Comme il est bon parfois de s’oublier soi-même, de disparaitre dans une parenthèse suspendue dans le temps, de se perdre loin du fracas de la vie, de ses tourments et de son quotidien pesant. Noyer ses pensées et ses inquiétudes, étouffer ses angoisses et ses questionnements inutiles et énergivores. Juste le temps d’une écoute, d’un voyage au cœur du son. La musique de SILENT SKIES est de celles-ci, celles qui ouvrent les fenêtres sur un ailleurs où l’âme part vagabonder dans un au-delà infini, se débarrassant au passage d’un corps devenu encombrant. On flotte en apesanteur, très loin, très haut, dans le moelleux d’un nuage, mais cependant instable, au plus près du bleu sombre d’un ciel étoilé.
Les notes de piano de Vikram Shankar s’égrènent telles de précieuses perles, des bulles de savon qui voyagent au gré du vent, portées par la voix chaude, émouvante et caressante de Tom S. Englund (EVERGREY). « Nectar » est le deuxième album du duo, après le sublime « Satellites » paru en décembre 2020 (chronique et genèse du projet en suivant ce lien).
Il n’aura pas fallu bien longtemps aux deux prolifiques artistes, toujours accompagnés du génial Raphael Weinroth-Browne, violoncelliste virtuose et inspiré (qui participe, entre autres, aux albums de LEPROUS) pour donner une suite à ce premier coup de maître. Dire qu’ils se sont une fois encore surpassés est un doux euphémisme. « Nectar » est un diamant, sombre et lumineux, où l’espoir et la détresse sont les fils conducteurs, où l’amour et la solitude soufflent le chaud et le froid. Ce moment où la nuit cède sa place au jour, lorsque la lumière s’approche mais le ciel est encore noir bleuté. Dansant à la frontière du vide, sur le bord d’une falaise. Les pieds sur terre, mais les yeux fixés sur l’horizon lointain entre ciel et mer. Il y a de tout cela dans cet album.
De premier abord, la majeure différence entre « Nectar » et « Satellites » se situe dans le traitement du son : le piano est en retrait, tandis que la voix, le violoncelle et les orchestrations sont mis en avant. Ce qui a pour effet d’apporter une dimension encore plus atmosphérique et mélancolique. Plus sombre aussi ("Fallen From Heart", "Taper", "Let It Hurt", "Leaving", "Cold"). Comme si la lumière s’éloignait à mesure que l’on s’en approchait, la main tendue pour attraper cette luciole qui ne cesse de nous échapper. Mais elle est bien là, papillonnant au milieu de nos brumeuses pensées ("Neverending", "The One", "Better Days", "Closer"). Les textes sont une nouvelle fois extrêmement profonds, et le chant de Tom S. Englund les met en valeur de la plus belle des manières, guidant l’auditeur au-travers des méandres des tourments de l’âme, avec sa diction parfaite et sa voix toute en nuances. Vikram Shankar a utilisé le piano de son enfance sur cet album, celui qui se trouve toujours dans la maison de ses parents, comme pour donner vie aux souvenirs enfouis, et encore plus de relief émotionnel à ce deuxième disque.
Constat d’une vie, lorsque l’on arrive à un certain âge. Passé sur lequel on se retourne pour peut-être faire un bilan, besoin de se poser pour dire les heurts et les espoirs de ce cheminement, comme dans le refrain de "Taper" : « Cause’ my heart is too old, While my soul is too young. It’s getting harder and harder. And I can’t hold on much longer » (« Parce que mon coeur est trop vieux, alors que mon âme est trop jeune. C'est de plus en plus difficile. Et je ne peux pas tenir plus longtemps »). Ou bien encore dans "Neverending" : « So I start to climb and then I fall. But I believe better days will come » (« Alors je commence à grimper et puis je tombe. Mais je crois que des jours meilleurs viendront »). Mais la souffrance, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne, finit toujours par s’estomper. Avec le temps. Elle glisse comme une vague, nous emportant dans son tourbillon, pour nous laisser, échoué sur une rive déserte, où tout est à reconstruire. Encore. Questionnements sans réponse, mais acceptation de cet état de fait, tel "Let It Hurt" : « And why am I hurting? Why am I hurting? You can’t lie, Is my life a lie? Let it hurt, let the pain come. We are this season’s children. So innocent and full of wonder. Just let it hurt » (« Et pourquoi est-ce que je souffre ? Pourquoi est-ce que j'ai mal ? Tu ne peux pas mentir, ma vie est-elle un mensonge ? Laisse la douleur venir, laisse la douleur venir. Nous sommes les enfants de cette saison. Si innocents et pleins d'émerveillement. Laissez-vous aller à la douleur »)
D’où l’envie de partir loin, très loin. De mettre de la distance entre soi et soi. Entre soi-même et les autres aussi. "Leaving", la plus poignante de toutes les chansons de SILENT SKIES, en est la parfaite illustration, avec son final dramatique, superbement mis en image par une vidéo de toute beauté : « If you saw the light leave like I did, You would also feel like to leave. I’m leaving, leaving, leaving, leaving... » (« Si tu as vu la lumière partir comme moi, tu auras aussi envie de partir. Je m'en vais, je m'en vais, je m'en vais, je m'en vais... ») Partir de manière à se retrouver. Retrouver celui ou celle que l’on est profondément, pour ensuite, finalement, retrouver les autres. Et vivre la rencontre d’un être qui nous accompagnera sur cette route, si chaotique soit-elle. Croiser un regard, effleurer une main, avec cette certitude profonde que l’on se connait déjà, qu’il (ou elle) est "The One" : « I know now that I’ll never feel alone again. Cause’ through the darkness I felt the sun. And when I sensed that I’d never be on my own again. That’s when I knew you were the one » (« Je sais maintenant que je ne me sentirai plus jamais seul. Car dans l'obscurité, j'ai senti le soleil. Et quand j'ai senti que je ne serais plus jamais seule. C'est là que j'ai su que tu étais la bonne. »)
« Nectar » fait se côtoyer les espérances et les peines, un reflet de la vie, sans fard, belle et triste à la fois. Point de guitares et de batterie, point de saturation sur cet album, mais cela n’empêche en rien la musique d’être poignante, prenante et émotionnellement forte. SILENT SKIES a créé un disque que l’on ne voudrait jamais quitter, qui résonnera encore longtemps dans notre cœur bien après la dernière note. De la poésie à l’état pur. Une bulle de savon transparente, irisée des mille couleurs de l’arc-en-ciel, que l’on voudrait toucher du doigt pour approcher sa beauté. Mais on n’osera pas, de crainte de la voir éclater. On se contentera de la regarder s’envoler, savourant ses reflets qui ne cesseront de nous émerveiller.