7 décembre 2022, 19:43

HELLFEST : LA BIBLE

Par Vanessa Girth, Baptiste Brelet et Philippe Lageat


"La Bible" : l’appellation pourrait sembler un brin prétentieuse, et aussi définitive que l’Ecrit originel où tout fut soi-disant raconté. Chacun y va d’ailleurs de sa Bible et de son expression galvaudée à propos d’un ouvrage lambda désigné à la hâte comme une telle référence – souvent à court terme, d’ailleurs.

A vrai dire, on est aussi un peu jaloux, envieux : oh, c’est de bonne guerre dans le métier, surtout dans notre pays, où l’on guette davantage le faux pas de ses amis que leur franche réussite. Oui nous sommes même très envieux de la sortie d’un tel ouvrage parce qu’il est tout simplement parfait. Et que rien ne peut venir en entacher la grandeur, déjà explicite par ses mensurations.

Oui, on aurait tous rêvé jouir du succès d’une telle entreprise – mais aussi eut-il fallut s’en donner les moyens.

La Bible parce que, d’abord, l’affaire se passe sur des terres sacrées, que l’on pénètre sous la haute vigilance d’une façade de cathédrale – répondant tout simplement à un culte aveugle qui, selon nos rapports avec les religions ici bas, en a largement dépassé toutes les formes normales de dévotion.

Et il fallait bien autre chose qu’un petit missel à peine visible en librairie pour en traduire la grandeur.


On possédait déjà deux beaux livres autour du sujet : "Hellfest" paru chez Hachette en 2015 et "Hellfest - Le Festival Raconté par les Groupes", chez Gründ en 2019 (et tout juste réédité), respectivement un premier très beau livre-panorama conçu pour célébrer le dixième anniversaire de l’événement, et le deuxième un aussi bel ouvrage donnant cette fois la parole à un très grand panel de groupes, qui y vont de leur ressenti à propos de leur expérience clissonnaise. Un troisième évangile était-il donc nécessaire ? Le Hellfest, comme les BEATLES ou les STONES, allait-il lui aussi souffrir d'une bibliographie étourdissante et cannibale ?

Toutefois, on est immédiatement rassuré par l’intérêt premier de la chose, étant déjà habitué à des dimensions plutôt équivoques avec cette équipe-là – que dis-je – ce power trio du coffee table book : Vanessa Girth, Baptiste Brelet et Philippe Lageat, outre leurs occupations quotidiennes bien connues, s’étaient déjà affairés à l’édifice AC/DC avec leur "Tours de France 1976-2014" en deux volumes, une somme indétrônable déjà saluée par tous les fans français du groupe – ainsi que par l’ensemble de la profession pour le sérieux et l’exhaustivité de leur travail.

Dans le plus grand secret et pendant des années de gestation, nos auteurs ont voulu te me nous vous raconter l’Histoire du Hellfest. TOUT le Hellfest donc, de ce qu’il s’est passé dans la tête du jeune Benjamin et de ses associés, depuis les balbutiements du Fury Fest en 2003 (et même avant), jusqu’à connaître dans les moindres détails comment se déploie le chapiteau de la Valley – en passant par les menus vegans de Nergal backstage, ou encore la facturation des esclaves sexuelles louées pour la partouze RAMMSTEIN dans leurs loges. 

Ou presque.


Car sans vouloir vous imposer ce refrain entêtant (en fait si), ici, tout, tout, tout vous saurez tout sur le Hellfest. De sa progression chronologique à travers des premières années et éditions bancales semées d’embûches, bien que déjà annonciatrices de l’ambition voulue en fonction des moyens de l’époque, jusqu’aux projets les plus ambitieux et sophistiqués imaginés par ce collectif fou que rien ne semble arrêter, « pas même les limites du ciel ». Soit avant tout une success story enviée par tous – pourtant les premières pages déploient l’immense somme de désastres, arnaques, trahisons, incompétences et maladresses qui auraient pu mettre un terme définitif à une telle vision, véritablement unique en son genre. Si elle n’avait pas été menée par des personnalités aussi pugnaces et déterminées.

Puis, sans forcément revenir dans le détail de chaque concert donné par chaque artiste sur chaque édition (ça les instigateurs de l’oeuvre l’ont déjà proposé à travers les pages des hors-séries estivaux du magazine Rock Hard depuis 2009), le livre propose au moins de revoir, sous la forme d’une grosse synthèse de plusieurs dizaines de pages à chaque fois, les points d’orgue, les déceptions, les jams providentielles et autres moments d’exception qui ont pu marquer chaque édition – et si certains d’entre nous étions bien présents à certains moments magiques, d’autres se mordent encore les doigts d’avoir choisi d’aller bouffer leur kebab à cette heure-là, d’être allé piquer son roupillon sous la tente ou, pire, d’être allé voir SABATON à la place.


