20 octobre 2021, 18:30

CRADLE OF FILTH

Interview Dani Filth

CRADLE OF FILTH revient cette année pour vous parler existentialisme avec un nouvel album intitulé « Existence Is Futile ». Composé de douze titres à la fois old-school, modernes, symphoniques mais aussi grandiloquents, il montre à nouveau que le black metal anglais possède un charisme indéniable. Dani Filth, leader charismatique de la formation, nous parle de son contenu avec professionnalisme et intégrité mais aussi avec humour et intelligence.


Bonjour Dani et merci de nous accorder un peu de ton temps car il semble que tu sois bien occupé à la promotion de l’album...
Oh que oui ! Mais c’est pour la bonne cause !

Bien sûr ! Te voilà donc en promotion pour le treizième album de CRADLE OF FILTH, qui en plus célèbre vos 30 ans de carrière. Ce n’est pas si "futile" que ça ! As-tu eu le temps d’apprécier chacun des moments de cette longue existence ?
A peu près, oui. Je ne dirais pas chaque moment car il y a eu des hauts et des bas comme dans toute carrière ou toute relation. Je suis presque marié à CRADLE OF FILTH, donc nous avons vécu quelques déboires. Mais je n’en garde que le meilleur car notre carrière est une folle épopée, ça c’est sûr !

Quand tu as créé CRADLE OF FILTH en 1991 alors que le black metal venait plutôt de Scandinavie, tu t’imaginais déjà tout en haut de l’affiche, avec autant de succès et présenté comme l'un des pionniers de la scène black ?
Non, on ne pouvait pas le prévoir bien sûr. Mais quand tu montes un groupe, tu fais au mieux pour qu’il réussisse et je suis très content d’en être là aujourd’hui.

« Existence Is Futile » a été enregistré en 2020, mais il a été écrit avant la pandémie. Est-ce qu’on doit comprendre le titre comme une injonction à profiter de la vie, de chacun de ses moments, puisqu’elle n’est pas faite pour durer ?
Oui, entres autres mais le titre joue aussi sur le parfait dédain de l’humanité. C’est également pour cela que l’on a décidé d’inclure ce thème sur la pochette de l’album, cet homme-démon qui joue diaboliquement avec sa planète et se sert de sa population uniquement pour le plaisir charnel. Il abandonne toute humanité et crée la peur, comme nous avons actuellement peur de notre avenir, nous craignons notre destin. Nous n’en sommes plus maîtres.

Tu penses que les hommes peuvent prendre conscience de leur condition alors ?
Disons que je change d’avis toutes les cinq minutes à ce propos !

Est-ce que la pandémie a confirmé justement ce besoin de profiter de la vie ? Et est-ce qu’elle a permis d’ajouter ou de modifier certaines choses aux chansons présentes sur l’album ?
Oui, elle nous a permis de passer plus de temps sur l’album surtout à cause du fait qu’on ne pouvait faire venir personne en Angleterre à cause du confinement. Cela a permis une espèce d’introspection et nous a rendu hyper critiques à propos de son contenu. On a dû attendre que notre deuxième guitariste (Ashok) qui vient de République Tchèque puisse poser ses parties de guitares sur les morceaux.
 


Tu es perfectionniste quand tu composes et enregistres un album ?
Oui, j’aime le penser en tous cas.

C’est ce qui ressort en tous cas, car lire des paroles de CRADLE OF FILTH, c’est comme se plonger dans de la poésie victorienne tellement l’anglais que tu utilises est imagé, littéraire et précis... Comment t’y prends-tu pour écrire les paroles de tes chansons ?
Eh bien déjà, je compose les paroles après la musique. Une fois la bande-son écrite, cela me donne une ligne de conduite à tenir pour définir le thème des paroles et faire en sorte qu’elles collent à la musique. Mais je n’ai pas vraiment de recette magique, je ne pourrais pas te dire comment j’écris. Ça dépend de mon inspiration et ça change d’album en album.

Tout sort de ton imagination et ton inspiration au moment de l’écriture...
Oui, mais attention, ce n’est pas non plus un processus naturel. J’ai besoin de prendre des notes dans les livres que je lis, trouver l’inspiration dans différents ouvrages. Ce n’est pas si simple, ce serait génial si tout pouvait me tomber du ciel, mais ce n’est pas le cas. « Allez, commençons à écrire mercredi et d’ici jeudi à 12h02, ce sera fini ! ». Non, ça ne fonctionne pas comme ça malheureusement.

Ce serait très organisé !
Oui, très... mais ce serait de la merde !


