8 avril 2019, 13:16

"Lords Of Chaos"

• De Jonas Åkerlund (2018)


Je n’aime pas le black metal. Enfin si, certains groupes. Mais pas ceux de la "true black metal norwegian scene" ("la vraie scène norvégienne black metal" en VF), désolé pour ceux qui liront cette chronique et seront contrariés d’emblée par ce positionnement. Et de fait, je n’ai donc pas écouté cette scène dans les années 90. « Quelle légitimité il a celui-là alors pour écrire une chronique sur "Lords Of Chaos"? » s’écrieront même certains. Eh bien, ma légitimité est totale, m’intéressant pour ma culture musicale générale à tous les courants et mouvances du metal et, ici, à des faits divers plus qu’à une activité musicale uniquement. Il s’agit d’ailleurs pour Lords Of Chaos d’un film et non d’un documentaire, à l’instar d’Until The Light Takes Us, sorti en 2008, dans lequel sont interrogés des acteurs de la scène black norvégienne émergente de l’époque.

Le film dont nous parlons est réalisé par Jonas Åkerlund dont le travail en tant qu’artisan de clips pour des groupes et artistes aussi divers (et majeurs) que les ROLLING STONES, Roxette, Madonna, Britney Spears, Lady Gaga mais aussi, dans la sphère metal, RAMMSTEIN, SATYRICON, METALLICA ou bien CANDLEMASS, a été salué depuis près de trente ans. Il est à noter qu’il fut aussi brièvement derrière les fûts du groupe suédois BATHORY de 1983 à 1984. Cette true black metal norwegian scene qui est au centre de ce long métrage, et plus particulièrement les histoires dramatiques autour du groupe MAYHEM, ne lui auront donc pas échappé. Car tel est en effet le sujet de Lords Of Chaos, les débuts du groupe fondé par Euronymous, qui fut assassiné par Count Grishnackh, membre unique de BURZUM et également bassiste de MAYHEM. C’est Rory Culkin, le frère de Macaulay, le petit bonhomme de Maman, J’ai Raté L’avion, qui interprète Euronymous tandis que le fils de Val Kilmer (mimétique Jim Morrison dans The Doors par exemple) joue celui de Per Yngve “Dead” Ohlin (1969-1991), chanteur de MAYHEM qui s’est donné la mort et dont la photo du cadavre, crâne éclaté, cervelle apparente, veines et gorge tranchée, a été utilisée pour la pochette d’un bootleg live intitulé « The Dawn Of The Black Hearts ». Une photo prise par Euronymous lui-même lorsqu’il découvrit le corps de son acolyte et ce, avant même d’alerter les autorités. Une scène de suicide qui, dans le film, est filmée de façon froide, sans aucune musique de fond, en n’épargnant aucun détail visuel au spectateur, posant les jalons du sentiment de malaise que l’on éprouvera quasiment tout du long du film.


Per Yngve “Dead” Ohlin à la scène et à la ville
 


La scène où Euronymous prend le cadavre de Dead en photo
 


La tristement célèbre pochette du bootleg « The Dawn Of The Black Hearts »
 


D’habitude, un film voit les spectateurs découvrir l’action, ressentir les émotions au fur et à mesure qu'ils découvrent l'histoire. Là, non. On sait exactement, pour ceux qui ont connu le déroulé de ces faits divers, ce qu’il va se passer. Ce qui procure un sentiment de malaise important comme mentionné précédemment, servant le propos comme il se doit en filmant et en restituant à l’écran des meurtres comme ils doivent être montrés, comme ils ont été accomplis. Rapides, violents, traumatisants, tétanisants. Mais bien sûr, il serait réducteur de ne retenir que ça et les faits sont amenés en s’attachant à décrire la situation qui y a mené. La création de MAYHEM, la rencontre entre Euronymous et Dead dans un premier temps, puis celle avec Vikernes, la création du inner black circle, sorte de confrérie de l’extrême dans laquelle fut intronisé Kristian Vikernes, transformant à peu près en même temps son prénom en Varg, renonçant dans un premier temps à ce prénom “chrétien” pour devenir par la suite le fou furieux Count Grishnackh. Et c’est à partir de là que tout commence à dérailler. Car Vikernes va trouver sa raison d’être et (se) révéler (à) sa vraie personnalité. Il crée BURZUM qui impressionne Euronymous par ce qu’il entend et c’est sur le label de ce dernier, Deathlike Silence, que sort l’album. Se sentant investi d’une mission sataniste, il se met à brûler des églises et observe comment Euronymous "s’attribue" ces exactions et fait du succès de BURZUM un catalyseur pouvant servir MAYHEM, en termes de notoriété mais aussi par l’argent rapporté et non redistribué semble-t-il à Vikernes, véritable déclencheur de la haine qu’il nourrira jusqu’au dénouement que l’on sait.

