4 novembre 2021, 18:30

Bruce Dickinson

La signification de 666, Satan et le metal... la transcription du premier podcast du chanteur de MAIDEN


Non content d'être le frontman d'IRON MAIDEN, un des plus grands groupes de heavy metal de tous les temps, mais aussi pilote d'avion, escrimeur, romancier et bien d'autres choses encore, Bruce Dickinson est cultivé et passionné par de très nombreux sujets. D'où la création de "Psycho Schizo Espresso", un podcast bimensuel qu'il anime avec le Docteur Kevin Dutton, psychologue à l'Université d'Oxford. Au programme de la première des deux parties de ce premier épisode : la fin du monde, Le Livre de la Révélation, l'influence de Satan dans le metal et la véritable signification du fameux 666… – de quoi intéresser tout fan de metal qui se respecte. Un dialogue à trois voix en compagnie du Professeur Steven Friesen dont voici des passages choisis, histoire d'aller se coucher en se disant que l'on a appris des choses, y compris sur certains textes de la Vierge de Fer. Elle est pas belle la vie ?


​Pour ce premier épisode en deux parties, les deux Britanniques ont invité, via Zoom, le Professeur Friesen de l'Université du Texas à Austin, auteur de Imperial Cults and the Apocalypse of John: Reading Revelation in the Ruin, publié en 2001, et grand spécialiste ès-eschatologie. Je vous arrête tout de suite : pas de blagues pipi-caca au programme, il s'agit d'une doctrine, à la fois philosophique et théologique, relative à la fin des temps et à celle de la race humaine. Ce qui, comme l'indique le chanteur au début de l'émission, tombe bien puisqu'au moment de l'enregistrement, la vidéo de "The Writing On The Wall" venait d'être mise en boîte. Et qu'il en est justement question dans le texte du premier single de « Senjutsu », dernier album d'IRON MAIDEN en date.
 

Life after death ?

En guise d'introduction, puisque le Professeur Friesen évoque également les questions que tout le monde se pose quant à ce qui se passe après la mort, Bruce revient sur l'accident du R101, un dirigeable britannique qui s'écrasa lors de son premier voyage, le 5 octobre 1930, à côté de Beauvais, tuant 48 des 56 passagers. Et qui est justement le sujet de "Empire Of The Clouds" sur « The Book Of Souls » (2015). Pour plus de détails sur le texte et une sélection de titres de l'album, rendez-vous sur Please Professor Maiden, Teach Me! Part 16, une plongée dans les lyrics de MAIDEN signée Jay Sérignac.
Ayant effectué des recherches en amont, le chanteur a découvert qu'en pleine séance de spiritisme, une médium s'était mise à parler comme l'un des passagers décédés. Et avait alors révélé des détails que seul un membre de l'équipage, dont aucun n'avait survécu, pouvait connaître quant aux dysfonctionnements ayant entraîné le crash. L'information est parvenue jusqu'à un major de l'armée, au départ sceptique, qui enquêtait sur l'affaire et qui a été suffisamment convaincu par l'exactitude des informations données pour les rajouter au rapport officiel. Avant qu'elles ne soient supprimées, l'armée ne pouvant se résoudre à accepter une quelconque intervention surnaturelle pour expliquer les circonstances du drame…

Bruce rappelle également que Sir Hugh Dowding, un commandant britannique qui a conçu le système de défense aérien et a joué un rôle majeur dans la Bataille d'Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale, s'intéressait de près au spiritisme. Et "discutait" régulièrement avec l'esprit d'aviateurs de la Royal Air Force décédés. 

A noter qu'au détour de la conversation, le chanteur indique qu'il travaille sur un livre en rapport avec l'armée…


 

Le Livre de la Révélation 

De tous les livres du Nouveau Testament, dont il est le dernier, et de la Bible en général, Le Livre de la Révélation, également appelé L'Apocalypse ou Apocalypse de Jean, est celui qui a inspiré le plus de films et de romans. C'est également dedans que l'on trouve, chapitre 13, verset 18 : « Let him who hath understanding reckon the number of the beast/ For it is a human number/ Its number is six hundred and sixty six » (Que celui qui a de l'intelligence calcule le chiffre de la bête. Car c'est un chiffre humain : son chiffre est 666), célébrissime intro de "The Number Of The Beast" qui donne les poils à tout fan de MAIDEN (et de metal) normalement constitué. 

