1 mars 2020, 23:49

TESTAMENT + EXODUS + DEATH ANGEL

@ Paris (Elysée Montmartre)

Avant toute chose, pourquoi pas un petit peu de mauvaise foi et de polémique facile : le Big Four est-il réellement représentatif de l’esprit Bay Area des années 80 ?
Non.
Le Big Four est au mieux, à la hauteur de la moitié de ses 25%, un bâtard de la Bay Area.

Regardez : ANTHRAX est de New York - rien à voir. MEGADETH et SLAYER sont de Los Angeles, Orange County même pour les derniers. Et METALLICA est également né à L.A., principalement émigré à San Francisco pour finir de convaincre Cliff Burton de les rejoindre, en faisant ainsi l’effort de s’installer dans sa ville. Et au passage, de récupérer plus tard l’autre local Kirk Hammett.

Au final, ça fait peu de monde réellement originaire de ce fief historique, berceau définitif du thrash metal tel qu’on le conçoit depuis, incubateur d’extrêmisme musical depuis les années 82-83 et ce jusqu’à la fin de la même décennie. Bien sûr les hérauts du Big Four jouissent d’une popularité sans égale, les grands patrons que sont METALLICA, plus grosse locomotive de la sphère metal, indiscutable et indisputée, étant même l’égal d’un U2, des STONES, ou encore d’AC/DC, ces mastodontes représentant légitimement le véritable Big Four de tout le business.

Merci pour les trois autres, autres pionniers et influences majeures - on ne va pas se la jouer révisionnistes -, mais qui sont tout de même loin des chiffres des Mets.

Alors pensez : qui se souciait, dans ce cercle élitiste, des autres ?
Eh bien nous. Les dingues de thrash, pur et dur.

C’est marrant, parce que justement, on se souvient tout à coup d’une bien belle affiche en 2003, ici à Paris, le "No Mercy Festival", qui s’était tenu à La Locomotive jusqu’aux petites heures du matin (!). Festival qui avait pour têtes d’affiche DEATH ANGEL et surtout TESTAMENT. Oh, et MARDUK. Mais aussi NUCLEAR ASSAULT, toutefois sensiblement plus tôt. DEATH ANGEL dont il s’agissait ici du tout premier concert à Paris, alors qu’il avait pu jouer en province à l’époque de « Act III », en 1990. Un groupe qui s’était alors tout juste reformé après une bonne dizaine d’années de hiatus, à la veille de sortir son quatrième album « The Art Of Dying » en 2004, et qui s’est bien rattrapé depuis question concerts, tant il vient fouler nos planches si régulièrement, que ce soit en festival ou en headliner dans différentes salles de la capitale, avec un enthousiasme et une envie d’en découdre non feints.
Annoncé il y a des mois, ce mini festival itinérant a provoqué un soubresaut d’excitation ressenti comme une ondulation sismique, tel le fracas de la faille de San Andreas - les effets ont été perçus comme identiques.
THE BAY STRIKES BACK : comme l’affiche d’une séquelle de blockbuster de ces mêmes années 80 bien viriles et alpha-mâles-dominantes, l’évènement se voulait ouvertement revanchard. « On ne fait pas partie du Big Four ? Allez vous faire foutre : on va jouer dans votre ville et vous montrer qui sont les patrons ». C’est un petit peu comme ça que j’ai perçu l’annonce de la soirée et que j’en appréhendais la teneur.
Une revanche. Un état d’esprit. Une envie d’en découdre très très très méchamment ?
Certes, on aurait pu en rajouter quelques autres : FORBIDDEN ? HEATHEN ? VIO-LENCE ? Ca aurait eu de la gueule, ouais, mais peut-être pas autant que l’impact de ce power-trio de choc. Trois groupes. Rien de moins, rien de plus. Un Little Three ? Un Big Three alternatif ? Fuck off. On parle là de la crème de la crème du thrash metal de San Francisco, baby, il n’y a rien d’autre à dire. Trois groupes de frères qui ont chacun leur histoire intimement enchevêtrée dans celle des autres : DEATH ANGEL, EXODUS et TESTAMENT.
 


DEATH ANGEL, avec un line-up qui a certes évolué au fil des ans, mais qui conserve ses deux principales figures de proue, le guitariste Rob Cavestany et le chanteur Mark Osegueda. Un groupe maudit qui aurait dû devenir énorme à l’orée des années 90, mais qui a joué d’une terrible malchance, perdant bon nombre d’opportunités au fil de son histoire : ce qui n’empêche nullement DEATH ANGEL d’avoir fourni une très belle collection d’albums tous plus applaudis les uns que les autres depuis une quinzaine d’années, soit six LPs aussi modernes, carnassiers, forcément ultra-violents et convaincants qui ont achevé de remettre les san-franciscains comme valeurs sûres du paysage metal des années 2000. Et qui figure toutefois ce soir en ouverture des hostilités : DEATH ANGEL éternel challenger mais dont on doit cependant se méfier, tant leurs prestations restent à chaque fois irréprochables. DEATH ANGEL, qui pourrait bien voler la vedette à ses deux autres illustres compétiteurs - mais également véritables frères qui se sont soutenus les uns les autres depuis plus de trente-cinq ans, après avoir partagé leur propre scène locale ainsi que tous les clubs de la planète des centaines de fois.

