26 mai 2023, 19:00

FOO FIGHTERS

On a écouté l'album "But Here We Are"


FOO FIGHTERS... Et nous-y voilà.

Vous le savez peut-être, mais à l’instar des journalistes de cinéma qui sont conviés à des projections professionnelles plusieurs semaines avant la sortie d’un film, nous autres, journalistes rock, nous bénéficions aussi de quelques avant-premières. Il n’y a pas si longtemps nous recevions quasi systématiquement toutes les nouveautés en CD – mais, piratage oblige, depuis quelques années, beaucoup de labels indés inondent nos boîtes email de fichiers mp3 tracés et de liens sécurisés permettant des lectures streaming encadrées. Puis, pour des sorties très attendues et sensibles, les maisons de disques ciblent, grâce à d’autres portails ultra confidentiels, les journalistes qui sont personnellement identifiés pour écrire un article à leurs sujets. Enfin, lorsque toutes ces méthodes s’avèrent encore trop peu fiables en terme de "sécurité" dans un monde ultra parano quant à la divulgation d’informations avant l’échéance publique, nous sommes alors conviés à une écoute privée, unique et sous surveillance, dans un bunker de la maison mère locale – comme ici chez Sony Music. 

Et nous y voilà : c’est ce que nous avons vécu, il y a quelques jours, pour découvrir le nouvel album de FOO FIGHTERS, « But Here We Are », 11e production studio en 28 ans de carrière – et surtout le tout premier après le décès de l’autre membre le plus populaire du groupe, le talentueux batteur Taylor Hawkins, décédé à l’âge de 50 ans le 25 mars 2022. 

Ayant vu de nos propres yeux la complicité exceptionnelle qui liait Hawkins et Dave Grohl, notamment à deux reprises dans le cadre de reportages dans leur Studio 606 à Los Angeles (Northridge plus précisément, de l’autre côté des collines d’Hollywood...), mais aussi à de multiples reprises sur scène, et de toutes manières comme n’importe quels fans pouvaient se l’imaginer tant cette amitié paraissait sincère, forte et ingénue, nous étions parmi tant d’autres à croire que Dave ne se relèverait pas de sitôt de ce drame, avant tout personnel. 

Soit perdre un frère – bien plus assommant encore, semblerait-il, que la douleur qui le percuta lorsque le chanteur de NIRVANA, Kurt Cobain, mit fin à ses jours, et par conséquent au groupe, en avril 1994.

Mais à peine plus d’un an après ce coup dur incommensurable, les FOO FIGHTERS marquent leur retour.

Sûrement avez-vous déjà découvert, voire écouté mille fois, les trois singles distillé par les FOOs ces derniers jours : "Rescued", le très classique "Under You" et "Show Me How" pas plus tard qu'hier. "Rescued" et "Under You" sont techniquement les deux premiers morceaux dans l’ordre du track-listing de « But Here We Are », et affichent une forme insolente, d’autant que l’on sait que c’est le frontman et patron lui-même qui a repris la place derrière la batterie pour l’enregistrement (annoncé le weekend dernier, c’est Josh Freese qui est intronisé dans le gang pour la tournée démarrée mercredi 24 mai aux Etats-Unis). A l’écoute globale de cette première partie d’album, celui-ci se montre graduellement plus puissant encore, plein de rage et de colère, comme si dans sa composition, Grohl faisait à nouveau face à cette perte. Avec une production qui peut rappeler le très punk « Wasting Light », et un premier ensemble de cinq morceaux, ce cru 2023 des FOO FIGHTERS saura à la fois caresser les fans historiques dans le sens du poil et servir de catharsis, brut, intense, charnel, violent. Autant le dire de suite, cet album est aux antipodes de son prédécesseur « Medicine At Midnight » : il s’inscrit à la fois dans la lignée des FOO FIGHTERS de 1997 ("Under You" sonne quasiment comme une chute de studio du premier disque en 1995) – voire encore de 2002 époque « One By One », mais habité par toute la souffrance féroce qu’un homme a besoin d’expulser, avec comme point d’orgue la chanson-titre "But Here We Are", qui atteint donc des sommets d’intensité.

Avec un beat de batterie en guise d’intro, "Nothing at All" introduit ce qui apparait très distinctement comme la deuxième partie de l’album – définitivement pensé et structuré pour le format vinyle : dix chansons, une quarantaine de minutes d’écoute, et donc deux atmosphères disparates. Car cette face B s’avère beaucoup plus subtile, mesurée et mélancolique, comme si l’acceptation prenait la place de la détresse, instinctive. Clairement, cette deuxième salve de cinq morceaux s’apparente clairement à l’esprit de résilience de Dave Grohl et de ses camarades dans cette épreuve, avec son lot de mélodies douces-amères, d’harmonies très Beatles, de choeurs angéliques, et même de couplets chantés auprès d’une voix féminine, celle de Violet Grohl, aux côtés de son père sur "Show Me How", en guise de baume. Si la grandiloquence de ces morceaux peut par moments effleurer les impressions de l’album « Concrete And Gold » en 2017, ceux-ci atteignent une portée émotionnelle assez conséquente et devrait arracher quelques larmes aux plus sensibles parmi les fans... et notamment à l’écoute de LA pièce maîtresse de cette face B, le chef d’oeuvre "The Teacher", long de dix minutes, et qui n’est autre qu’une sorte de Requiem composé par Grohl adressé à son meilleur ami. Enfin, « But Here We Are » s’achève dans la dignité avec "Rest", un morceau partiellement acoustique et à fleur de peau, comme un dernier au-revoir très difficile à l’adresse de l’être cher. Et cela sans pathos – mais avec encore une fois une émotion à fleur de peau, avec une prise de son très brute, live, où les soupirs et hoquets dans la voix assombrie de Grohl témoignent d’une proximité déconcertante.


En guise de « Back In Black », les FOO FIGHTERS nous offrent leur « White Album » : et la virginité de ce nouveau départ, et cette pochette immaculée, et la police du lettrage de l’album, et les quelques inflexions très Paul McCartney de certaines harmonies confirment ce qui s’avère être bien plus qu’un clin d’oeil stylistique.  

Dès les premières notes de ces singles déjà connus depuis quelques jours, et dans la solennité de cette écoute privilégiée, oui les yeux se sont humidifiés et les poils des avant-bras se sont dressés, alors que nous fixions le plafond, calé dans le canapé de la salle d’écoute, devant deux enceintes Focal qui crachaient le hard rock frondeur des FOO FIGHTERS pour la toute première fois devant un petit public français. 

Une seule écoute ne nous permet certainement pas d’être définitif, et il faudra l’assimiler sur plusieurs jours avant d’en tirer des conclusions – mais si ce texte n’est en rien une chronique posée et pleine de recul, au moins pouvons-nous déjà déclarer que ce que nous venons d’écouter fait partie des meilleurs oeuvres du groupe, quelles que soient les circonstances. Et que malgré le malheur irréparable, Dave Grohl vient de pondre, du plus profond de ses tripes, un disque unique qui fera date.
 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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