« Existence Is Futile » semble être un album qui va droit au but avec un son très moderne, très clair. Est-ce qu’il est conçu pour sonner comme une performance live ?
En fait, nous avons passé trois ans sur la route entre « Cryptoriana » et cet album. Encore récemment, nous jouions au Bloodstock Festival et on est repartis pour les USA en ce mois d'octobre pour une tournée. Le fait d’être en tournée nous a bien sûr poussés à vouloir retrouver ce son live. En 2019, nous avons donné environ 150 concerts je crois, donc ça a forcément eu une influence.

Et d’ailleurs, qu’en est-il de ta voix ? Comment la gères-tu, surtout pendant ou après tant de concerts ? Tu as une voix toujours aussi impressionnante, est-ce que ça te demande beaucoup de travail ou de concessions ?
En fait, la voix est comme un muscle. Tant que tu ne la sollicites pas trop, tout va bien. Plus tu l’entraînes, plus elle répond à tes sollicitations. Après, il faut éviter de trop boire, il faut dormir suffisamment. Mais il me semble que c’est de plus en plus facile avec le temps. Bon, bien sûr, je ne me vois pas hurler comme ça à 80 ans !

Est-ce que Scott Atkins, votre producteur, a été d’une aide précieuse pendant ce temps de confinement où vous avez tout de même pu enregistrer « Existence Is Futile » ?
Oui, il est toujours d’une grande aide. Nous avons déjà travaillé avec lui sur les deux précédents albums. On voulait que cet album sonne différemment. Bien sûr, il sonne comme du CRADLE OF FILTH, mais pas comme les albums précédents. Il est difficile d’expliquer comment il sonne, mais ça c’est ton boulot de toute façon !

Pas de problème, je m’y engage !
Le studio est de toute façon très isolé déjà en temps normal. Il est à peu près à 130 kilomètres d’Ipswitch, là où je vis, à la campagne. Personne ne travaillant autour pendant le confinement, il était encore plus à l’écart de tout. Le temps était par contre superbe, très inspirant. On était donc vraiment dans des conditions idéales pour enregistrer, et je ne pense pas que cela puisse se reproduire. On n’avait personne sur notre dos pour nous dire : « Eh les gars, il faut terminer ça dans trois semaines ! ». On se sentait comme libérés de toute contrainte. On s’est donc donné le temps qu’il fallait, on passait d’ailleurs souvent une demi-journée au studio à chaque fois seulement. Cela me laissait le temps de repenser à toute la musique. Je rentrais chez moi pour prendre du bon temps : lire, cuisiner, regarder la télé. Et seulement après, je me replongeais dans le travail effectué pendant peut-être une heure le soir. Puis, retour au studio le lendemain et ainsi de suite. C’était un bon moment.
 


Ce qui est frappant sur « Existence Is Futile », c'est le nombre de passages très lents, toujours très symphoniques et inquiétants, ce qui confère une atmosphère très mélancolique bien que brutale. Est-ce que ça va avec l’envie d’apaiser l’esprit des gens dans cette période stressante ?
A quelques égards oui, en effet. Il y a une chanson en particulier qui est très lente et mélodique, "Discourse Between A Man and His Soul", mais le reste de l’album est quand même très brutal. Chaque chanson est différente des autres. Il y a des passages rapides, brutaux, mélodiques. Il est difficile d’expliquer cet album vraiment… Mais tu le feras très bien !

Bien sûr ! Peux-tu nous parler d’Annabelle Iratni qui assure les parties vocales féminines sur l’album ?
Eh bien elle jouait déjà dans mon autre groupe, DEVILMENT, mais j’ai tellement d’autres choses à faire que je n’ai plus de temps à y consacrer. Donc c’était vraiment naturel de lui proposer de chanter dans CRADLE OF FILTH car elle a énormément de talent et une superbe voix. Elle est venue un peu plus sur l’album pour y chanter, mais elle a pu apporter sa contribution et joue même de la lyre. C’était plus que ce à quoi elle s’attendait, mais elle a été parfaite. Et en plus, elle est super sympa.

Est-ce que l’album est fait pour être écouter en une seule fois ou chaque piste a-t-elle sa propre histoire et peut se séparer des autres ?
Oui, chaque morceau a sa propre valeur et n’a pas lieu d’être forcément associé au précédent ou au suivant.

