22 novembre 2019, 18:00

LINDEMANN

• "F & M"

Album : F&M

Evidemment on ne s’attendait pas à un nouvel album de LINDEMANN aussi tôt.
Aussi tôt, façon de parler : six mois seulement après la sortie du dernier album de RAMMSTEIN qui, lui, avait quelque peu tardé - nous parlons de dix ans d’attente. Seulement, là où le label est malin, c’est qu’en aucun cas cette sortie ne vient cannibaliser la précédente : la demande était si groß que LINDEMANN venait en réalité consolider un marché à peine rassasié par la livraison du sextette berlinois. Dix ans d’attente pour un seul album ? On en prend deux !
Et même s’il ne s’agit pas du même groupe, son chanteur lubrique, antithèse absolue du sex-appeal qui cependant se farcit des jarrets de groupies par quintaux, fera parfaitement l’affaire pour prolonger le plaisir. Mais là où les choses sont plus complexes en coulisse, c’est que ce deuxième album a commencé à être composé dans la foulée du premier album « Skills In Pills », il y a quatre ans. Entre-temps, la programmation de l’agenda RAMMSTEIN s’est échafaudée autour de tournées teaser et de la mise en oeuvre de son septième album.
Et pour dire, « F&M » est déjà de l’histoire ancienne : pas de cannibalisation dans ce sens précis, mais interdiction de court-circuiter le buzz autour du retour de RAMMSTEIN en sortant trop tôt ce disque : les lois du marketing sont impitoyables, et même un type de l’envergure de Till Lindemann doit s’y soumettre et attendre patiemment.

Car LINDEMANN n’est pas censé être un groupe mais, à la base, bien le projet solo du chanteur qui a choisi, par confort et complaisance, de revenir à la langue de Goethe qui lui sied si bien au sein de sa formation habituelle. Seulement, l’ogre de RDA s’est si bien trouvé avec le chanteur guitariste producteur Peter Tägtgren que, même s’il garde son patronyme bien plus vendeur et éloquent, il compte bien sur son nouveau partenaire suédois pour incarner ensemble ce duo de choc que les images subversives et les explorations expérimentales n’effraient guère.
Et si notre bonhomme a donc joué la sécurité en retournant composer ses textes poétiques en allemand (comprendre des images, des paraboles et des rhymes sur pieds, je ne sais pas si Apollinaire aurait récité un "Golden Shower"), c’est bien Peter Tägtgren qui se charge de tout l’habillage musical autour de ses textes. Tel que nous l’avions démontré sur ce même site lors de la parution de «Skills In Pills» en juin 2015, LINDEMANN sonnait de prime abord comme une extension de l’un de ses projets principaux, à savoir PAIN. « Mid-tempos metal indus épiques, bastons rythmiques au pilon, refrains de l'Armée Rouge, épilepsies de claviers techno, épaisseurs de grattes staliniennes (…), trouvailles électro, mélodies aux synthés, (…) orchestrations symphoniques, souvent artificielles et kitsch, mais toujours colossales, faux violons virevoltants » : voilà en quelques formules comment nous décrivions et caractérisions la patte artistique du suédois taciturne qui aime tant se retrancher du monde dans ses propres studios au beau milieu de nulle part dans la forêt scandinave.
Voilà le postulat de départ, où nous en étions restés en 2015. Alors qu’en est-il aujourd’hui, ou plus exactement début 2018 lorsque « F&M » fut achevé ?