Le Professeur Friesen voit dans cette fascination pour la fin des temps une question universelle : "Qui sommes nous, aussi bien en tant qu'individus qu'espèce ?", ce qui nous mène évidemment à la fin de notre règne. Même si l'on aurait tendance à penser que l'on court à la catastrophe si rien n'est fait pour lutter contre la pollution et tente d'enrayer le changement climatique, personne n'a de réponse définitive dans la mesure où notre histoire s'écrit à l'instant même où nous parlons et que l'on ne peut que faire des suppositions quant à son issue. Il rappelle que Le Livre de la Révélation a une fin heureuse – pour certains du moins – « ceux qui ne sont pas jetés dans le lac de feu pour l'éternité ». Donc, peut-être en sera-t-il de même pour les humains (comme le laisse d'ailleurs présager les dernières images de la vidéo de "The Writing On The Wall", dont Dickinson a signé le scénario) ?

Bruce fait remarquer qu'Elon Musk, PDG de Tesla et de SpaceX, et Jeff Bezos, PDG d'Amazon, essaient quand à eux d'écrire leur propre chapitre en créant une possibilité de fuir la Terre grâce à la technologie. Quant au Docteur Dutton, il affirme avoir lu une étude selon laquelle 40 % des Américains croient au retour prochain de Jésus sur Terre, tandis qu'à la Silicon Valley, les Singulitaristes sont persuadés que c'est un monde à la Terminator qui nous attend, puisqu'en 2045, les ordinateurs auront selon eux développé une intelligence telle qu'ils détruiront l'humanité – à moins que l'on ne parvienne à trouver une solution pour que cela nous soit bénéfique. Note personnelle : on est mal barrés…

Le Professeur Friesen explique quant à lui que Le Livre de la Révélation a vraisemblablement été écrit à la fin du 1er siècle après Jésus-Christ, sur une île grecque au large de la Turquie, quand Jean a entendu la voix du Christ ressuscité qui avait un message pour les églises dans sept villes. Il cite également le Livre de Daniel, dans l'Ancien Testament… auquel Dickinson fait justement référence dans le titre même de "The Writing On The Wall" (l'inscription sur le mur) qui rappelle le Festin de Balthazar (Belshazzar selon les langues). Les fans de MAIDEN que vous êtes se souviendront certainement que début juillet, avant la sortie du single, le groupe – et Bruce – avait lancé une campagne de teasing où il était question de "Belshazzar's Feast", le Festin de Balthazar donc, au cours duquel une inscription mystérieuse apparaît sur le mur après que ce dernier a commis un sacrilège en buvant avec ses invités dans des coupes d'or volées dans le Temple de Salomon qu'il a détruit. Et qui, lui révèle Daniel, annonce sa mort prochaine ainsi que la chute de Babylone. 
Quant à la vidéo de la chanson, passée à la loupe ici, elle utilise des références bibliques (les quatre cavaliers de l'Apocalypse – motorisés –, Adam et Eve…).


 

Dieu et le Diable

Comme le précise Bruce, si beaucoup disent ne pas croire au Bien et au Mal à proprement parler, tout le monde aime les histoires avec un héros et un méchant. Il considère pour sa part le Diable comme un être ambivalent. Le Professeur Friesen rappelle qu'au départ, dans Le Livre de Job, un des livres de L'Ancien Testament, Satan est un des fils de Dieu qui cause des ennuis, mais que c'est dans la Bible, et plus précisément dans Le Livre de la Révélation, qu'il devient l'ennemi juré de ce dernier. Le théologien en profite d'ailleurs pour poser LA question qui hante de nombreuses personnes qui ne connaissent pas le metal : « Bruce, pourquoi parle-t-on autant du Diable dans ton genre musical ? ».

Dickinson remet les choses en contexte en rappelant que dans les années 1950 (il a 62 ans), l'Europe était majoritairement chrétienne et que beaucoup de gens allaient plusieurs fois par semaine à l'église. Pour pouvoir croire en un être absolument bon, il fallait nécessairement qu'existe un être absolument mauvais et malfaisant. « Les groupes de heavy metal ont adopté cette imagerie pour choquer les gens, analyse-t-il. De la même façon que les premiers films de la Hammer ont rajouté du sexe à Dracula – il y avait donc du sang, des crocs, du sexe et le Diable – ce qui choquait les gens, mais les excitait en secret. Enfant, on t'interdisait de regarder ces films, donc, ça devenait intéressant et tu les regardais. (…) Et puis sont arrivés des films comme La Malédiction et L'Exorciste qui ont montré la force physique du Mal, et c'était passionnant. »

