8 avril 2022, 15:10

Joe Satriani

"The Elephants Of Mars"

Album : The Elephants Of Mars

Audacieux : adjectif et nom définissant quelqu’un qui a de l'audace, de la hardiesse ou de l'insolence. Ex : « Un garçon entreprenant et audacieux. » Bon eh bien voilà qui résume bien Joe Satriani selon la définition que l’on trouve dans le Larousse et pour ce qui relève de « The Elephants Of Mars », dix-huitième et nouvel album de Satch, son surnom. Pour ce disque, notre alien préféré s’est une fois de plus entouré d’une dream team côté musiciens. Hormis le batteur Kenny Aronoff qui jouait déjà sur « Shapeshifting » en 2020 et que Joe connait bien pour avoir joué en sa compagnie lors de la deuxième tournée de CHICKENFOOT, on retrouve un de ses vieux complices en la personne d’Eric Caudieux. Les fans du guitariste connaissent bien ce nom par le fait qu’on ait déjà eu l’occasion d’entendre le français depuis près de vingt-cinq ans sur plusieurs albums de M. Satriani. Et pour cette nouvelle livraison, le duo s’est fendu de morceaux du moins inattendus, sinon novateurs et se sont permis de sacrés... audaces. Secondé aux claviers par Ray Thisthlewhayte, les orchestrations se veulent imposantes, décomplexées et décuplent le propos du six-cordiste. A la basse, Joe a toujours su s’entourer de musiciens exubérants musicalement parlant voire techniquement supérieurs à la norme avec, par le passé, Stu Hamm ou Matt Bissonette par exemple. Cette fois, c’est à Bryan Beller de sonner de façon monstrueuse (déjà à l’œuvre sur « Shockwave Supernova »), secondée qu’il est par le pachydermique Aronoff. En résulte quatorze chansons qui font de « The Elephants Of Mars » l’un des meilleurs albums de toute la carrière de Joe Satriani, rien que ça.

On avait eu un avant-goût de la sauce à laquelle on allait être mangé avec les singles "Sahara", "Pumpin’" et "Faceless". Cette dernière avait déjà détoné dans le champ lexical habituel du guitariste et attiré notre attention, proposant pour son motif principal une suite de notes en toute simplicité – le refrain même peut-on carrément dire –  jouées avec retenue, prenant la forme d’une ballade touchante où le phrasé de la guitare évoque "littéralement" des paroles et où la vitesse n’atteint pas celle du son. Se voulant plus que maîtrisée ici, Joe fait sien l’adage de qui peut le plus peut le moins en allant à l’essentiel et en épurant ses jeu et style. Plus simple à dire qu’à faire mais le but est largement atteint, en faisant l’une des meilleures compositions de ce nouvel album. Preuve qu’il a passé du temps sur cette chanson à la peaufiner et à expérimenter, on y entend Joe utiliser pas moins de cinq guitares différentes pour lui donner sa couleur (une Fender Telecaster et une Stratocaster, une Gibson Les Paul et une ES-335 ainsi que l’une de ses fidèles Ibanez). L’album se clôture aussi sur une même touche mélancolique et réservée avec "Desolation". Le morceau-titre ainsi que "Sahara", "Through A Mother's Day Darkly" (qui bénéficie de l’intervention microphonique du guitariste Ned Evett et où il question entre autres d’une certaine « crystal planet »...) sont signés par Joe et Eric Caudieux, s’avérant des chansons sur lesquelles on retrouve le plus d’innovations sonores et d’ambiances qui se télescopent sans jamais devenir incohérentes. On prendra également pour exemple flagrant de ce constat "Sailin’ The Seas Of Ganymede", du nom du troisième satellite de Jupiter (on ose croire que la référence ici est spatiale car Ganymède est également le nom d’un héros de la mythologie grecque qui, à cause de son extraordinaire beauté, fut enlevé soit par les dieux, soit plutôt par Zeus lui-même ou bien, selon une légende crétoise, par Minos, fermez la parenthèse).
La toile tissée par le groupe derrière Joe est majestueuse et c’est une chanson où l’on a la démonstration de la maestria du guitariste à laquelle nous avons déjà été si souvent confrontés voire confondus par sa fluidité. En ce qui concerne la rythmique, les parties de batterie, programmées au départ par Joe, sont magnifiées par Kenny Aronoff, un véritable batteur hors normes. Dans une interview récente, le guitariste évoquait que lorsqu’il lui avait envoyé des boucles un peu atypiques et bizarres lors des phases de composition, il l’avait supplié « d'Aronoff-isez ces trucs ». Le batteur a d’ailleurs tout enregistré dans son propre studio avec l’aide technique d’Eric Caudieux qui est décidément omniprésent sur ce disque, un studio si bien équipé qu’il a provoqué l’admiration de Joe lors de l’écoute de ses prises. Pachydermique batteur je disais, mais également bourré de groove à l’écoute de la funky "Pumpin’" où Eric Caudieux de son côté (encore lui !) fait des merveilles à base de sons vintage avant de laisser la place à un solo dantesque du maître des lieux.

