17 mars 2024, 12:29

ABORTED

Interview Sven de Caluwé


Les, plus ou moins, Belges ABORTED viennent de sortir leur 12e album studio « Vault Of Horrors ». Un condensé de testostérone, de gore et de voix acharnées. Comme d'habitude me direz-vous ? Et bien un peu plus encore car chaque composition de cet album est dédiée à un film d'horreur qui a bercé la tendre (?) jeunesse de Sven de Caluwé. Le bougre s'est également payé de luxe de se faire accompagner par un chanteur-invité sur chacun des titres. Bref, un vrai tour de force pour un album pensé et fignolé avec plus de subtilité qu'on pourrait le croire. ABORTED asseoit pleinement son statut de maître du genre et comme on est curieux, nous en avons profité pour faire le point avec Sven.
 

Difficile de trouver un meilleur titre que « Vault Of Horrors » pour transmettre l'idée d'un invité par titre ("Vault") tout en suggérant le thème de cet album, à savoir les films d’horreur qui t’ont bercé depuis tout petit ("Horror") ! 
Oui, et je dirais qu’il y a encore un niveau supplémentaire car « Vault Of Horrors » est aussi le titre d’un des "Tales From The Crypt", qui sont eux-mêmes une collection de différentes histoires d’horreur. On retrouve quelques autres blagues et petites références dans chaque titre de cet album. C’est réfléchi, on va dire !

On se demande forcément comment tu as choisi tous ces guests pour chaque morceau. Mais au contraire, comment ne les as-tu pas choisis ?!
En premier lieu, je tenais à avoir une collection qui regroupe à la fois d’anciens et de nouveaux potes. Avec également une fan-base complètement différente de la nôtre. C’est la même chose pour les thèmes des morceaux : il y a des trucs connus comme des classiques mais il y a aussi des films un peu plus obscurs.

On y voit, comme tu dis, des nouvelles têtes, mais par exemple, j'étais étonnée de ne pas voir, au hasard, Julien Truchan de BENIGHTED sur l'album...
Oh là ! On l’a déjà eu assez, lui. Je lui ai dit que s’il veut revenir, il faut qu'il porte des chaussures. (rires)

Avais-tu déjà en tête cet album depuis longtemps ou bien c'est arrivé au moment où tu t'es dit « Mmmm, c'est l'heure d'écrire le nouvel album d’ABORTED »​ ?
En fait, on avait commencé l'écriture dès que « Maniacult » était sorti parce qu’on savait déjà qu’on n'allait pas pouvoir tourner avec. Et qu’est-ce qu'il y a à faire quand t'es en pleine pandémie ?! La seule chose qu’on peut faire c’est écrire des morceaux... Donc c'est ce qu'on a fait. De plus, Ken savait qu’il allait devenir papa. Il s’est dit « Je vais écrire un maximum à l'avance parce que je sais que lorsque ma fille sera née, ça va être difficile pour moi de pouvoir ajouter beaucoup plus à l'album ». Dès que « Maniacult » est sorti, il a commencé à écrire plein de choses, puis Daniel a écrit l'autre partie de l'album quand il a rejoint le groupe.

Justement, je trouve qu'il y a quelques ambiances qui sortent un peu du death metal, avec quelques relents plus black. Est-ce que c'est lié justement à Daniel, qui connaît bien cette scène ou pas du tout ? 
Oui et non, car on le faisait déjà avant. Depuis « Retrogore » il y avait déjà des ambiances plus black metal. Ian l’avait déjà fait, notamment sur "Farewell To The Flesh" (ndlr : qui figure sur « Terrorvision », sorti en 2018) et je pense qu'il avait été inspiré par WATAIN là-dessus.


Dans le communiqué de presse, tu indiques que c'est l'album le plus extrême d'ABORTED. Mais comment c’est possible de faire encore plus violent ? Est-ce parce que tu cries encore plus fort, parce que ça va encore plus vite que d’habitude, que les thèmes sont encore plus gore que la dernière fois ou que la double pédale ne fait plus de pause ? Je pense qu'il s'agit d'autre chose...
C’est principalement une question de variations. Si tu vas à 100 % de la vitesse tout le temps, tu finis par ne plus être violent car ça commence à devenir trop linéaire. Nous, on essaie de trouver cet espace où c’est hyper violent mais où il reste des moments avec des ambiances un peu malsaines, avec des groove aussi, pour justement trouver cette balance entre la brutalité, le groove et les ambiances. Je pense que c’est surtout ça qui fait que c’est notre album le plus extrême à ce jour.

