31 mars 2022, 20:06

DEF LEPPARD

"Adrenalize" (1992 - Rétro-Chronique)

Album : Adrenalize

Nous sommes (déjà) en 2022 et cet album fête ses... 30 ans !

Avant d’entrer dans le vif du sujet qui anime cette rétro-chronique aujourd’hui, il faut remettre les choses dans leur contexte et surtout, dans celui de l’époque et me permettre à titre exceptionnel d’évoquer un souvenir personnel. En ces temps ancestraux dont je vais vous parler, il n’y a pas encore à disposition d’internet, de réseaux sociaux accessibles partout en un simple clic, de téléphones portables et de sms. Alors pour relayer l’information écrite, quelle qu’elle soit, il faut s’en remettre aux dépêches transmises par les organes de presse aux quotidiens, hebdos et/ou magazines, spécialisés ou non.

Nous sommes alors en février 1991. Je suis en 3ème et avant de me rendre au collège ce matin-là, je vais avec empressement, comme chaque début de mois, jusqu’au kiosque le plus proche afin de me procurer le nouveau numéro de Hard Rock Magazine qui fait partie de mon triptyque d’achat mensuel avec Metal Hammer et Hard Force. Mais ce jour-là, alors que je me saisis d’un exemplaire de cette édition, la lecture du titre sur la couverture et la photo qui l’accompagnent me figent et me glacent. « La mort de Steve Clark » peut-on y lire. Je n’ai pas encore quinze ans, je ne connais pas personnellement ce musicien mais l’annonce de cette disparition sera ma toute première confrontation avec la mort. Celle du guitariste de DEF LEP’ comme on les appelle, et à seulement trente ans en plus, survenue le 8 janvier 1991 suite à une insuffisance respiratoire liée à l’alcool et les médicaments retrouvés dans son sang. Le magazine restera ainsi posé toute la journée sur ma table en classe, bien en vue à côté des cahiers et de ma trousse. Les professeurs qui passent à côté de moi ne pouvant l’ignorer, lisent ce qu’il y a d’écrit dessus, me regardent mais ne me font aucune remarque au vu de mon visage fermé, le regard absent, l’air un peu hagard. Je ne suis pas défoncé, je suis juste dévasté. Ils savent que je suis un dingue de musique, de heavy metal et comprennent à la lecture de cette "une" que je suis en deuil. Son décès reste d’ailleurs douloureux lorsque j’y resonge aujourd’hui. Mais l’écriture de cette chronique me replonge tout de même en grande partie – et heureusement ! – dans des souvenirs d’une époque formidable, celle de la transition entre années 80 et 90 qui coïncidèrent avec la fin de l’âge d’or du metal et celle de ma période d’ado. Bref comme on dit souvent, c’était « que du bonheur ». Ou presque si l’on tient compte de cette perte immense pour le monde du rock, un gâchis incommensurable. Une issue inévitable pourtant comme l’a précisé le chanteur Joe Elliott au cours d’une interview donnée un mois avant la sortie de l’album : « Nous avons perdu Steve un an avant sa mort. Nous ne pouvions rien faire de plus pour lui. » Le guitariste avait même été retrouvé inconscient dans une rue de Minneapolis avec un taux d’alcool dans le sang supérieur à celui qu’avait John Bonham (batteur de LED ZEPPELIN) lors de sa mort et équivalent au double de celui induisant le coma. Admis alors d’urgence dans un hôpital psychiatrique, il reçut la visite d’Elliott : « C’était un asile de dingues. Je regardais Clarkie en pensant "Mais qu’est-ce que tu fous ici, putain ?!" Il avait l’air d’un mort-vivant. »