Même topo pour le bassiste Bryan Beller qui a enregistré à distance et qui a, à chaque fois, dû attendre que les parties de batterie soient terminées pour enregistrer les siennes. Pas simple non plus pour lui de procéder ainsi mais, là encore, il transcende le propos, alternant jeu frénétique aux doigts ou attaques sèches au mediator, que ce soit sur basses avec cordes ou bien fretless. Loin d’être un défaut en soi, l’on n’échappe tout de même pas pendant ses soixante-six minutes à quelques lieux communs, du moins à des titres plus conservateurs comme "E 104th St NYC 1973" ou "Blue Foot Groovy". "Night Scene" quant à elle, rappellera de par sa rythmique les heures electro qu’on a connues en 2000 à l’époque de « Engines Of Creation » mais on vous laissera le soin de découvrir par vous-mêmes la petite surprise qui intervient aux claviers sur cette chanson. Le "lâcher de saucisses" lui, a lieu sur "Tension And Release" et l’on a aussi largement de quoi se faire plaisir avec "Doors Of Perception", un nom que n’aurait d’ailleurs pas renié le chanteur des DOORS, Jim Morrison, cette chanson recelant quelques curiosités également mais dans le bon sens du terme. Nous nous attarderons enfin sur la formidable "Dance Of The Spores", composition lourde comme le plomb, gorgée de sons totalement barrés et doté d’un break complètement inattendu. Un peu à la « And the Oscar goes to... »

Alors certes, Joe Satriani n’a jamais été un artiste grand public (bien que sa prestation au Hellfest 2016 ait remportée une adhésion des spectateurs présents sans précédent) et c’est surtout une audience d’aficionados du style guitare instrumentale et de musiciens qui forment la plus large frange de sa fan-base. Mais il réussit le pari de réunir, non pas petits et grands, de fédérer et d’ouvrir son univers aux personnes les plus frileuses à ce genre. A noter qu’une grande partie des chansons sont plus longues que celles que l’on a pu entendre jusqu’à présent sur ses précédentes réalisations, plusieurs d’entre elles tutoyant les six minutes ou les dépassant. Loin d’être un artifice de remplissage ou suscitant l’ennui sur la durée, il s’agit là encore d’installer des ambiances qui prennent le temps de se déployer pour en faire de véritables voyages sonores où se côtoient instruments électriques traditionnels et d’autres plus exotiques comme de l’oud où d’autres encore dont Joe a confessé ne plus savoir le nom. Ces apports sont d’ailleurs tous le fait d’Eric Caudieux, grand architecte de ce « The Elephants Of Mars », lui conférant ces couleurs si caractéristiques (il se voit également crédité à l’editing et à la composition comme évoqué plus haut).
Pour la petite touche du chef, on notera des essais d'effets à l'aveugle et l’utilisation de guitares que Joe a l'habitude d'utiliser (notamment ses Ibanez 24 case, la JS MCR et sa version chrome et un prototype finition Paisley plus une nouvelle guitare 22 frettes finition gold qu'il a employé pour les parties jouées en clean) : « On a tenté de voir jusqu’où l’on pouvait aller en triturant les titres dans tous les sens et en testant un tas de choses invraisembables. Et ça a marché ! » commente-t-il. Pas facile n’est-ce pas de renouveler le propos d’un album de guitare instrumentale, surtout après près de quarante ans de carrière ? Oui j’en conviens sauf que là, le pari est relevé haut la main et tout ceci fait de « The Elephants Of Mars » l’un des disques les plus intéressants qu’il nous ait été donné d’entendre dans toute la discographie de Joe Satriani.

Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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