23 octobre 2019, 19:43

METALLICA

• L'alcoolisme dans les textes de James Hetfield


© Christian Ballard - HARD FORCE


Le 28 septembre dernier, METALLICA annonçait l'annulation de sa tournée océanienne pour permettre à James Hetfield d'entrer en cure de désintoxication. Sad but true, après presque 15 ans de sobriété, le frontman a à nouveau succombé à ses démons. En attendant qu'il se refasse une santé, penchons-nous sur les lyrics en forme de catharsis dans lesquels il a abordé le sujet de sa dépendance à l'alcool. Parce que l'on ne parle jamais aussi bien que de ce que l'on connaît.
 

Pour beaucoup d'entre nous, James Hetfield est l'un des derniers monstres sacrés du metal en activité. Et parce qu'il en impose par son charisme, sa prestance et sa célèbre main droite, on oublie un peu vite que c'est un colosse aux pieds d'argile. Car le frontman de METALLICA est alcoolique. Une maladie qu'il est parvenu à tenir à distance pendant pas loin de quinze ans avant de rechuter. Mais comme le soulignait Randy Blythe, chanteur de LAMB OF GOD, qui, comme Jamey Jasta, Tony Iommi et Ron McGovney, qui fut le premier bassiste du groupe, lui a apporté son soutien moral« Quand on est alcoolique, peu importe qui l'on est, on n'est jamais immunisé, même si cela fait des années que l'on a arrêté de boire. » 

Le premier combat contre l'alcoolisme du chanteur/guitariste de METALLICA ayant été largement documenté, plus particulièrement dans l'édifiant Some Kind Of Monster, sorti en 2004, on ne reviendra pas dessus. On dira simplement que même si l'on avait remarqué depuis plusieurs mois que James paraissait un peu bouffi, personne parmi les fans ne pensait qu'il avait replongé, mettant ça plutôt sur le compte des années qui passent et, éventuellement, d'un bon coup de fourchette… Pendant que Papa Het tente de vaincre une nouvelle fois ses démons, penchons-nous sur les lyrics dans lesquels il parle de son alcoolisme.

Une addiction, née de son enfance et son adolescence chaotiques, qu'Hetfield a abordée, de façon toujours imagée, dans plusieurs chansons : ouvertement dans “The House Jack Built” et “Bleeding Me” (tous deux sur « Load », sorti en 1996) et sur plusieurs morceaux de « St. Anger » (2003) : “Frantic”, “Dirty Window” et “Sweet Amber”. Quant à “Until It Sleeps” (sur « Load » aussi), certains prétendent que James parle du cancer qui a emporté sa mère. Le frontman des Hommes en Noir ne s'étant jamais ouvertement exprimé sur le sujet, on peut aussi y voir des références au mal qui le ronge à l'époque. Mais on y reviendra un peu plus loin. 
 

"The House Jack Built" (« Load » - 1996)
En choisissant ce titre (“La maison que Jack a construite”), sans doute James fait-il un clin d'œil à la comptine anglo-saxonne “This Is The House That Jack Built”. Car, même s'il est à l'époque également gros consommateur de vodka et de Jägermeister, le Jack dont il est question dans les lyrics de cette chanson à l'atmosphère pesante pourrait bien porter le patronyme de Daniel's. Et il a bâti une maison (allégorique) dans laquelle le chanteur se retire à chaque fois qu'il boit, symbolisant aussi son repli sur lui-même.
Un lieu ambivalent qu'il connaît bien et où il éprouve une relative sécurité, à l'abri du monde (« La porte est ouverte alors j'entre/ Je ferme les yeux, je trouve l'endroit où me cacher/ Et je tremble en l'avalant/ Que le show commence »), tout en ayant conscience de sa dépendance et de son état (« Il m'engloutit alors qu'il m'emporte dans son brouillard » ; « Plus tu es bourré, plus longue est la chute/ Plus longue est la marche/ Plus longtemps tu ramperas/ Mon corps, mon temple/ Ce temple penche/ Entre dans la maison que Jack a construite », ou encore « La porte s'ouvre alors que j'entre/ Engloutis-moi pour que la douleur se calme/ Et je tremble en avalant le péché… »).
Comme on le voit, dans les lyrics de James, l'alcool n'est jamais social ni festif. Les références qui y sont faites parlent de souffrance, d'addiction. De solitude. On est bien loin d'“Alcohollica”, affectueux surnom donné au groupe dans les années 80 et une partie des années 90 parce que son amour pour les alcools forts semblait à certains le summum de la coolitude… 
 