En fait, Euronymous ne s’est pas attribué ces incendies mais en a tiré parti pour faire connaître MAYHEM. Le racisme est également un élément latent (le drapeau nazi que l’on voit lors de la scène de l’interview de Vikernes en témoigne), tout comme le rejet de l’homosexualité, qui culmine avec l’assassinat d’un membre de cette communauté, commis par Bård "Faust" Eithun, batteur d’EMPEROR qui gravitait lui aussi dans ce "cercle noir". Là encore, le meurtre est sans pitié et filmé pour souligner la gravité des faits. Les ressentiments de Vikernes envers Euronymous ne font ensuite qu’augmenter alors qu’en parallèle, on comprend de mieux en mieux que tout ceci n’est pour lui qu’une mise en scène et, je vais dire un gros mot mais c’est la vérité, un plan marketing (une scène décrit d’ailleurs cet état de fait). Certes, il croit à ce qu’il fait et ne condamne pas les actes qu’il constate mais brûler une église parce que l’on se définit comme sataniste et que cela peut servir à promouvoir son entreprise artistique est une chose, prôner et envisager – ou pire – commettre un ou des meurtres en est une autre.


Une scène du film
 


La photo originale
 


La limite sera franchie lorsqu’Euronymous parlera un jour de torturer, tuer et filmer le meurtre de Vikernes. Des paroles en l’air, propos d'une grande gueule peut-on dire de quelqu’un qui cherche à exprimer une frustration, une colère plus qu’une réelle envie de passer à l’acte. Ce qui n’a pas du tout été entendu de cette oreille par Vikernes. A la réception des documents au sujet de son licenciement de MAYHEM, il se rend au domicile d’Euronymous où la confrontation finit par le meurtre de ce dernier. 23 coups de couteau. 2 dans la tête. 5 dans le cou. 16 dans le dos. Il est retrouvé gisant sur le palier d’un étage de son immeuble, ayant vainement tenté d’échapper à son assassin. Vikernes plaidera la légitime défense lors de son arrestation. Sans commentaires… La police saisira à son domicile 150 kg d’explosifs ainsi que 3 000 munitions et il sera condamné à 21 ans de prison (la peine maximale en Norvège), en purgera 15 avant d’être libéré et de venir s’installer en France où il vit désormais avec femme et enfant. Il changera alors de nom, devenant Louis Cachet afin de retrouver un certain anonymat tout relatif car ces informations sont connues de tous. En 2013, il est arrêté avec sa femme par les autorités françaises pour suspicion d’actes de terrorisme après que cette dernière a fait l’acquisition de plusieurs fusils. Il s’avèrera que celle-ci possédait un permis pour les acheter et le couple sera remis en liberté sans être inquiété. Un an plus tard, Vikernes est condamné à une peine de six mois de prison avec sursis et s’acquittant "seulement" d’une amende de 8 000 € pour avoir tenu sur son blog des propos incitant à la haine raciale envers les Juifs et les musulmans.

Vous l’aurez compris, Vikernes est un être délicieux et Lords Of Chaos se veut une œuvre à charge contre lui. Ce qui ne peut être mis au discrédit du réalisateur tant le film, envisagé par le prisme d’Euronymous, tend à démontrer comment le jeune Kristian Vikernes, car c’est ainsi qu’il s’appelle et devrait continuer à l’être (qui est-il pour s’octroyer le droit de changer de nom au gré des événements jalonnant sa vie ?), est devenu un meurtrier dénué de remords, sous couvert d’accomplir ce qui lui semblait légitime pour que soient reconnues les aspirations de la "true Norwegian black metal scene". Lorsque le film fut annoncé, les membres survivants de MAYHEM, dont le chanteur Attila Csihar qui a enregistré le culte « De Mysteriis Dom Sathanas » et que l’on voit brièvement à l’écran (très ressemblant puisque c'est son fils qui l'incarne), ont critiqué l’entreprise et émis de sérieuses réserves quant au le traitement qui serait apporté. On n’en attendait pas moins de leur part vu le sujet. A l’arrivée, d’un point de vue stylistique, narration, choix de casting, direction d’acteurs, décors et de souci d’adéquation avec l’époque à laquelle les faits se sont déroulés, on peut dire que Jonas Åkerlund a parfaitement cerné le sujet et l’a maîtrisé de bout en bout. Qu’importe que vous aimiez ou non le black metal, ce film fait figure de journal de bord d’un groupe et de ce qu’il s’y est passé entre 1988 et 1993. J’ai lu ailleurs que la musique de MAYHEM était absente de ce film mais quel aurait été l’intérêt d’ajouter des séquences live ou un score comprenant leurs chansons ? Aucun pour moi et Åkerlund a dû avoir la même approche et bien qu’il soit précisé, et sur l’affiche et dans les premières secondes à l’écran, « based on truth and lies » (à traduire par « basé sur la vérité et des mensonges »), il doit bien y avoir une majorité de « truth » plus que de « lies ».


L'équipe du film lors de sa présentation au festival américain du film indépendant Sundance 2018.
 


 

En guise de conclusion, ce qui est à retenir, à mon sens et selon ma sensibilité d’être humain, c’est qu’Øystein “Euronymous” Aarseth, né le 22 mars 1968 à Egersund et mort le10 août 1993 à Oslo, assassiné sauvagement par Varg “Count Grishnackh” Vikernes, ne méritait vraiment pas de mourir si jeune, à 24 ans et en de telles circonstances. Repose en paix.
 


 

Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK