Eddie Vedder est un artiste libre qui a atteint un point de maturité lui autorisant à créer ce qu’il veut, sans aucune barrière. Alors, à quoi devons-nous nous attendre à l’écoute de ce troisième album solo, « Earthling » ? Onze ans après son dernier disque, « Ukulele Songs » et quinze après le magnifique « Into The Wild » (2007) issu du film du même nom, réalisé par Sean Penn (à voir impérativement, si ce n’est déjà fait), le chanteur de PEARL JAM propose ici un album bien différent des deux premiers, qui éclairaient une facette plus intimiste et minimaliste de l’artiste. Entouré d’une tripotée de musiciens, tous plus célèbres les uns que les autres - Stevie Wonder, Ringo Starr, Elton John en guest-stars, Andrew Watt (également producteur de l’album) à la guitare, Chad Smith (RED HOT CHILI PEPPERS) derrière les fûts, Chris Chaney (JANE’S ADDICTION) à la basse et Josh Klinghoffer (ex-RED HOT CHILI PEPPERS) à la guitare - le frontman livre ici un album bien plus électrique, rock teinté de folk et de country, avec des relents punk fort bienvenus ("Rose Of Jericho", "Power Of Right", "Good And Evil").
Ainsi, « Earthling » alterne les morceaux dépouillés, sur lesquels Eddie Vedder laisse libre cours à ses émotions ("Brother The Cloud", "Long Way", "The Haves", "On My Way", "Fallout Today") avec d’autres titres plus country (le très étonnant "Try", avec son intro à l’harmonica, "Picture" à l’ambiance saloon enfumé façon « western, cow-boys et danseuses de french-cancan »), certains plus pop-rock ("Invincible", "The Dark", "Mrs Mills") et des pépites punkisantes comme "Rose Of Jericho" et "Good And Evil". Le ligne conductrice reste bien évidemment la voix de baryton unique et inimitable d’Eddie Vedder, une voix reconnaissable entre mille, gorgée de feeling et bluesy, capable de véhiculer bien des émotions, même si le côté écorché vif des débuts de PEARL JAM s’est (hélas) bien adouci. Cette sensibilité à fleur de peau qui filait des frissons à l’écoute de « Into The Wild » s’est fait la malle depuis longtemps pour laisser place à la mélancolie de l’âge. Les morceaux les plus plaisants sont ceux sur lesquels le vocaliste se lâche, comme "Rose Of Jericho", "Brother The Cloud" et sa belle progression rock énervé, "Good And Evil" et "Try", qui, malgré ses airs sautillants presque cartoonesques, se révèle un titre bien sympathique qui refile la patate.
Ne nous méprenons pas : « Earthling » reste un album très plaisant à écouter, varié où l’on ne s’ennuie guère. Les performances des musiciens sont irréprochables, la production est très réussie, le son est vraiment bon, et certains morceaux sont particulièrement savoureux, mais cette fulgurance émotionnelle semble un peu trop rare. On ne peut s’empêcher de ressentir un certain manque, comme une lumière qui rejaillit par moment, mais qui s’éteindrait ponctuellement, une ampoule clignotante sur le point de rendre l’âme... Chroniquer cet album est bien délicat, car il n’est pas mauvais en soi, mais de la part d’un tel artiste, n’est-on pas en droit de s’attendre à vibrer un peu plus ? L’enchainement "Good And Evil", "Rose Of Jericho", "Try" et "Picture" s’avère être le moment fort de cet album. La tension redescend avec "Mrs Mills", plutôt anecdotique, et s’achève sur "On My Way", qui n’est pas sans rappeler les travaux précédents d’Eddie Vedder, lorsqu’il s’est essayé à des chansons atmosphériques construites sur des boucles, comme "Arc" (2008), visible sur le DVD « Water On The Road », concert issu de la tournée donnée par le chanteur pour la promotion de « Into The Wild ».
Reste sur « Earthling » le plaisir d’entendre la voix exceptionnelle d’un artiste qui a parcouru un long chemin, pavé de joies mais aussi de pertes douloureuses. On ne peut s’empêcher de penser à la mort tragique de Chris Cornell, mais également au décès d’un autre Chris, le frère d’Eddie Vedder, ainsi que la perte de son père alors qu’il était encore très jeune, et le croyait un simple ami de la famille. Eddie Vedder a d’ailleurs pu remettre la main sur des enregistrements de la voix de son père, qu’il a inclus sur cet album, comme un lien familial qui se devait d’être construit, bien des années après, et désormais à jamais gravé sur ce disque.