14 juin 2015, 16:38

PARADISE LOST : "The Plague Within"

Album : The Plague Within

Depuis quelques 20 années qu’on les suit de près, on en aura reconnu des tendances : d'abord doom logiquement issu d'un death-metal adolescent, malhabile et caricatural, puis metal gothique à tendance SISTERS OF MERCY, puis une propension promotionnelle à voir chez eux les METALLICA anglais avec « Draconian Times », puis retour au gothique raffiné particulièrement élégant, du rock electro tendance DEPECHE MODE, un nouveau virage vers un metal plus rutilant, et dernièrement un énième revirement nettement plus sombre... Opportunisme ? Retournement de veste ? Parfois le doute a pu s’immiscer chez les sceptiques, lorsque ces virages parurent trop drastiques ; mais au final, au regard d’une carrière peut-être artistiquement inégale, on aurait personnellement tendance à croire que le groupe a exploré avec toujours autant de passion les différentes facettes de son univers, sans jamais trop dénaturer son essence, et en conservant par conséquent une identité qui lui a toujours été propre.
Pour ce quatorzième album, tous les qualificatifs de « retour aux sources » abondemment usités pour caractériser les sensibilités certes plus dark des trois-quatre derniers opus peuvent, s’il vous plait, disparaître du vocabulaire et autres superlatifs venus entourer les études de « Faith Divides Us - Death Unites Us » ou « Tragic Idol » - aussi bons furent-ils. Et merci, dorénavant, de bien placer le curseur en accueillant « The Plague Within », qui égale sans le moindre équivoque les débuts doom/death du Paradis Perdu, « Gothic » style.
On ne sait si une crise de l’âge est venue perturber le gang de Halifax, mais en tout cas, la petite cure de Jouvence putride dans laquelle a dernièrement baigné Nick Holmes en tant que nouveau hurleur chez BLOODBATH l’a réconcilié avec ses vocaux gutturaux d’antan. Retour aux racines pourrissantes du death-metal anglais de 1990, enfouissant leurs bras tordus et noueux dans la terre humide et charbonneuse d’un doom crépusculaire. Non, pas même la trace d’un soleil ici - fut-il agonisant -, mais bien de nuit profonde. Noirceur sans étoile qui nous évoque même carrément une certaine idée du black-metal, tant certains riffs, grains de guitares, orchestrations martiales et arrangements sentencieux rappellent SATYRICON (« Flesh From Bone », et bon nombre d’idées ci et là).
En ouverture « No Hope In Sight » crée momentanément l’illusion en entretenant une forme de passerelle entre le PARADISE LOST d’hier et la chute sans fin qui se prolonge lors des neufs titres suivants, et s’affiche bien comme la destruction massive de toute lueur d’espoir, assénée par des anglais aussi misérables que brutaux. Outre les vocaux à racler du polype au fond de la gorge de Nick Holmes, jamais le groupe n’avait sonné aussi menaçant et assourdissant, bénéficiant pour ce faire d’une production aussi old school que massive et puissante.

Peut-on faire plus doom, perturbé et sombre que « Beneath Broken Earth » ? Même si l’on connait l’aptitude, délicieuse et douce-amère, des anglais à manier un humour plus goudronneux encore que noir, les seules illuminations que viennent contraster le coeur de cet album sont tout juste anthracites. Quelques vocaux féminins stellaires, ok. Quelques arrangements de cordes  (« An Eternity Of Lies », « Victims Of The Past »), et les fulgurances de guitares de Greg Mackintosh apportent leur lot de musicalité bienvenue. Mais si Holmes vient comme il convient offrir de subtiles mélodies de sa voix claire, on ne peut pas dire qu’elles viennent nous réchauffer le coeur. Si « The Plague Within » s’écouterait plus volontiers au coeur d’un bois opaque et d’une nuit sans fin au solstice d’hiver dans les steppes finlandaises, sa découverte au printemps entre deux bières en plein BBQ pré-Hellfest s’avère difficile. De la joie banale de moments de vie spontanés, on bascule drastiquement dans un puit abyssal et infini de misanthropie, de noirceur avalant toute matière, et d’aliénation mentale nihiliste : PARADISE LOST ou l’art de vous broyer le moral, et de vous faire haïr toute source de bonheur éventuelle.
Pourtant on nous promet le retour de l’astre flamboyant en dernière piste : « Return To The Sun » a beau démarrer tel un requiem inquiétant, il s’agit bien entendu d’un leurre tant le concassage heavy doom vient achever les dernières gouttes d’espoir qui se seraient accumulées entre les plissures de votre front crispé. Tel le score d’un film catastrophe biblique, ce dernier chapitre au testament clot les débats et pourrait à lui seul sonner le glas d’un groupe qui pourrait très bien s’en tenir là pour sa dernière messe - de toute beauté.

Il faut du courage pour tenir tout le long de cet album : procurez-vous le vinyle, au moins le retournement de face vous épargnera quelques secondes de souffrances supplémentaires. Et pourtant, on oserait parler ici de chef d’oeuvre - ou en tout cas de leur meilleur album depuis « One Second », même si l’on peut aisément les opposer.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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2 commentaires

User
Ludovic Fabre
le 14 juin 2015 à 18:43
Excellentissime chronique collègue, en tant que fan absolu du paradis perdu, l'écoute de ce nouvel opus va s'imposer rapidement ! Belle écriture en tout cas, j'ai déjà bien l'impression de savoir à quoi m'attendre.
User
Thomas Charlet
le 14 juin 2015 à 20:42
Très bonne chronique et excellent album. :)
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