8 avril 2024, 23:59

JUDAS PRIEST

@ Paris (Zénith)


Cette soirée a été exceptionnelle à plus d’un titre : outre le fait de célébrer l’écrasant triomphe d’un groupe qui continue à se hisser vers de nouveaux sommets après 55 années de carrière, c’est avant tout cette sensation de fraternité et de communion qui émeut le plus. Tous ceux qui ont du metal qui coule dans leurs veines, quelque soit l’âge de leurs artères en titane, s’étaient donnés rendez-vous à Paris en ce lundi 8 avril 2024 (comme à Lyon trois jours plus tôt) – une date que bien des visionnaires considéraient déjà comme culte avant même qu’elle ait eu lieu.

C’est dire le degré de confiance accordé à un groupe aussi insolent de maîtrise – et même si Rob Halford se proclame, à juste titre, être le Metal God, on sait qu’il n’a pas toujours été aussi en forme au cours de ces dernières années. C’était donc lui prêter une vitalité presque surnaturelle, à bientôt 73 ans – là où d’autres ne sont tristement plus que l’ombre d’eux-mêmes. Mais avec un album de la trempe de « Invicible Shield » comme caution artistique et imprégnée de toute-puissance, aucun doute n’était permis. Si « Firepower » avait déjà rassuré et atteint des sommets en 2018, jamais JUDAS PRIEST n’avait connu un tel engouement médiatique et populaire – de mémoire de fan depuis 1989, même le très estimé « Painkiller », marqueur intemporel d’un retour aux vraies valeurs du heavy metal, si attendu et libérateur, n’avait pas généré une telle Priest-mania parmi nous.


A titre personnel, j’attendais beaucoup de cette soirée : parce que, en petit fan privilégié, j’avais déjà pu me rendre compte de l’extraordinaire forme des Anglais au cours de leur seule prestation de 2023 – lors du festival PowerTrip à Indio, en Californie (et dont vous pouvez retrouver le compte-rendu ICI. Et que, déjà, ce show XXL en ''ouverture'' d’AC/DC le 7 octobre dernier avait été magistral. Pouvaient-ils faire aussi bien, voire mieux – et surtout au terme de leur tournée européenne, Paris étant l’ultime étape du premier leg de leur périple ? De plus, avec un tel album à défendre, les garants de ce british steel dont ils revendiquent sans conteste la stricte paternité aux côtés de leurs grands-frères de BLACK SABBATH, impossible de se planter devant un public aussi exigeant – ultra respectueux mais, oui, insatiable, pointilleux et très attentif. Déjà que le PRIEST se présente sans ses deux guitaristes duellistes et légendaires, l’on peut sourciller quant à l’intégrité de la formation (il en va de même autour du débat AC/DC justement, ou à un bien moindre degré vis-à-vis d’ACCEPT).

Sauf qu’ici, Richie Faulkner a déjà été adopté par tous : personne ne trouve à redire sur sa présence ni sur son rôle tant il a quasiment effacé des esprits celle de KK Downing – le mimétisme physique y étant pour beaucoup. Mais son jeu aussi incisif, précis, respectueux, revigorant et fougueux en a fait à son tour une nouvelle icône qui a totalement sa place au sein d’un line-up tellement efficace que l’historique, s’il reste forcément mythique pour beaucoup, n’est pas à regretter. Et s’il s’accapare comme un sel homme les plus phrasés, riffs, soli et signatures de ses modèles, il faut également applaudir le travail abattu par le stuntman (et producteur !) Andy Sneap, bien plus discret à droite. Et jamais ce nouveau tandem n’a-t-il fauté ce soir : beaucoup de nos valeurs reposaient sur leurs épaules et sur leurs doigts, et ils ont immensément contribué à faire de ce concert une réussite totale, inconditionnellement applaudie par 6500 fans aux anges.


Si la scénographie a enfin gagné en sobriété et en modernité (certains décors et dispositifs de scènes passés étaient aussi moches que cheaps et clichesques), le jeu de lumière élégant ainsi que les animations sur écrans concourent à mettre le groupe en valeur dans notre époque : nous sommes bien en 2024 et JUDAS PRIEST vit avec son temps sans renier ses valeurs, laissant une place de taille à son si mystérieux symbole – ce trident autoritaire et lumineux qui surplombe la fosse du Zénith, mouvant selon le poids de certains morceaux. Et justement, après une introduction efficace, et un rideau aspiré comme par magie vers les cintres, c’est le single ''Panic Attack'' qui prend d’assaut le public porté à ébullition.

Et pourtant : de là où nous sommes placés, haut dans les derniers gradins, le son n’est pas à la hauteur – plastoc, fort mais sans relief, les guitares difficilement audibles. Un comble pour booster l’effet belliqueux qu’est censé véhiculer ce premier extrait de « Invicible Shield ». Heureusement, tout cela sera très rapidement rectifié le temps des deux morceaux suivants, de véritables postulats qui achèvent aussitôt de convaincre tout le public : ''You’ve Got Another Thing Comin’'', suivi de la bourrasque ''Rapid Fire'', soit tour à tour un hit très américain et une définition de leur savoir-faire, façon ''fast and furious''. Si deux autres morceaux du dernier-né sont interprétés, c’est surtout ''Crown Of Thorns'' qui se pare des atours de nouvel hymne potentiel qu’il incarne déjà dans l’esprit collectif – davantage que la chanson-titre, ''Invicible Shield'', pourtant diablement véloce et enragée.


