Bon, sur la photo, chemise carreaux, premiers cheveux longs, j'ai 14 ans et je fais la gueule.
Vous avouerez, c'est normal, à 14 ans.
Il faut dire que là, à côté de moi, c'est mon correspondant allemand et il tire encore plus la tronche que moi. Je vous épargne le plan large, avec toute la famille en survète et en bermuda. Pas méchante, pas déplaisante, mais pas d'atomes crochus entre nous, entre un père ultra-strict et âgé (un ancien de l'Afrika Korps, je crois) et une mère beaucoup plus jeune, douce mais très effacée et largement occupée par ses trois garçons, dont deux jumeaux turbulents.
Je ne vais pas reprocher à mes parents de m'avoir encouragé très tôt à ces séjours linguistiques.
Les voyages forment la jeunesse, à condition de tomber au bon endroit... et c'est toujours un peu la roulette, dans ces cas-là.
C'est un peu ce que je me dis, en cet été 1980...
Mon correspondant, en l'occurrence Volker, est dans une phase adolescente bien plus compliquée que moi. Très rebelle, il fume en cachette, est en guerre contre toute autorité et ne fait pas le moindre effort pour parler un mot de français. Mais il a une qualité qui vaut plus que toute autre : il écoute les PISTOLS, AC/DC et MOTÖRHEAD ce qui, pour ainsi dire, est une bénédiction, car dans ma classe de 4e, en France, les plus "rock" découvrent à peine THE POLICE ou SUPERTRAMP.
AC/DC, c'est un langage parfaitement universel pour se comprendre entre nous.
Avec un correspondant tel que celui-ci, je peux alors supporter trois semaines d'immersion en Allemagne, dès lors qu'aller chez un disquaire local peut durer un après-midi entier !
Je ne garde pratiquement aucun souvenir de ces trois semaines, si ce n'est qu'un soir, mon correspondant entre dans ma chambre pour m'annoncer que quelques jours plus tard, nous avons l'autorisation de nous rendre à un festival. Evidemment, en voyant l'affiche, difficile de ne pas tomber à la renverse.
Je ne sais pas comment cette mère de famille (le père n'est certainement pas au courant) permet à deux adolescents, mineurs, de se rendre à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans un festival où les normes de sécurité ne sont pas celles d'aujourd'hui, où les fréquentations sont beaucoup plus incertaines, mais en tout état de cause, je suis bien au Golden Summernight Concert, troisième édition, en ce 24 août 1980.
SAXON est un tout jeune groupe de trois-quatre ans avec une énergie absolument incroyable, des mélodies hard rock imparables, MOLLY HATCHET vient de remplacer son chanteur Danny Joe Brown par Jimmy Farrar, mais les mousquetaires originels sont tous au devant de la scène pour leurs joutes guitaristiques pur sud. Le PAT TRAVERS BAND est une révélation pour moi. Je découvre également Ian Gillan en solo sans DEEP PURPLE. Ted Nugent est un immense guitar-hero complètement barge, mais sa folie est mise au profit de la musique, pas de ses futures convictions ultra-libérales nauséabondes... Sans parler de Johnny Winter (déjà vu un an auparavant à Paris) et WISHBONE ASH, grande référence britannique et déjà culte.
PAT TRAVERS BAND © Christian Lamet
Un lieu magique au nom qui fait évidemment rêver : le Loreley Amphi-Theater, sur les hauteurs de St. Goarshausen, en pleine vallée du Rhin. Une belle grimpette pour y accéder à pied, mais un effort récompensé par un site d'exception. Déjà obsédé par l'idée de rapporter un témoignage d'un tel événement, je me suis muni de deux accessoires essentiels : un magnéto pour ramener le bootleg du live de Molly Hatchet (cf. post #04 précédent) et un pauvre appareil jetable qui me permet d'immortaliser, en flou et de loin, des souvenirs à la valeur artistique totalement nulle.
Mais en les revoyant, je me dis que ce sont certainement des instants privilégiés et qu'importe l'amateurisme du journaliste en herbe. Il aura bien suffisamment le temps de se rattraper ensuite.
Mais 39 ans déjà. Rude !