Eh bien déjà, à l’écoute anticipée du single "Steh Auf", aucune surprise à l’horizon : nous restons dans le domaine de « Skills In Pills », avec des vocaux aboyés en allemand comme si un de nos orteils franchissait la ligne du Mauer un soir neigeux de janvier 1964 du côté de Leipziger Straße. Malgré la rudesse du chorus, on est bien dans l’exercice du single : expéditif, sans risque, avec la volonté de ne pas brusquer les fans déjà acquis, doublé d’une approche relativement popisante.
Ailleurs, quelques autres morceaux reprennent cette même recette, au risque de ne plus passionner autant que les titres forts du premier opus, bien que l’accent soit mis sur des riffs tendus et virils, ainsi que sur un chant autrement plus menaçant, surtout lorsqu’il se trouve plus contrasté ("Ich Weiß Es Nicht"). Cependant, on assiste non pas à des sursauts d’inventivité drastique, mais à d’excellentes chansons de l’acabit de «Allesfresser» qui parvient idéalement à combiner les assauts et astuces attendus de Tägtgren (bourrinades rythmiques et papillonnages electro) avec la force de frappe légendaire de RAMMSTEIN. Et plus on s’enfonce dans « F&M », plus les sourcils s’écartent, autant que nos oreilles, à juste titre saignées à vif sur «Blut», tant apaisé, cold et très darkwave 80s que grandiloquent sur son refrain épique, versé sur un nappage aussi martial que romantique, voire même nostalgique d’une époque obscure et révolue.
« F&M » cogne juste et fort : ses chansons sont courtes et immédiates et, oui, ce disque s’avère finalement bien moins indigeste qu’on aurait pu l’imaginer. Inspiré même. Moins basé sur un humour oscillant entre premier, dixième degré et le mauvais goût d’une grosse blague potache scatophile, et finalement armé d’une touche plus personnelle, plus sincère, plus nuancée, plus sombre.
On ne sait toutefois si parfois le délire l’emporte sur l’expression artistique : "Ach So Gern", tout en instruments traditionnels (tuba, accordéon) s’invite comme un tango dans la République de Weimar, comme un numéro exotique dans un cabaret enfumé de Berlin est.
Aussi singulier, "Knebel" joue en outre sur une approche folk, façon Johnny Cash : on sent la volonté de Lindemann de s’aventurer sur d’autres terrains, tels que déjà défrichés par son groupe principal à partir de «Reise, Reise». Une seule voix forcément gutturale sur un accompagnement acoustique épuré, Deutsche Recordings style. Mais cela ne dure hélas que le temps de quelques mesures, parce que l’explosion derrière est thermonucléaire, façons essais dissimulés par le Parti dans les plaines désertes de Sibérie : ce morceau, concis mais hautement toxique, vaut à lui seul son acquisition.
Et plus l’exploration défile (encore une fois les morceaux ne s’éternisent pas), plus la découverte s’avère palpitante : "Schlaf Ein" s’impose comme une balade orchestrale et épurée, façon conte fantastique pour enfant, apportant une dimension quasi féérique et lumineuse - genre score cinématographique - à un ensemble plus adulte. Après un passage plus convenu et gonflé d’une petite surdose d’effets technoïdes datés ("Gummi" et "Platz Eins", très typé techno pop circa 1988 - tout deux prévisibles mais plaisants pour autant), l’exercice de la ballade romantique (voire carrément larmoyante avec ses faux violons et son piano) vient clore l’album sous le nom de "Wer Weiß Das Schon", mais sans l’escalade dramatique escomptée, loin, très loin de pouvoir rivaliser avec la précédente.
En guise de bonus selon les éditions, "Mathematik" vient compléter l’ensemble avec surprise : une forme lente, angoissante et totalement electro d’un hip-hop minimaliste et atmosphérique, ultra original et qui annonce de nouvelles ouvertures. Et enfin une version alternative de "Ach So Gern" apporte à nouveau les sempiternels mêmes arrangements propres à PAIN alors qu’on aurait rêvé d’un véritable final en forme de bouquet héroïque au-dessus de la Porte de Brandebourg.  

En résumé, « F&M » n’est certes pas un chef d’oeuvre (le dernier auquel Till Lindemann a contribué remonte quand même à « Mutter » en 2001), mais reste un très bon album, en équilibre entre un savoir-faire réchauffé et une bonne autre moitié vraiment surprenante - même passionnante.
On sait désormais que LINDEMANN partira sur les routes courant 2020 et que Paris fera partie des étapes obligatoires - une perspective d’autant plus excitante que ledit concert devrait avoir lieu dans une salle taille humaine.
La grande question reste néanmoins ouverte : LINDEMANN parviendra-t-il à autant captiver sur scène, à la seule force de son répertoire.
Et donc dépourvu de tout artifice et de FEUER ?

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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