DEATH ANGEL qui a notre préférence et qui, au long de son très court set de sept chansons, aura toutefois offert un éventail de premier choix de toute sa carrière, de « Voracious Souls » à son dernier « Humanicide » en passant par la dernière tuerie « Thrown To The Wolves » justement tirée de son album come back « The Art Of Dying », précédé de quelques mesures de « The Ultra Violence ». Osegueda, la grande classe, immense chanteur, attitude digne et impériale, qui s’en va non sans promettre de revenir très bientôt, ni sans avaler quelques gorgées de Bombay Sapphire, sa boisson de prédilection, son Cold Gin à lui.

S’il va être très difficile de passer derrière DEATH ANGEL, c’était sans compter sur l’indéniable savoir-faire d’EXODUS, légende de la Bay Area depuis quarante ans. Quarante ans !!! Et un nombre impressionnant d’artilleurs qui en ont composé son line-up - très instable, c’est peu dire.
 


Ce dimanche soir, après une drôle d’intro avec le « Rien de Rien » d’Edith Piaf, EXODUS s’avère en très grande forme, ses membres actuels font honneur à sa réputation, et piochent immédiatement dans leur dernier album en en délivrant deux extraits terrassants (« Body Harvest » et « Blood In, Blood Out »). Outre le relativement fidèle Tom Hunting à la batterie, on retrouve surtout le chanteur revenant Steve "Zetro" Souza, l’autre frontman le plus populaire du groupe après le regretté mais ingérable Paul Baloff. Un Steve Souza, toute veste à patch dehors, qui accuse peut-être le poids des années passées, et dont le charisme s’est assez méchamment essoufflé, peinant à égaler son prédécesseur Rob Dukes qui, lui, avait fait régner la terreur sur scène pendant dix ans, s’étant montré d’une rare brutalité. Mais ne boudons pas notre plaisir, Souza reste une figure historique d’EXODUS, même si ce soir tous les regards convergent en direction de Gary Holt. Gary Holt qui vient de gagner quelques galons supplémentaires depuis son passage dans SLAYER, même si le guitariste a toujours affiché une fidélité infaillible au véritable groupe de sa vie. Combien a-t-il d’exemplaires de son t-shirt « Kill The Kardashians » ? C’est une question que tout le monde se pose tant on l’a vu avec sur toutes ces dernières tournées auprès de Kerry King, impeccable de classe et assurant le remplacement de Jeff Hanneman avec une sobriété et une efficacité qui lui ont donc valu de devenir une très estimable figure du heavy-metal, et de s’imposer avec un véritable charisme - et surtout avec une telle maitrise de son art.

Riffs façon duo de tailles-haie acérés et à plein régime exécutés par Holt et Lee Altus, EXODUS fait renaître l’esprit de la Bay Area dans un Elysée Montmartre qui ne demandait qu’à être très salement malmené. Jeunes chiens fous et vieux de la veille tourbillonnent dans le pit, se frottent le cuir et s’ébrouent dans la sueur, imaginant se retrouver dans la frénésie ultra-violente  (encore) du Ruthin’s Inn un soir de 1984. C’est même une certitude, on se croirait vraiment en 1984 : c’est d’ailleurs l’album « Bonded By Blood » qui est le plus représenté ce soir, nostalgie oblige. Outre son titre éponyme, l’un des actes fondateurs du thrash metal (au même titre qu’un certain « Whiplash »), les choeurs de « And Then There Were None » sont repris par tout le public, tandis que, comme sur l’album, « Strike Of The Beast » vient clore ce set intense mais encore trop court. Impensable bien sûr qu’EXODUS ne joue pas « Fabulous Disaster », et surtout l’autre brulot fédérateur qu’est « The Toxic Waltz », autre grand fait d’arme de son chanteur Steve Souza, peu fougueux mais franchement honoré de l’accueil que leur offrent les Parisiens.

On n’a certes pas eu « A Lesson In Violence », mais c’était tout comme : ce soir, EXODUS nous a asséné une bien belle leçon de violence comme peu en sont capables. Tout juste pouvions-nous regretter, a posteriori, que quelqu’un n’aie pas daigné créer l’évènement : on a su quelques minutes après le concert que Kirk Hammett était dans la salle, plus exactement sur le côté de la scène, assistant de près à la prestation de ses potes d’enfance et du groupe qu’il avait lui-même créé en 1979…

Arrive alors le plat de résistance : c’est bien TESTAMENT qui figure au sommet de l’affiche, c’est bien TESTAMENT qui jouit ici de la plus grosse production scénique (tout est relatif), oui, les backdrops sont imposants, latéralement et en fond de scène (il n’y a aucun doute le logo est bien visible, façon suprématie), et la batterie de Gene Hoglan trône sur une imposante estrade, de façon à ce que tout le monde puisse apercevoir la bête en action, force tranquille implacable d’aisance, de frappe et de technicité. C’est aussi bien TESTAMENT qui bénéficie d’un son franchement plus clair et puissant que ses frères d’arme, ainsi que d’un light-show plus conséquent. En bref, c’est bien TESTAMENT qui est en vedette, mais c’est aussi TESTAMENT qui m’aura le plus déçu ce soir. Mon avis n’est certainement pas représentatif de l’ensemble du public, occupant l’Elysée Montmartre le temps de cette date sold-out et affichant clairement son enthousiasme pour le plus gros groupe du lot.
TESTAMENT est superbement accueilli, comme il se doit, cependant le quintette me parait totalement en roue libre. Et ç’en est terriblement frustrant.