"Bleeding Me"
Magnifique morceau qui n'a pas été accueilli comme il le mérite par la majorité des fans qui n'y ont vu qu'une power ballad indigne du METALLICA tels qu'ils l'aiment et l'idéalisent, “Bleeding Me” (“Je me saigne”, comme autrefois les docteurs qui appliquaient des sangsues aux malades pour leur ôter leurs “humeurs”) a un très beau texte profond pour qui sait interpréter les images utilisées par James. « J'avance en creusant pour trouver quelque chose de meilleur/ Je fais des efforts pour rester avec quelque chose de meilleur » chante-t-il, en évoquant sans doute la thérapie qu'il a suivie pour tenter d'expliquer son besoin d'autodestruction et qui l'a obligé à revenir sur son passé.
« Je sème les graines de ce que j'ai pris pour acquis/ Cette épine dans mon flanc provient de l'arbre que j'ai planté/ Elle me déchire et je saigne » : cet “arbre” est vraisemblablement l'alcool dont il ne peut plus se passer mais qui le détruit, et l'épine, la souffrance qu'il ressent et qui le laisse totalement impuissant. Comme il le dit dans le refrain : « Coincé sous une roue qui tourne/ Je prends la sangsue, je me saigne/ Je ne peux pas m'arrêter pour sauver mon âme/ Je prends la laisse qui me conduit/ Je me saigne/ Je ne peux pas le supporter ».
A l'occasion d'une interview de METALLICA parue dans l'édition américaine de Playboy datée d'avril 2001, Hetfield a expliqué l'origine de “Bleeding Me” : « A l'époque où l'on a composé « Load », j'avais envie d'arrêter de boire. Je me suis dit que je ratais peut-être quelque chose. Tout le monde semblait tout le temps heureux. Et moi aussi, je voulais être heureux. Ma vie tournait autour de mes gueules de bois. Si les MISFITS donnaient un concert vendredi soir, samedi, je savais que je serais décalqué. J'ai perdu énormément de jours dans ma vie. En suivant une thérapie pendant un an, j'ai énormément appris sur moi-même. Beaucoup de choses nous marquent à vie dans notre enfance et notre adolescence sans que l'on sache pourquoi. C'est ce dont parle “Bleeding Me” : j'essayais de me “saigner” pour évacuer tout ce qu'il y avait de mauvais en moi. Pendant ma thérapie, j'ai découvert des choses affreuses. Une tache sombre. » Le genre de révélation qui secoue…
 


"Until It Sleeps"
Si les lyrics peuvent être interprétés de différentes façons (cancer compris, comme je l'indiquais plus haut), on peut aussi voir dans le texte de ce premier single extrait de « Load » un rapport avec l'addiction – si l'on s'en tient strictement à l'histoire personnelle de James. A la torture psychologique qui le déchire, à la douleur physique et morale qu'il veut extirper de son corps, à sa culpabilité et à la souffrance qu'il est conscient d'infliger à ses proches en étant alcoolique. « D'où vient ma douleur ?/ Je m'enfuis mais elle est toujours là./ Alors déchire-moi pour que je me vide/ Il y a en moi des choses qui crient et qui hurlent/ Et la douleur me hait toujours/ Alors prends-moi dans tes bras jusqu'à ce qu'elle s'endorme ». 
Ou, un peu plus loin : « Alors dis-moi pourquoi tu m'as choisi/ Je ne veux pas de ton emprise, je ne veux pas de ton avidité/ Je n'en veux pas ». Dans le passage suivant, s'adresse-t-il à l'alcoolisme en se promettant de se soigner ? « Je me déchirerai pour te faire partir/ Tu ne pourras plus faire de mal à personne/ Et la peur me fait toujours trembler/ Alors prends-moi dans tes bras jusqu'à ce qu'elle s'endorme. »
Même si la vidéo est totalement inspirée par l'univers torturé du peintre hollandais Hieronymous Bosch et reprend des scènes de quelques-unes de ses plus grandes œuvres (“Le Jardin des délices”, “Ecce Homo”, le triptyque “Le Chariot de Foin”), ce qui est – je vous l'accorde – assez loin des problèmes de boisson d'Hetfield, certains y voient le remords de celui qui a péché ainsi qu'une représentation de la rédemption. Ce qui se rapprocherait davantage de notre sujet… “Until It Sleeps” remportera le titre de “Meilleure Vidéo Rock” aux MTV Music Awards en 1996.
 