© Jérôme Sérignac


13 mois plus tard, le 31 mars 1992, arrive dans les bacs le nouvel album du Léopard Sourd après quatre ans et demi d’attente, « Adrenalize » et sa pochette décrivant un iris bleu qui semble s’apprêter à voler en éclats. Au passage, la même couleur que les yeux de Steve tiens. La première question que l’on se pose pourtant avant la première écoute est de savoir comment le groupe a-t-il fait pour se relever de ce second coup de massue qui l’a laissé à nouveau groggy ? Car rappelons que le 31 décembre 1984, le batteur Rick Allen subit un très grave accident de voiture qui le privera ensuite de son bras gauche. DEF LEPPARD a pu se relever, d’une part grâce aux talents d’écriture qu’avaient Steve, six titres de ce disque ayant été composés avant son décès et cosignés de sa main. Alors pour « Adrenalize », même s’il n’a pu participer aux sessions studio en personne, c’est tout de même aussi "son" disque. En effet, contraint par les événements, l’album est le seul du groupe à avoir été enregistré en tant que quatuor, Phil Collen s’étant chargé de toutes les parties de guitare : « Pourquoi faire venir quelqu’un qui ne saisira pas notre esprit ? Je vais devoir tout enseigner à quelqu’un. Le plus bizarre a été d’apprendre les parties de Steve (…) c’était comme écouter un fantôme. Il était dans la pièce. » expliqua le guitariste. D’autre part, la formation a réussi à se relever en faisant passer des auditions pour trouver un remplaçant à Steve. Postuleront notamment Adrian Smith, fraîchement parti d’IRON MAIDEN, ou encore John Sykes (ex-WHITESNAKE et TYGERS OF PAN TANG, THIN LIZZY) mais leur choix s’arrêtera sur un irlandais, Vivian Campbell (lui aussi ex-WHITESNAKE et DIO), qui eut donc la lourde tâche de remplacer un pilier du groupe, eu égard au formidable style de jeu qu’avait Steve, la caution blues du groupe quand Phil Collen était foncièrement plus rock. Et je ne parle même pas de son charisme... Alors non, Viv’ ne remplacera ni ne fera jamais oublier son prédécesseur en dépit de son immense talent de guitariste et son énorme capital sympathie, même s’il y a maintenant trente ans qu’il est en poste. Le syndrome Bon Scott-Brian Johnson en somme. Mais la combinaison de ses talents précités confirme bien qu’il mérite la place qu’il occupe et qu’il n’a pas juste pris celle d’un autre. Le baptême de l’air pour Vivian Campbell aura lieu le 15 avril 1992 dans un petit club de Dublin pour un concert d’échauffement avant d’être projeté une semaine plus tard sur l’immense scène du non moins immense stade de Wembley, à l’occasion du concert donné en hommage à Freddie Mercury, disparu le 24 novembre 1991.


© Jérôme Sérignac


La longue gestation de l'album « Adrenalize », liée en grande partie aux soucis d’alcoolisme de Steve qui n’en finissait plus de faire des aller-retours en cure (6 rien qu’entre 1989 et 1990) après le cycle-cirque album-tournée pour « Hysteria », aura tout de même permis d’en tirer de grands titres qui restent encore aujourd’hui associés à la quintessence artistique du groupe, suivant alors une pente ascendante depuis son premier album, « On Through The Night », paru douze ans plus tôt. Six singles sur dix chansons en seront tirés (un de moins que pour « Hysteria ») mais l’ensemble aurait pu y prétendre, n’ayant aucun composition plus faible qu’une autre. Il suffit de réécouter les "incriminées" en question, l’émouvante "White Lightning" qui s’adresse directement au disparu, "Personal Property", la sensuelle "I Wanna Touch U" (disponible en single également mais en "promo" hors commerce) et la rentre-dedans "Tear It Down" qui referme la marche pour s’en convaincre. Changement plus que notoire, le producteur-gourou Robert John "Mutt" Lange (AC/DC notamment) ne s’affaire plus derrière la console pour les cinq moins un de Sheffield, occupé qu’il est en studio avec Bryan Adams, même s’il se voit crédité à la composition sur l’ensemble des morceaux du disque. Pour ce cinquième album, il sera remplacé conjointement par DEF LEPPARD et Mike Shipley qui connait déjà bien le groupe pour avoir déjà travaillé avec lui comme ingénieur du son depuis 1981 et « High 'n' Dry ». Le 16 mars 1992, quinze jours avant la sortie du disque paraît une mise en bouche avec l’imparable "Let’s Get Rocked", morceau qui continue de truster les set-lists du groupe de nos jours. On y retrouve tout l’ADN de DEF LEPPARD et fait s’affoler charts et fans transis. Vous pouvez retrouver plus bas la version live que le groupe donna le 9 septembre 1992 à Los Angeles pour les MTV Music Awards, introduit par l’acteur Dana Carvey, inoubliable et inénarrable Garth Algar à l’écran au côté de Mike "Wayne Campbell" Myers dans le diptyque Wayne’s World. Cette chanson a par ailleurs été composée et enregistrée afin de contraster avec la sombre "White Lightning", les deux titres avec lesquels DEF LEPPARD a terminé les sessions d’enregistrement. A ce propos, saviez-vous que "Let’s Get Rocked" faisait écho à la série Les Simpson ? Les paroles parlent en effet de Bart, le gentil garnement de cette famille toute jaune que le groupe regardait lors de pauses en studio, bien que le chanteur Joe Elliott ait indiqué que n’importe quel adolescent pouvait également s’y identifier. Enregistrée en deux temps trois mouvements, elle a permis aux membres du groupe d’entrevoir à nouveau un peu de ciel bleu et de garder à l’esprit ce côté festif, prépondérant chez eux. Le clip tourné pour ce titre parlera d’ailleurs à ceux ayant vu celui de DIRE STRAITS, "Money For Nothing", la partie animée étant dans le même esprit. Un prêté pour un rendu, Homer Simpson apparaîtra en compagnie de Peter Griffin, héros de la série animée Family Guy dans une hilarante scène de lavage de voitures en petite tenue, mise en musique sur le méga-hit "Pour Some Sugar On Me" tiré de « Hysteria ».