Le Docteur Dutton rappelle pour sa part que l'Homme aime le manichéisme et que le rock étant la musique anti-establishment par excellence, qu'y a-t-il de plus anti-establishment que Satan ? « Porter des T-shirts de groupe de metal n'est pas qu'une question d'esthétique, c'est une expression de l'identité, affirme le chanteur. On s'identifie à la musique et aux histoires qu'elle raconte, mais ça ne veut pas dire que l'on est MAUVAIS. (…) A l'exception de quelques rares groupes norvégiens qui ont brûlé des églises, l'immense majorité des groupes utilisent ces images comme une forme de divertissement, d'échappatoire vers un monde où ils peuvent vivre des fantasmes de Bien et de Mal avant de s'en retourner à leurs tâches quotidiennes. (…) Ce sont des touristes infernaux de l'esprit. (…) Au fil des années, je pense que cela devient du matériel et des images pour raconter des histoires. Il ne faut pas prendre ça au premier degré. »

Quand le Professeur Friesen demande si les chansons traitant du Bien et du Mal peuvent permettre à l'auditeur de mieux se connaître ou de mieux appréhender le monde, Dickinson offre : « Tout dépend du contenu de la chanson. Plus de 50 % du temps, non. Mais parfois, on ajoute un petit twist. Comme dans "The Writing On The Wall". Ou dans "Flight Of Icarus". Qui parle du mythe d'Icare mais que j'ai transformé de telle sorte qu'il est question d'un père exigeant. Dans la fable grecque, Icare est le seul responsable [de sa chute et de sa mort], c'est une tête brûlée. S'il avait écouté son père, jamais ses ailes de cire et de plumes n'auraient fondu. Dans ma version, je dis : "Non, ton père est un connard. Il a fixé des ailes sur ton dos à toi qui n'as qu'un cerveau non développé d'adolescent et il t'a dit de voler. Il s'attendait à quoi, à part que tu irais le plus haut possible ? Pourquoi avoir mis des ailes sur ton fils, pourquoi n'es-tu pas allé voler toi-même ? C'est ta faute, papa, pas celle de ton gamin." En agissant ainsi, tu donnes à l'auditeur une nouvelle perspective. Certains y sont réceptifs, d'autres pas et ne considèrent les choses qu'au premier degré. » 


 

Pourquoi Jean, qui a calculé le chiffre de la Bête, ne la nomme-t-il pas directement ? Etait-il un antique Dan Brown (auteur du Da Vinci Code) ?

Une question malicieuse que pose le Docteur Dutton au Professeur Riesen, qui explique qu'en fait, Jean a vu au-delà des apparences ce qui se passait réellement. Ce qu'il rapproche d'une théorie du complot : il se passe des choses dans l'empire romain, dans les églises, mais derrière se cache une bataille entre Dieu et Satan, même si Jean est persuadé que, bien que les Chrétiens soient alors persécutés par les Romains, Dieu a déjà gagné à travers Jésus. Il explique que selon la perspective de Jean, l'empire romain est l'incarnation du Mal dans le Livre de la Révélation, chapitres 12 et 13, là où il est question du Chiffre de la Bête. « Ce sont les plus grands succès de Jean : les quatre cavaliers de l'Apocalypse, la nouvelle Jerusalem, la marque de la Bête… » plaisante-t-il.

Pour comprendre ce fameux calcul, il faut savoir que chez les Grecs de l'Antiquité, les chiffres n'existaient pas, explique le théologien (n'allez pas me demander pourquoi il parle de grec, le Livre de Daniel ayant été rédigé en hébreu et araméen…). Il fallait donc soit écrire 6 en toutes lettres ou choisir la sixième lettre de l'alphabet. « Si l'on écrit Nero Caesar (NDJ : Néron César, César étant l'un des nombreux prénoms de l'empereur romain) en hébreu, on obtient 666 » explique le Professeur. Ce qui s'appelle la guématria ou numérologie des lettres hébraïques. Néron ayant persécuté les Chrétiens et Le Livre de la Révélation ayant été écrit un peu plus d'une décennie après son suicide, on considère donc que c'est de lui dont il est question, puisque beaucoup affirmaient que l'empereur n'était pas mort et qu'il allait revenir avec une armée pour reprendre le contrôle de l'empire romain. Une ombre écrasante pour l'église et une solution probable à l'énigme 666… même si, en latin, Néron (version anté-harrypotterienne de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom) apparaissait également sous le nombre 616…


Rendez-vous un mardi sur deux pour les prochains épisodes de "Psycho Schizo Espresso".

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
Ses autres publications

2 commentaires

User
Éric Benard
le 05 nov. 2021 à 19:32
C'est captivant et très enrichissant merci et bravo
User
Laurence Faure
le 05 nov. 2021 à 19:39
Merci Eric. :)
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