Au lendemain d’un quart de siècle de carrière et à la sortie du 14e album « E », on pourrait se dire qu’ENSLAVED s’essouffle et que ce ne sont pas ses promesses de nouveaux horizons qui nous persuaderont de leur énergie renaissante. Et pourtant, ce nouvel album est une réelle offrande pleine de sens et de profondeur, tant dans les textes que dans la musique.
« E » pour la rune Ehwaz et le cheval fougueux qui l’accompagne. Animal psychopompe qui fait le lien entre les mondes et ici fait entrer en contact tous les éléments primitifs qui font d’ENSLAVED ce qu’ils sont : la nature, les Dieux païens, la mythologie nordique mais aussi musicalement ce black metal progressif, qui l’est de plus en plus. L’héritage viking des Norvégiens n’a jamais été aussi bien mis en musique que sur cet album. Et il y eu un avant « E », parfois un peu incohérent et un après « E », inspiré et coloré.
Les 6 morceaux sont tels des contes scandinaves que l’on écouterait au coin du feu au cœur d’un hiver rigoureux comme on n’en connaît guère. Dès le premier titre "Storm son", on se retrouve immergé dans un univers de glace et de feu avec des sons de Gjallarhorn, de chevaux et une atmosphère douce progressivement plus agressive menée par l’excellent nouveau, Håkon Vinje, au clavier. L’émulation voulu par la rune Ehwaz prend tout son sens tant les parties vocales tantôt claires, tantôt growlées sont comme une danse harmonieuse et les guitares à la fois mélodiques, parfois ultra rapides se mêlent sans faute ni ambigüité entre les passages. Cette dualité sera la clé de voute de l’album qui oscille sans cesse mais sans heurts entre black metal puissant et ambiances progressives, éthériques et mélodiques. On passe sans encombre d’une ambiance pagan à un son des années 70, de rythmes tribaux à la voix claire au son saturé de grosses guitares heavy accompagnées de growls puissants. Ces associations ont toujours fait la force d’ENSLAVED mais se révèlent ici être en osmose totale comme si l’essence même du groupe se révélait d’inspiration divine. Les titres s’enchaînent sur le même modèle jusqu’au point d’orgue "Hiindsiight", marquant la fin de l’épopée. Titre à la fois doom mais chaleureux, emmenant l’auditeur encore plus loin, que ce soit grâce à la présence d’Einar Selvik de WARDRUNA ou au saxophone surprenant mais envoûtant de Kjetil MØster.
ENSLAVED maîtrise un art dont lui seul a le secret et avec « E » nous emmène au-delà des univers déjà explorés tout en restant fidèle à ce qui fait son nom : du pagan black metal progressif de qualité made in Norway et gravé dans la pierre depuis 26 ans. « E » comme ENSLAVED en tant qu'entité, même s’il n’est pas comparable à d’autres albums de qualité du combo norvégien restera comme un monument dans la longue carrière du groupe.