Le mouvement #metoo étant depuis passé par là, on ne s’attardera pas plus avant sur "Make Love Like A Man", chanson qui, bien que traitée avec humour comme en témoigne la vidéo officielle, serait taxée aujourd’hui de misogynie crasse (« Ne me traite pas de gigolo, ne m’appelle pas Casanova / Passe-moi plutôt un coup de fil et ramène-toi quand tu as besoin de quelqu’un / Quand tu as besoin de quelqu’un qui / Fasse l’amour comme un vrai mec / Je suis un vrai mec, voilà c’que j’suis, ouais ! »). Même constat pour l’entraînante (et pas entraineuse, ne pas confondre) "Personal Property", presque un comble lorsque l’on sait qu’une grande partie de leur audience est constituée de femmes. Est-ce dû au fait que ces titres très "macho men" soient contrebalancés par de belles bluettes à l’image de la sirupeuse ballade qu’on trouve sur « Adrenalize » ? Car si les titres précédents visent en-dessous de la ceinture, "Have You Ever Needed Someone So Bad" ramène le débat au niveau de nos p’tits cœurs de rocker comme dirait Julien Clerc. Plus ramassé que « Hysteria », ce nouvel album se referme après quarante-cinq minutes sans temps morts et dix titres, douze pour la version japonaise qui inclut une version électrique de "Miss You In A Heartbeat" et un titre inédit, "She’s Too Tough". Remarquablement accueilli, il se hisse directement à la première place des charts dans six pays (Etats-Unis, Angleterre, Canada, Nouvelle-Zélande, Suisse et Autriche) et les ventes seront elles aussi assez girondes avec sept millions d’exemplaires écoulés (dont 3 rien qu’aux USA). Peu ou prou le même nombre que « Pyromania » mais moitié moins que « Hysteria », bien qu’il ne soit pas vraiment parlant de comparer les ventes mais que voulez-vous, arrivé en haut des montagnes russes, il faut bien redescendre à un moment, n’est-ce pas ?

L’album sort dans les formats habituels en CD, vinyle et cassette audio et le Japon, toujours chouchouté à cette époque, aura droit un an après sa version améliorée de l’album comme décrite plus haut, à un EP de 4 titres live, « In The Clubs... In Your Face », enregistré en Allemagne à Bonn le 29 mai 1992. Un complément que chacun pourra se procurer sur la version Deluxe double CD parue en 2009 agrémentée également de l’ensemble des faces B des singles de « Adrenalize ». A noter que l’édition de l’album en picture-disc numérotée parue en 1992 ou les photos ornant les pochettes des singles "Make Love Like A Man" et "Have You Ever Needed Someone So Bad" incluent Vivian Campbell, contrairement à l’insert intérieur de l’édition vinyle normale ou celle du single "Let’s Get Rocked" où l’on ne voit que Joe Elliott, Phil Collen, Rick Allen et le bassiste Vivian Savage.

Pour aller plus loin :
« On Through The Night » (1980)
« High ‘n’ Dry » (1981) – lecture à compléter par celle de la rubrique « Un Jour, Un Album » que Laurence Faure a consacrée à l’album
« Pyromania » (1983)
« Hysteria » (1987)
« Songs From The Sparkle Lounge » (2008)



Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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