Le reste n’est qu’une succession de tubes très attendus, inamovibles et incontournables, dont les premières notes respectives emportent les Parisiens dans une euphorie qui n’a d’égale que l’enthousiasme affiché. Ben tiens : ''Breaking The Law'', ''Love Bites'', ''Devil’s Child'', ''Turbo Lover'', ''The Green Manalishi (With The Two Prong Crowns)''... même ''Firepower'', seul rescapé des quatre premiers albums de JUDAS depuis le retour de Rob en 2003, s’affiche désormais comme un classique. La seule grande surprise, pour l’immense fanatique de l’album « Stained Class » que je suis, c’est cette interprétation tout bonnement jouissive du très heavy ''Saints In Hell'' : TRES grand moment d’émotion et de satisfaction pendant cette rareté impeccablement dépoussiérée, qui s’est avérée aussi menaçante qu’escomptée.

Mais le très grand moment de cette soirée, c’est sans l’ombre d’un doute cette interprétation parfaite du monument ''Victim Of Changes'', déjà LE point d’orgue du live « Unleashed In The East » en 1979 (pourtant retouché en studio, Halford y ayant reproduit ses parties vocales insatisfaisantes) : là, le Metal God a encore plus impressionné ses adeptes que jamais, tant ses cris suraigus et autres prouesses vocales ont atteint des sommets de perfection et de vigueur impensables pour un homme de son âge. Grosse impression : tout le Zénith s’est incliné. Le niveau a été aussi impérial sur le très attendu ''Painkiller'', absolument redoutable, et assurément l’un des titres les plus explicites et définitifs de ce que DOIT être le heavy metal.

Si le rappel est sans surprise avec le fabuleux ''Electric Eye'', suivi de ''Hell Bent For Leather'' et la fameuse entrée sur scène de Rob sur sa Harley rutilante, l’émotion a saisi les fans par la gorge lorsque ce dernier est venu accompagner notre Glenn Tipton très diminué pour les deux derniers titres, ''Metal Gods'' et ''Living After Midnight''. Une présence désormais symbolique, qui a profondément ému le public, choqué de le voir aussi affaibli.
C’est ainsi au bout de près d’une heure 45 de show sans faille que JUDAS PRIEST a quitté la scène du Zénith, non sans avoir longuement et humblement salué ses fans, le backdrop affichant néanmoins que le « Priest will be back... »


Un mot toutefois sur SAXON, ''glorieuse'' première partie dont la place sur l’affiche annonçait une présence presque aussi prestigieuse. Difficile ici d’être objectif, tant ce groupe n’a strictement jamais rien provoqué chez moi en terme d’émotions ou de sensations. Rien, nada, nothing : on a pourtant tout essayé, en se procurant même au fil du temps la majeure partie de son catalogue, pour s’auto-persuader de la teneur de son héritage, réel et certain, et surtout de se l’approprier en cherchant à rentrer dedans. Donc ce soir, pour la énième fois, même en live, on a essayé – et ça n’a toujours pas fonctionné. Force est de constater qu’il y avait aussi des fans et des amateurs parmi les 6500 nuques longues du Zénith, et bien plus de dégarnis que de poils vifs ; mais visiblement, il y avait un certain enthousiasme parmi tous les âges. Réactions cela dit sensiblement plus polies et respectueuses que purement folles : en une heure de set, Biff Byford et ses sbires, secondé par la présence remarquée de Brian Tatler, dissident de chez DIAMOND HEAD, ont fait le tour de la question.


Pour ma part, si j’ai trouvé le son robuste, le groupe bien trop statique et à la communication basique et bas-du-front n’a toujours pas marqué le moindre point notable. S’ils ont joué trois morceaux de leur nouvel album « Hell, Fire And Damnation » (dont un ''There’s Something In Roswell'' pas mal), tout le reste du set n’était axé que sur les morceaux mythiques de leur histoire : les ''Motorcycle Man'' (décoché dès le début de soirée), ''Heavy Metal Thunder'', ''Strong Arm Of The Law'', ''Crusader'', ''Dallas 1PM'', ''Denim And Leather'', ''Wheels Of Steel'' et ''Princess Of The Night'' qui se sont enchaînés comme sur une chaîne de montage. Bien sûr ces chansons possèdent-elles leur résonance et leur charge émotionnelle parmi les inconditionnels des anglo-saxons, mais ici l’interprétation aussi balourde, en roue libre et sans panache, ne m’a toujours guère convaincu. Tant mieux pour ceux qui ont pris du plaisir – j’imagine qu’il est toujours grand, surtout chez les nostalgiques de cet âge d’or circonscrit entre 1980 et 1984, le temps de trois-quatre albums marqueurs de leur temps et dont l’affect magnifie certainement l’impact.  

Mais en comparaison avec l’étoffe de leurs contemporains en tête d’affiche, impossible d’être plus indulgent : il n’y a strictement aucune comparaison possible. Si SAXON sauve son show avec dix chansons qui font à elles seules quasiment le tour de tout leur héritage majeur, JUDAS PRIEST s’est imposé sans se forcer pour atteindre un tel niveau de Grâce, de maestria et de surpuissance en piochant dans une manne sans fin : en effet, le groupe aurait pu jouer trois ou quatre heures de plus et ne se contenter que de ressasser des pelletées de classiques tout aussi convaincants – et, oh bordel, il y en a TANT.

Le souci d’avoir généreusement proposé à d’autres vétérans d’ouvrir pour lui, c’est que JUDAS PRIEST lui a aussi infligé une leçon – comme à nous tous : qu’il était le plus grand, et que rien ni personne ne pouvaient lui arriver à la cheville.


Photos © Axelle Quétier - Portfolios : JUDAS PRIEST / SAXON.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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