Anciennement THE LEGACY, TESTAMENT a beau être dans le circuit depuis 1983, il a surtout commencé à devenir un très gros groupe de thrash à partir de la fin des années 80, devenant de facto le leader de la deuxième vague de groupes les plus influents de la Bay Area. TESTAMENT est visiblement bien arrimé sur son petit piédestal et ne démontre aucun appétit perceptible : le groupe déballe sa set-list, certes astucieusement équilibrée entre les grosses déflagrations de ses derniers albums (eux forts convaincants au passage), et classiques absolus. Leur formule a bien évolué au cours de ces mêmes derniers opus, le groupe pratiquant depuis une vingtaine d’années maintenant un gros thrash brutal aux limites du death, et c’est dans cette forge sonore que se déclinent depuis les tubes historiques que sont « The New Order », « The Preacher » ou « Eerie Inhabitants ». Le milieu du concert se concentre d’ailleurs sur les récents « Dark Roots Of Earth » et « Brotherhood Of The Snake », tandis qu’est dégainé un extrait en avant-première du nouvel album à venir, « Titans Of Creation » (ici « Night Of The Witch »). Est-ce un gros coup de mou de ma part ou le signe d’une bonne vingtaine de minutes d’ennui profond, mais ce long passage s’avère bien trop monolithique - voire monotone -, malgré le son surpuissant asséné et la rythmique infaillible opérée par Gene Hoglan et Steve DiGiorgio à la basse.
 


Le guitariste vétéran Eric Peterson, fondateur du groupe, est à la fois discret et impeccable, et tient à lui seul le secret de fabrication de la machine TESTAMENT, tandis qu’on aura connu un Alex Skolnick plus inspiré, qui multiplie les poses un peu faciles et éculées, sans grande spontanéité, le guitar hero faisant le job comme on le lui demande, mais sans folie ni passion. Ce qui me parait affreusement moche dans ce contexte. Et je ne sais que penser de Chuck Billy. Jadis le chanteur était pour moi un véritable héros du thrash lorsque je l’écoutais religieusement dans mes jeunes années entre 1989 et 1993… Là, son attitude sur scène perd énormément en éloquence : certes a-t-il vieilli et grossi - comme nous tous (!) -, mais son jeu de scène très limité ne consiste plus qu’à faire gigoter ses doigts sur son manche de micro, façon air-guitar auprès de ses comparses, et à arpenter assez paisiblement la scène.

Je ne vous cacherai pas que c’est heureusement lors de la dernière partie du show que j’ai à nouveau repris mon pied et ce, grâce aux chansons de mon adolescence. Là où j’ai pu bailler à répétition pendant quasiment une demi-heure, enfin pouvais-je sauver l’honneur et vibrer à nouveau sur du TESTAMENT vintage, classique. Oui, le TESTAMENT nouveau déchire sa race sur album et n’a jamais déçu au gré de ses dernières livraisons, mais c’est bien l’ancien que l’on préfère sur scène. Jugez plutôt ce final d’anthologie : « Into The Pit », le très très très attendu « Practice What You Preach » (mon âge d’or !), le monstrueux « Over The Wall » (l’un des plus grands hymnes thrash de la Création), et enfin « Disciples Of The Watch » - vous l’aurez noté, c’est quand même avec les grandes écritures que l’on s’assure de remporter l’adhésion de ses fidèles, TESTAMENT ayant puisé pas moins de cinq morceaux dans « The New Order ».

Au final, bien heureux nous fûmes d’être encore les témoins d’une telle démonstration de vigueur tout simplement historique : DEATH ANGEL, EXODUS et TESTAMENT pour nous dans une petite salle parisienne, une véritable bénédiction doublée d’un réel honneur pour les fans de thrash authentique que nous sommes depuis si longtemps... Sûrement les reverrons-nous très vite tous à l’affiche de prochains festivals ou au cours de leurs tournées respectives, mais ensemble ? Le package était des plus alléchants, et ce sont encore une fois les deux plus « modestes » qui se sont avérés les plus affamés, comme lorsqu’il y avait encore tout à construire, quelque part dans l’insouciance de 1985.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications

1 commentaire

User
Laurent Raynaud
le 11 mars 2020 à 21:29
Entièrement d'accord avec cet article, J'ai grandi en étant fan de thrash et Testament était mon groupe fétiche, là c'était la quatrième fois que je les voyais après une longue coupure, j'ai été un peu déçu par rapport à Death angel et Exodus qui ont été énormes.
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