Pour les fans inconditionnels, il y a une surprise sur l’album : la présence de Doug "Pinhead" Bradley. Ce personnage est-il important dans l’univers de CRADLE OF FILTH ? En tous cas, sa présence donne de la consistance à la musique.
Oui, on aime bien l’avoir sur les plages bonus de nos albums et en particulier sur « Existence Is Futile » où le thème de l’existentialisme est central. Il apparaît donc sur "Sisters Of The Mist". C’est pour cette raison qu’il intervient aussi sur "Suffer Our Dominion". Il incarne quelqu’un de très austère, presque effrayant et il délivre un message puissant. C’est quelqu’un de très charismatique qui est devenu synonyme de CRADLE OF FITLH. Malheureusement, cette fois nous avons dû enregistrer sa voix à distance à cause de la pandémie. Il réside à New Pittsburg, qu’il appelle "The Pit", aux Etats-Unis, donc il lui a été impossible de venir en Europe. Mais avec Zoom, on a pu tout enregistrer et ensuite passer des heures à parler de politique américaine.

La pochette de « Existence Is Futile » a été à nouveau réalisée par Arthur Berzinsh, comme pour les deux albums précédents. Il est le meilleur pour interpréter ta vision de la musique ?
Oui, il sait très bien interpréter ce que l’on veut. On avait besoin d’un dessin qui parle d’existentialisme, de la décadence de l’humanité, de la surpopulation, etc. mais avec un concept religieux. Il fallait une vision de l’Enfer sur Terre vécu par les hommes. Dans le livret, il y a d’autres perspectives du dessin de la pochette. C’est très apocalyptique et j’adore le style d’Arthur et son côté très cinématique. Je trouve le résultat très approprié.

La dernière chanson de l’album est très sombre, très théâtrale. Elle s’intitule "Us, Dark, Invincible". Est-ce une sorte d’apogée ?
Oui, je crois qu’après tout le chaos, l’introspection, l’apocalypse, la destruction, il fallait une sorte de chanson fédératrice pour terminer l’album. C’est un peu le titre entêtant, accessible.

Et selon toi, qu’est-ce qui peut nous rendre invincible ?
Le collectif, l’organisation. Ensemble, on peut faire bouger les choses. Si l’existence est vraiment futile, on se doit d’en profiter à fond. Ce n’est pas un concept typiquement black metal, je le sais. Mais si le réchauffement climatique continue, les Norvégiens n’auront plus rien à dire sur leurs forêts mystiques !

Tu as bon espoir de pouvoir promouvoir l’album en live bientôt ?
Oui, absolument. Quand on a terminé d’enregistrer « Existence Is Futile », il n’y avait aucune ouverture possible sur le monde. Mais l’album sort juste avant Halloween, ce qui est cool pour nous. On va donc faire un concert spécial Halloween dans un lieu prestigieux : le London Roundhouse. On sera avec d’autres groupes qui ne sont pas encore annoncés. Il y aura une grosse production, du feu, de la glace, des effets lumineux... bref, une réelle expérience. On a vraiment envie de ce regain de sensations sur scène. C’est comme une renaissance. On a vraiment hâte de venir remuer nos derrières sur scène (rires) !

Une question un peu à part : tu as écrit la préface du livre biographique de MOONSPELL, "Wolves Who Were Men". Quelles relations entretiens-tu avec le groupe portugais et pourquoi t’ont-ils choisi pour préfacer leur ouvrage ?
Je pense qu’ils n’ont trouvé personne d’autre ! Plus sérieusement, Fernando (Ribeiro, le chanteur) est un de mes meilleurs amis dans le milieu. MOONSPELL est le groupe avec lequel nous avons le plus tourné. On a fait au moins six tournées ensemble, on a fait des festivals, on a dormi chez eux... J’ai été invité au mariage de Fernando aussi. On est très amis et je suis fier d’avoir contribué à leur livre. Ils ne sont d’ailleurs pas que des très bons amis, ils sont aussi de très bons musiciens, ce qui est très rare. Je suis un de leurs plus grands fans. Donc, quand il m’ont demandé d’écrire la préface de leur biographie, j’ai accepté immédiatement bien sûr.

Quant à toi, ton autobiographie, "Une Bible de Décadence et de Ténèbres", date d’il y a une dizaine d’années. Tu penses en écrire la suite maintenant que du temps est passé ?
Non, par contre j’ai pour projet d’écrire un livre sur l’occulte. Mais je ne veux pas aller trop vite en besogne, ce n’est pas pour tout de suite.

Pour terminer, il semblerait se profiler une collaboration avec Ed Sheeran... info ou intox ?
C’est une possibilité en effet. On est en train d’en discuter. Je ne suis pas fan de collaboration en temps normal, mais ce serait vraiment un gros défi de réunir nos deux mondes si différents.

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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