Mon boss est vraiment quelqu’un de bien. Lorsqu’il reçoit un album qui lui a tapé dans l’œil (ou plutôt dans les oreilles), il pense à moi pour le chroniquer. Et il a raison. « The Hindsight Notes » de COLD NIGHT FOR ALLIGATORS est un OVNI de metal progressif particulièrement goûteux. Avec des saveurs toutes plus différentes les unes que les autres. Une mixture savoureuse pour la gourmande que je suis, alliant un subtil mélange de metal expérimental, de pop, de guitares saturées et de solis inspirés, de screams placés judicieusement et de voix claire aérienne, avec des touches jazzy/bluesy (le solo de "No Connections" au saxophone, entre autres) .
COLD NIGHT FOR ALLIGATORS est un groupe danois, originaire de Copenhague, formé en 2008, et propose une musique à nulle autre pareille. Pour preuve, dès le morceau d’introduction, "Behind Curtains", on se prend une belle baffe auditive. La chanson commence comme une ballade pop, avec ses sonorités de claviers aériens et la voix claire de Johan Pedersen qui ressemble à un croisement entre celle de Fredrik Bergersen Klemp (MARATON) et du regretté Mark David Hollis (TALK TALK), puis on est rapidement happé par la virulence rageuse qui transperce dans la voix du chanteur à travers une raucité très appréciable, jusqu’au scream final qui laisse sur le cul. Il utilise sa voix saturée avec parcimonie, ce qui rend ces quelques interventions encore plus appropriées et nettement plus puissantes ("Worn Out Mannequin", énorme coup de cœur, en est probablement le meilleur exemple).
On poursuit tranquillement avec "No Connections", puis "Verism" se fait plus énergique, sur un rythme syncopé, avec un très beau solo, comme la cerise sur la gâteau. "Water" se veut heavy et mid-tempo, tandis que "Dusty Patterns" est doté d’un refrain punchy et d’une rythmique complexe. On passe au sein d’un même titre par différentes ambiances, qui peuvent de prime abord, désarçonner. Mais, n’est-ce-pas là toute la saveur d’une composition que de nous surprendre à chaque détour ? Et ceci est loin de s’avérer indigeste, toute la subtilité et l’art du groupe résident dans cette manière unique d’additionner les influences dans un savant dosage. L’album commence plutôt calmement pour arriver à un tournant plus metal avec le titre suivant.
"Nostalgic" est franchement rentre-dedans, offrant un rythme groovy, des riffs incisifs et des voix tour à tour douces et agressives. Un très bon titre, qui donne envie de headbanger, et fera des merveilles en concert, sans aucun doute. "Adjust" retourne visiter des horizons pop, une traversée sur des eaux calmes et apaisées, histoire d’offrir encore plus de puissance à la suivante, "Worn Out Mannequin", sans doute le meilleur titre de cet album, poignant, violent, doté de chœurs à faire dresser les poils et de screams déchirants. On est pris, telle une feuille d’automne dans un tourbillon, malmenée par les vents contraires sous un ciel gris plombé, rincée par l’orage qui s’abat d’un coup, échouée, exsangue, dans un caniveau charriant l’eau sale et boueuse qui vient de s’abattre sur nous. "Thin Line" est également un excellent morceau, voyant le vocaliste affronter ses doutes et ses craintes, ses petits et grands mensonges personnels, faisant une rétrospective de sa vie émotionnelle face à sa toute nouvelle paternité. Une immense joie mais un bouleversement profond de ses fondations, une remise en cause de tout son être. Un thème fort pour une chanson qui nous emporte dans les recoins de la psychologie humaine. L’album se referme sur "Hindsight", une nouvelle preuve du talent de ce groupe à proposer des chansons mêlant toutes sortes d’ambiances et de rythmes, avec une fluidité naturelle et évidente. Un magnifique morceau au final épique.
COLD NIGHT FOR ALIGATORS est un groupe extrêmement mature, qui a su digérer ses influences et restituer un son et un style uniques. On se laisse envahir, posséder par cette musique, profondément addictive, sans offrir le moindre soupçon de résistance. Et une fois « The Hindsight Notes » terminé, on ne peut s’empêcher d’appuyer une fois encore sur la touche "play". C’est comme lorsqu’on fait l’amour, on a toujours envie de recommencer...