Est-ce que le travail de Dave Otero vous a aidé à trouver la bonne dose de violence et les bons moments de respiration, tout en intégrant vos samples de façon naturelle ?
Alors là, c’est un peu différent ! En fait, on avait déjà écrit presque toutes les parties en arrivant chez lui. Avec Otero, on a écrit ensemble l’idée pour la fin de "Brotherhood Of Sleep". Sinon, c’est la première fois qu’on réalise une grosse pré-production avec un producteur, donc les 3-4 premiers jours au studio, on a surtout écouté ces pré-productions pour voir si lui avait des idées pour éventuellement changer certaines structures, s’il voyait la batterie d’une façon différente, les chants aussi... Ensuite, on a enregistré la batterie et bien sûr, Dave était encore plus mêlé au processus. Même chose pour les guitares et le chant. Quand il avait des idées, on les ajoutait pour la plupart d’entre elles. En revanche, pour ce qui est des samples, c’est un gars qui s’appelle Spencer Creaghan, un compositeur canadien qui fait surtout des B.O. de films d’horreurs et de séries. Je lui ai donné la tâche de faire quelque chose qui se rapproche le plus possible des bandes sonores des films sur lesquels nos morceaux sont basés. Il s’est immergé dans les bandes originales des films en question pour essayer de s’en rapprocher le plus possible. Tout cela avec la musique très complexe qu’on avait déjà commencé à composer derrière. On a dû faire des choix sur certains riffs où il y avait trop de choses qui se passaient à la guitare, on a dû laisser tomber quelques samples... Mais on pourrait parfaitement décider de les réutiliser entre les morceaux en live.


Comment s’est passé l’enregistrement des voix des 10 invités de l’album ? On se doute qu’ils ne sont pas venus un par un chez Dave Otero !
Et non, surtout que tout le monde habite un peu partout. Pour nous, ça a été l’enregistrement le plus long qu’on a jamais fait ! On a passé six semaines chez Dave Otero. Pour les invités, chacun a enregistré soit en studio, soit chez lui. J’ai donné quelques indications à chacun, puis je les ai laissés libres de changer ce qu’ils voulaient, c'était à eux de voir. La plupart ont bien suivi ces indications, sauf Oli d’ARCHSPIRE qui a naturellement fait son propre truc. Donc pour reproduire ça en live, ça va être un problème pour le futur moi. (rires)

Comment ça va se passer en live ? Tu comptes reprendre les voix à ta façon ou bien utiliser des samples ?
Je vais essayer de me rapprocher de ce qu’ils ont fait mais à ma manière !

Est-ce que tu as assigné chaque chanson aux invités toi-même ou bien cela a été discuté avec eux pour coller le plus au film pris en référence ? Est-ce qu’il fallait nécessairement être un fan du film en question ?
J’ai décidé moi-même de tout ça dans ABORTED. J’ai eu carte blanche de la part des autres membres du groupe. Il fallait que l’ambiance de chaque morceau colle avec le chanteur invité. Il y a aussi quelques petits clins d’oeil, par exemple sur le morceau "Deathcult" avec Alex Erian, le breakdown, surtout avec sa voix dessus, rappelle DESPISED ICON. Ça reste dans son univers, je lui ai aussi proposé des paroles en français puisque c’est sa langue. Il y a également un clin d'oeil supplémentaire car sur la première tournée que nous avons faite ensemble, le remake de Texas Chainsaw venait de sortir. Notre guitariste français de l’époque, Stéphane (Souteyrand), imitait très bien Leatherface : les gars de DESPISED ICON en étaient pliés de rire. Vu que "Deathcult" traite du film The Texas Chainsaw Massacre, j’ai naturellement mis Alex dessus. Il y a même une partie où les paroles disent  « The Saw is family », je voulais donc absolument que ce soit Alex qui chante cela avec sa voix un peu plus hardcore. Parce qu’on sait bien que les coreux aiment la famille !