"Frantic" (« St. Anger » - 2003)
Dans “Frantic” (frénétique en VF) qui ouvre « St. Anger », huitième et très décevant album studio de METALLICA, Hetfield parle des nombreux jours qu'il a perdus dans sa vie à cause de ses gueules de bois carabinées. Et il s'interroge. S'il pouvait revenir en arrière, quelle voie suivrait-il et comment réagirait-il ? « Si je pouvais récupérer les jours que j'ai gâchés/ Les utiliserais-je pour me remettre sur la bonne voie ? » dit-il. « Mon mode de vie détermine la façon dont je meurs (Naître est douloureux)/ Une marée montante qui me pousse de l'autre côté (Vivre est douloureux)/ Mon mode de vie détermine la façon dont je meurs (Mourir est douloureux)/ Une marée qui pousse de l'autre côté (C'est la même chose) ».
 


"Dirty Window"
Conscient que le monde extérieur juge son attitude sous l'emprise de l'alcool, James partage la vision qu'il a de lui-même. Vision partiellement déformée, comme celle que l'on a à travers une “fenêtre sale”. D'abord aux antipodes de celle dont les autres le perçoivent, en jugeant qu'il n'a rien à se reprocher (« Je vois mon reflet dans la vitre/ Il est différent, tellement différent de ce que vous voyez/ Je projette mon jugement sur le monde/ Cette maison est propre »), il s'interroge malgré tout. « Suis-je celui que je pense être ?/ Je regarde par ma fenêtre et je vois que ça a foiré/ La cour est ouverte et j'abats mon marteau » (il n'est pas question ici du marteau qui orne la pochette de « Kill 'Em All » mais de celui qu'utilise un magistrat pour signifier une pause ou que ce qui est décidé est définitif ). « Je suis juge et partie et je suis aussi le bourreau »). Avant de conclure : « Je bois dans la coupe du déni/ Je juge le monde depuis mon trône ». Le chanteur a bien conscience que même s'il essaie de se convaincre du contraire, il est alcoolique.
 


"Sweet Amber"
Ici, l'alcool revêt ici les traits allégoriques d'une femme, surnommée la “douce Ambre” qui donne son titre à la chanson. Mais c'est aussi une référence à la couleur ambrée de certains alcools. « Chasse le lapin/ Rapporte le bâton/ Elle me retourne jusqu'à ce que je sois malade/ Elle vend de la dépendance, elle vend de la douleur/ Je m'enfuis mais je reviens toujours ». James se compare ici à un chien aux ordres de sa maîtresse qui le rend malade et malheureux mais qui lui reste malgré tout fidèle. Parce qu'il n'a pas le choix. 
« Et elle me tient la main/ Et je mens pour un sourire/ Alors elle me sert plus fort/ Je mens toujours pour un sourire ». Le chanteur essaie de surmonter son envie de boire mais “la douce Ambre” le contrôle. Quand Papa Het parle de “mensonge”, sans doute faut-il comprendre qu'il se ment à lui-même en se persuadant qu'il n'est pas si intoxiqué que ça et que ça n'est rien qu'un petit verre de plus, sans grande incidence. Mais au fond, il n'est pas dupe puisqu'il sait que « c'est elle qui tient la plume qui écrira la fin/ Elle retrouve ma trace et m'attire ». Tout dépendant qu'il est, il reste suffisamment lucide pour savoir que l'alcoolisme aura raison de lui à terme. Mais il ne peut pas lui échapper. « A quel point es-tu douce ? » répète James dans le refrain. Avant de conclure « Ce n'est jamais aussi doux qu'il y paraît »
On n'est finalement pas si loin que ça dans l'esprit des lyrics de “Master Of Puppets”, dans lesquels il est question de dépendance à l'héroïne, l'alcool étant ici le marionnettiste et James, la marionnette. 
 


Bon et prompt rétablissement à Papa Het ! Et à vous aussi si vous souffrez du même mal et avez décidé de vous faire aider.

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
Ses autres publications

2 commentaires

User
Mickael Neumann
le 26 oct. 2019 à 13:12
Un grand merci pour ces explications ;)
User
Laurence Faure
le 28 oct. 2019 à 21:43
; )<br />
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