La Bible, tout au long de ses 592 pages, est aussi articulée selon des thématiques particulières, sous la forme de longs portraits des femmes et hommes qui font le Hellfest : des interviews aussi complètes que passionnantes (illustrées de véritables mug shots des protagonistes avec un noir et blanc stylé façon Studio Harcourt !) qui éclairent le lecteur et le festivalier en narrant surtout, dans les moindres détails, l’aventure humaine de cette entreprise inespérée dans notre pays (si pauvre en festivals ambitieux jusqu’alors), et en mettant par conséquent l’accent sur les équipes dédiées de spécialistes si nécessaires à son efficacité a toute épreuve. Ainsi, un grand nombre des acteurs de l’ombre, majeurs, et inhérents à toute l’organisation, prennent ici la parole pour raconter leur histoire avec le festival, leur mission si rigoureusement professionnelle et mille anecdotes savoureuses – qu’ils soient régisseurs, responsables catering, sculpteurs et plasticiens, gardiens des backstages, as de la communication, du marketing et du merchandising, pyrotechniciens, roadies, production managers, graphistes, superviseurs de bénévoles, attachés de presse, etc… Et tout cela sans langue de bois évidemment, la parole étant bien entendu aussi accordée au tandem historique Yoann Le Nevé et Ben Barbaud, au franc parler aussi réputé que redouté.

Forcément nos reporters de choc ont-ils pu mener leur investigation au plus près : avec de solides connexions avec toutes ces pièces maitresses (d’un événement désormais envié, là aussi, par tous les pays du monde !), l’approche, l’analyse et toute l’histoire ne pouvaient être élaborées que dans un grand climat de confiance et de proximité. C’est bien simple, si La Bible fut d’abord envisagée comme un témoignage fidèle et indépendant, elle est rapidement devenue le projet officiel et conjoint de Philippe Lageat et des équipes de Ben Barbaud, qui ont tous œuvré ensemble pour proposer un ouvrage démesuré – et donc exactement dans l’esprit du Hellfest tel que nous l’avons tous expérimenté. Fidèle à l’éthique do it yourself de la scène hardcore qui incarne tout le terreau de ce patrimoine culturel unique, comme les organisateurs du Hellfest, le brelan Brelet-Wirth-Lageat ne compte que sur ses propres méthodes pour parachever une telle somme, difficilement égalable – si ce n’est qu’il a dû respecter une certaine esthétique, et charte graphique propre à celle du festival.


S’il fallait un tant soit peu chipoter, aussi belles soient-elles, c’est sur le choix de certaines photographies des artistes : à la place de toutes ces galeries de vignettes et autres portraits serrés saisis sur le vif du live, on aurait préféré davantage de vues d’ensemble de la scène, pourquoi pas en mode grand angle, et de jouir plus favorablement des scénographies de chacun et jeux de lights propres aux ambiances folles qui émanent des différentes Stages. Et parfois, parmi l’offre étourdissante de ces centaines de clichés de musiciens qui représentent assez fidèlement l’hétérogénéité des line-up depuis près de vingt ans (pour une seule et unique représentation ou bien des rendez-vous fidèles pour beaucoup d’entre eux), le choix pose quelques questions : certains d’entre eux ne s’avèrent guère si photogéniques ou charismatiques que ça (au hasard James Kottak ? Une pleine page sur Steve Diggle ?), voire très peu connus ni emblématiques. Leur place un poil surévaluée nous prive peut-être de certains autres, qui brillent ici par leur absence – quid du show incroyable de Glenn Danzig en 2013 sous une Valley ardente, sans parler de John Garcia, malgré ses cinq concerts cultes donnés au même endroit en l’espace de sept ans ? 

Mais tout cela n’est rien face à l’abondance pléthorique d’informations et de visuels surprenants : des milliers de photos donc, mais aussi d’illustrations, d’affiches alternatives, de projets avortés, de croquis, de schémas de travail, de prises de vue des travaux colossaux (sur le terrain ou en atelier autour des sculptures emblématiques), et autres documents inédits. 

Aurez-vous donc compris qu’en tant que fan du Festival (et probablement bien davantage que les touristes du week-end qui y vont s’encanailler comme ils fantasmeraient leur Las Vegas du Pays de la Loire qui en décrédibilise parfois l’image aux yeux des puristes), cette Bible aux enluminures dorées est le Companion Book rêvé de tous vos souvenirs et permettra à chacun de connaitre absolument tous les rouages, travers, secrets et arcanes de cette industrie du spectacle « faite par des fans pour des fans » – une attitude qui, malgré l’ampleur pharaonique de sa réalisation, n’en a jamais trahi l’essence. 

Oh, et un dernier conseil, que m’a d’ailleurs précieusement communiqué l’un des auteurs au regard de son poids redoutable (pas de l’auteur, de la Bible) : « Ne le lis pas au lit : si tu t’assoupis, tu es mort ».

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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