Niveau line-up, tu me dis que c’est Ken qui a commencé à composer. D’ailleurs, le line-up d'ABORTED est finalement assez stable depuis 2015 avec Ian et Ken. Est-ce que le fait de se connaître à présent depuis de nombreuses années influence la manière dont vous composez ? Peut-être as-tu trouvé un équilibre ?
C’est en particulier le cas avec Ken, et ça a toujours été ainsi avec lui. Il a cet élément de psychological safety : il sait que s’il propose des choses et qu’il y a des commentaires dessus, ce n’est pas malsain, parce qu’on essaie d’obtenir le meilleur résultat possible. Ça ne lui pose aucun problème et parfois les morceaux sont faits en plusieurs étapes. Par exemple, sur l'album « Terrovision », pour "Exquisite Covinous Drama" on a fait, je pense, à peu près 20 changements de structures pour en arriver là ! Mais le résultat en vaut toujours la peine. Pour Ian, je pense que ça a pris un peu plus de temps car il avait eu une mauvaise expérience auparavant, tout comme Ken d’ailleurs. Ça a pris environ un an à Ken pour se sentir comme chez lui dans le groupe et pour Ian ça a pris un peu plus de temps. Il avait néanmoins l’avantage d’être très pote avec Ken puisqu’ils avaient déjà joué ensemble dans deux autres groupes auparavant. Ian avait besoin d’un peu plus de temps car je pense qu’il était nerveux à l’idée d’écrire des morceaux. Au début parce qu'il ne voulait pas écrire quelque chose qui ne soit pas bon. En revanche, avec Daniel c’est complètement différent. Je pense qu’il est assez sûr de lui-même, en plus de composer vraiment en masse.

Je ne m’attends pas à un renouvellement du groupe de A à Z pour son 12e album studio, mais selon toi, qu’est-ce qui est différent dessus, par exemple d’un point de vue technique ?
Sur cet album, j’ai expérimenté de nouvelles choses à la voix et j’en ai perfectionné d’autres. Pour le reste, je pense que les évolutions peuvent être plus subtiles. On a surtout essayé de faire le meilleur album possible. En même temps, il y a un mélange de trucs que l’on n'a pas fait depuis très longtemps, notamment des choses qu’on retrouve sur nos premiers albums. On a rajouté ça au style des derniers albums, et ça crée quelque chose de nouveau.


Est-ce que ta technique vocale a évolué sur cet album, notamment à force de tourner avec tous ces chanteurs différents ? 
Oui, absolument. Ça fait des années que j’essaie d’incorporer des nouvelles techniques et des trucs un peu différents. C’est sûr que de tourner avec des chanteurs différents, ça inspire. Et même en dehors de ça, aujourd’hui il y a plein de connaissances accessibles sur YouTube, des coachs en ligne, des vidéos assez tarées que tu peux trouver facilement. C’est une grosse différence par rapport à l'époque où on a commencé dans les années 90 où il n’y avait rien. Donc tu étais là, tu gueulais. C’est cool. Ok ! Tu n’avais aucune idée de ce que tu faisais vraiment et ça prenait des années pour bien connaître son corps, savoir ce que tu pouvais en faire ou non. Aujourd’hui, lorsque j’entends quelque chose d’assez cool, j’essaie d’en faire ma propre version.

Si je reviens sur l’album, l’artwork est carrément hyper chiadé, et vous avez en plus prévu un visuel pour chaque titre. J’imagine que le format physique sera à la hauteur de ça ? 
Ah oui bien sûr ! C’est Dan Goldsworthy qui a fait les dessins et j’ai fait les layouts comme d’habitude. On a fait le tablier de cuisine, un rubik's cube et d’autres trucs à la con qu’on fait toujours. Parce que si tu ne donnes pas ce petit extra aux fans, pourquoi est-ce qu’ils achèteraient l'album physique en 2024 ?!

Comme tu disais au début de cet entretien, tu as essayé de proposer une collection de chanteur qui sont à la fois d’anciens amis et d'autres plus récents. Si on élargit cette thématique, que penses-tu de la scène death metal post-pandémie ? Est-ce que tu trouves qu’elle se renouvelle ? Est-ce qu’il y a des choses qui t’intéressent ou qui t’ont interrogées récemment ?
Alors là, on peut en parler longtemps ! Je dirais que ça dépend, vraiment. Il y a des très bonnes choses qui sont sorties ces dernières années. Dans l’évolution de cette musique, il y a aussi des choses très cools mais aussi d’autres qui m’intéressent moins on va dire. Par exemple, le fait que le metal extrême soit tout d’un coup devenu accessible pour beaucoup de gens qui n’y connaissent rien, c’est assez intéressant à voir. D’un côté c’est cool parce que ça fait plus de gens qui s’intéressent au genre, mais de l’autre ça crée un peu une scène qui souvent, est basée sur des moments très courts, à base de réseaux sociaux et de viralité. Tu vois que la fan-base devient hyper axée là-dessus, et le résultat, c’est que beaucoup de groupes, notamment les plus jeunes, ont adopté ce mode de fonctionnement. Ils sortent des morceaux où il faut obligatoirement qu’il y ait un moment Tik Tok, pour le dire ainsi. Tout finit un peu par se ressembler. Je trouve ça dommage car en tant que musicien, tu te sens forcé de "chier du contenu" si tu vois ce que je veux dire. Tout ça pour se battre avec un algorithme afin que tes fans puissent voir ce que tu es en train de faire. Au départ, on est là pour faire de la musique, c’est ça notre base. Forcément, ça laisse moins de temps pour se focaliser sur la musique et tout ce qui tourne vraiment autour. Et puis autre chose, ces dernières années on voit beaucoup de gatekeeping. Les gens se focalisent sur deux, trois ou quatre groupes et puis tout le reste n’existe pas. Alors qu’il y a énormément de bonnes choses qui sortent et qui méritent notre attention. Les gens finissent par se limiter à un seul genre de musique et tu te retrouves par exemple avec le deathcore et le death metal qui se détestent. Mais on s’en fout en fait ! Soit tu aimes, soit tu n'aimes pas. Que ce soit de la bonne musique ou de la mauvaise, franchement on s’en fout !

