' rock'n'roll staaaaaaar" dans "Lunch Box" est non seulement parvenu à ses fins, mais il est au-delà même de ce fantasme devenu un people. Une star tout court, vaniteuse, parvenue et paresseuse. Et qui, abreuvé de ces mêmes sexes, drogues et expériences sans la moindre limite, l'ont rendu si affreusement assoupi et inoffensif. Celui qui s'ouvrait nerveusement le torse à coups de tessons de verre en se torchant avec des pages de la Bible ou en suçant son guitariste en plein délire cocainé s'est complètement repu de tous ses délires, ne pouvant ni aller plus loin, ni choquer davantage, et s'est reposé sur ses lauriers comme des dizaines d'autres avant lui. Et en atteignant tout autant ses propres limites d'expression artistique. "Antichrist Superstar" : immense chef d'oeuvre. "Mechanical Animal" : excellent postulat glam metal indus d'un apprenti Bowie voulant dépasser le maître. Et enfin "Holy Wood", ou l'accession au trône sous forme de potence ou de Golgotha, dernier hurlement d'un martyr couronné auquel on crache impunément à la gueule - qui, en tant que martyr, on s'en est assuré, s'est à ce moment-là déjà tapé des wagons de vierges.

Après la fatidique et prophétique charnière des années 2000, le néant, le gouffre abyssal. Oh, quoi, trois, quatre, cinq albums, peu importe, B.O de films, et autres clips esthétiques - avec cependant une poignée de singles corrects ("mObscene", voilà) parmi ces quelques reprises glauques-FM putassières de SOFT CELL ou DEPECHE MODE, venues surfer sur son hégémonie alors faussement trash, en reprenant les codes et ficelles édulcorées de son "Sweet Dreams" révélateur. Mais pour les suiveurs du culte "Antichrist Superstar", que dalle de dangereux, d'authentique, d'honnête. Plus vraiment de nerf, de tripes, encore moins de couilles. Et si à chaque sortie d'album on se prenait cinq minutes à rêver d'un retour en forme, la désillusion frappait inévitablement. Jusqu'à "Born Villain", le précédent album sorti en 2012 et qui enfin commençait à retrouver une certaine forme de dangerosité, de singularité et de personnalité à fleur de peau. Trois ans après, le constat au regard de ce même disque reste très favorablement positif : un très bon signe, passé l'engouement.

2015 : "The Pale Emperor". ENFIN. Autant prévenir qu'il est incomparable avec l'étalon de 1996. Mais au moins a-t-on sous la main de quoi se réjouir et se régaler, en étant rassuré sur ses intentions et ses desseins : si la Bête s'est empâtée et a salement pris cher avec ses cocktails vodka-Absinthe-coco en noyant ainsi toutes ses désillusions amoureuses, au moins revient-elle armée d'un disque plutôt phénoménal et en phase avec ce qu'un mec de 45 ans a à dire. Non, Manson ne nous la rejoue pas come-back Antichrist, encore moins Superstar, mais se montre à peu près tel qu'il est : blessé, fragile, humain, meurtri, nu, sincère. S'il sait encore usiter quelques-unes de ses chères vieilles recettes le temps de singles potentiels faisant néanmoins mouche ("Deep Six"), c'est avec des ambiances plus feutrées, chaloupées, groovy et intimistes qu'il nous séduit, mention particulière à ce très fort "Third Day Of A Seven Day Binge". L'on salue d'ailleurs aujourd'hui son incroyable nouveau bras droit, Tyler Bates, ici à la fois responsable de ces basses voluptueuses, que des programmations, de la direction artistique musicale, de la production et surtout de toutes ces parties de guitares, merveilleuses, pertinentes, et brassant des tessitures aussi habiles que miraculeuses, habillant avec une incroyable beauté bon nombre de chansons. Des chansons plus rock, plus mûres, habitées, fantomatiques, angoissantes mais vraies et esthétiquement impressionnantes, notamment cette splendide "Warship My Wreck". On pense d'ailleurs assez souvent à Bowie. Pas au Bowie de Ziggy Stardust, mais au Bowie plus expérimental que jamais errant entre "Station To Station" et "Heroes", goûtant à la musique instrumentale, ambiant, minimaliste et expressionniste. Cette "Warship My Wreck" est grave, intense, profonde, transpercée d'une grande humanité, d'une rare souffrance : la vache, jamais Manson n'avait paru si vulnérable, si nu et si proche de nous, livrant un ensemble de morceaux auxquels on ne peut qu'adhérer et être touché pour leur sensibilité et cette voix en bascule constante au-dessus du vide.

Ailleurs, c'est carrément du blues que nous offre Manson : lourd, martelé, épais sur "Killing Strangers", aussi torturé, nonchalant et plus classique sur un "Birds Of Hell Awaiting" rehaussé de cuivres, tandis que le joyau "Odds Of Even" vient clôturer l'album comme un dernier chef d'oeuvre désenchanté mais néanmoins stellaire, paradoxalement aussi chaleureuse que glaciale.
Un disque immense et signant avec une grande classe un retour qui l'extirpe enfin de la caricature et de l'ennui. On a beau ne plus être des midinettes qui se tailladent les avant-bras, on y croit encore, en espérant qu'il saura maintenant convaincre sur scène...

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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