Est-ce que c’était aussi un but à travers l’album de réunir des personnes qui justement viennent de ces deux scènes ?
Bien sûr. Ça fera des mécontents et je m’en fiche !


Il y a quelques années, je ne me serais pas plus attardée dessus mais... Il y a 10 invités sur cet album et pas une seule femme. C’est vrai que dans le metal on voit plus de femmes sur scène ces dernières années, notamment au chant. Mais pour trouver des groupes similaires à ABORTED avec une chanteuse qui aurait pu apparaître sur cet album, je me suis un peu creusé la tête et je n’ai pas vraiment trouvé. Est-ce que tu t’es fait la même réflexion ?
Alors oui, on aurait pu demander à Bridget Lynch de STABBING et ça aurait été un bon "fit". Mais le souci, c’est qu’on a jamais joué avec ce groupe et on ne les connaît pas personnellement. Il n’y aurait eu aucun lien, ce qui était quand même le but avec chaque guest de l’album. En fait, je crois qu’on n’a jamais tourné avec un groupe où il y avait une femme au chant... Ah si, avec Simone d'EPICA. Mais je pense que ça aurait été un peu spécial !

Vous sortez l’album et commencez directement à tourner en Europe avec CARNIFEX. Tu la vois comment cette sortie et la suite ? Est-ce que l’idée de publier un album pour pouvoir ensuite partir en tournée fait toujours autant sens pour toi ? 
Oui ! On n’a pu le faire pour « Maniacult » et c’est dommage. J’ai remarqué que les fans connaissent moins les morceaux, car on ne les a pas joués en live. D’ailleurs, il y a cet aspect où en tant qu’artiste tu dois discuter puis décider de ce que tu souhaites jouer sur scène. Certains groupes font le choix de prendre les chansons qui sont le plus écoutées sur Spotify. Mais ça ne va pas forcément donner la meilleure set-list pour un concert. Donc qu’est-ce que tu fais en tant que groupe ? Moi je préfère essayer de faire quelque chose avec des morceaux qui marchent bien en live mais pour savoir ce qui fonctionne bien en live, il faut les jouer... Donc oui, c’est important.

L’année prochaine ce seront les 30 ans de la fondation du groupe. Est-ce que tu as prévu quelque chose de particulier ?
Alors figure-toi que je ne m’en étais pas du tout rendu compte avant de commencer la promotion de cet album. Mais lors de la première interview, on m’a fait la réflexion et j’étais là... « Ah bon ?! ». Donc, on n'a encore rien prévu mais c’est sûr qu’il faut qu’on fasse quelque chose. Je ne sais pas encore quoi, car pour le moment on est en plein coeur de la sortie de notre nouvel album, on se focalise donc d’abord dessus.
 

Blogger : Leonor Ananké
Au sujet de l'auteur
Leonor Ananké
S'arrêter d'headbanger pour prendre des photos avec un gros appareil au milieu de la folie des concerts : un peu étrange, non ? C'est également ce que pense Leonor en commençant à écrire ses premiers live-reports qu'il faudrait bien illustrer. En peu de temps, c'est devenu quelque chose de naturel et d'exaltant… Jusqu'à ce qu’elle ne puisse plus s'imaginer se déplacer pour un concert sans prendre avec elle son reflex... en plus de sa paire de cheveux. Faire vivre le metal à travers sa dimension visuelle est devenu un véritable activisme, sans pour autant s'empêcher de continuer à réaliser chroniques, live- reports et interviews en secouant toujours aussi frénétiquement la tête.
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