11 juin 2024, 19:12

DAGOBA

Interview Shawter


DAGOBA est l’un des piliers de la scène metal française depuis plus de 20 ans, une longévité incroyable et un groupe qui ne cesse de se renouveler à chaque album, proposant d’innombrables variations de son death mélodique et de son groove metal si personnel. DAGOBA s’apprête ainsi à sortir son neuvième album, « Different Breed », le 14 juin. Trois singles sont déjà disponibles et ont reçu un très bon accueil du public. Ils laissent entrevoir comment le groupe est parvenu à reprendre tout ce qui a fait le succès de DAGOBA en le mettant au goût du jour, avec une production très soignée. Au milieu d’une tournée 2024 déjà bien entamée, de passage à Paris, nous nous sommes entretenus avec Shawter, chanteur et membre fondateur du groupe. C’est avec passion et enthousiasme qu’il nous livre le secret d’une telle longévité et la recette d’un neuvième album aussi réussi !
 

On se doute que tu as hâte que l'album sorte, cependant on voulait d’abord revenir sur la longévité du groupe. Personnellement, j'ai connu DAGOBA avec « Face The Colossus », quand j'étais plus jeune, et le groupe a désormais plus de 20 ans. Selon toi, quel est le secret qui fait que ça dure autant et que vous en êtes au 9e album aujourd'hui ?
Shawter : Dans un premier temps, en ce qui me concerne je dirais que c’est parce que mes passions ne me quittent pas. Je suis passionné par DAGOBA, comme je suis passionné par la chasse sous-marine, ou le sport. J’ai naturellement cette flamme allumée en moi, je n’ai pas besoin de mettre de carburant, je ne la vois pas s’éteindre et je pense que je mourrai avec. Dans un second temps, en termes de créativité, je suis à l'écoute de mes sentiments et de mes émotions et j'ai toujours cette envie de les coucher sur papier et en musique. J’ai la chance de faire un art qui offre des possibilités d’expression infinies et je ne vois pas la fin des potentialités pour l'instant.

Vous tournez également beaucoup. Quand je vous ai connus c’est parce que vous passiez dans la MJC de ma petite ville des Yvelines. Vous continuez aujourd’hui de tourner encore beaucoup en France, mais aussi de plus en plus à l'étranger. Tu ne te lasses jamais ? Comment vous entretenez cette énergie ?
Non, je ne me lasse jamais. Quand j'ai commencé à envisager le fait d'être musicien professionnel, mon objectif c'était de voyager grâce à la musique. Depuis maintenant 20 ans qu'on touche du doigt ce rêve, ce n’est pas pour l'abandonner mais au contraire pour en jouir chaque jour davantage. Je pense aussi qu'il y a des gens qui sont plus aventureux et plus affamés de l'inconnu que d'autres. Nous, on est comme ça, on a ce besoin d'aller vers l’inconnu, de conquérir de nouveaux fans, de voir ce que pourrait donner l'exposition du groupe dans des pays x ou y. On trouve là-dedans une certaine forme d'excitation, difficile à refréner et ça continue toujours autant !


Parlons un peu de l'album maintenant. J'ai été très agréablement surprise en l'écoutant. Pour tout te dire, ma chanson préférée de DAGOBA c'est ''The World In Between''. En écoutant l’album, j’ai eu le sentiment de retrouver ce DAGOBA d’avant mais avec une couleur plus moderne et metalcore vraiment intéressante. Tu peux nous décrire l'objectif derrière cet album ?
Au moment de théoriser l'album, en écrivant sur mon carnet de notes ce que je voulais, j'ai un peu changé le processus habituel. Avant, et par habitude, je me retournais sur ma discographie en me demandant ce que j’avais déjà fait, ce que je ne voulais plus faire, ce que je voudrais proposer de nouveau, avec quelle part de prise de risque. Je commence à composer comme ça et ça me permet de proposer des concepts différents album après album, tout en assumant les prises de risque inhérentes à ce processus. Mais cette fois-ci je me suis dit : bon, tu l'as déjà fait huit fois ce truc-là. Tu as proposé vraiment suffisamment de choses. Toi qui connais la discographie, tu sais que par exemple « Black Nova » ne ressemble pas à « Face The Colossus » qui ne ressemble pas à « What Hell Is About » qui ne ressemble pas à « By Night ».

En effet les deux derniers albums n'ont rien à voir...
Oui, on essaie toujours de se renouveler mais là je me suis dit : retourne-toi sur ta discographie et essaye de noter les moments où tu as été juste le plus satisfait, heureux, juste joyeux d'avoir créé quelque chose. Je voulais retrouver cette plénitude, sans prise de tête, juste m’amuser et bien entendu avec la technicité et le savoir-faire d'aujourd'hui !

Et ça s'entend au vu de la qualité du mixage. Tu as déjà travaillé avec Chris Coulter. Qu’est-ce qui t’a décidé à retravailler avec lui et comment vous avez anticipé la post-production de l'album ?
En effet, on a travaillé avec Chris Coulter sur « By Night » et je trouve la production exceptionnelle. D'autant plus que je suis producteur de l'album, donc je sais le nombre de pistes qu'il a gérées, je sais à quel point c'est compliqué de restituer ce que nous voulions. Malheureusement, à cause de la pandémie et du confinement, je n’avais pas pu me rendre sur place avec lui en studio pour finaliser le mixage comme j'ai l'habitude de le faire. Mais là comme les frontières se sont rouvertes, que j'étais très content de son travail, je voulais le rencontrer sur place pour finaliser ce mixage avec lui. Voilà comment ça s’est fait, tout simplement ! J’en suis très content aussi parce qu'il est capable de faire un travail de mixages très variés ou spéciaux comme il a pu le faire avec « Arcane Roots » ou sur « By Night », mais il met également très bien en valeur la sauvagerie !


J'ai donc été surprise en voyant les morceaux sur lesquels il avait travaillé avant, des chansons beaucoup plus électro. Il a très bien réussi à faire ressortir sur cet album quelque chose d’à la fois violent mais aussi un peu mélancolique et triste. C’est aussi cela que tu voulais transmettre ?
Bien sûr, d’ailleurs tu as dû voir, si tu connais la discographie et que tu es attachée à un titre comme ''The World In Between'' que la mélancolie c'est une composante très importante dans mon écriture. Effectivement, on a tout mis en œuvre pour que ça transparaisse dans la production.

J’ai aussi beaucoup aimé l'artwork de l’album. Je trouve génial d'avoir fait appel à un artiste peintre et pas à une IA. Qu'est ce qui a motivé le choix de cet artiste, comment s'est faite la rencontre et comment vous en êtes arrivés à cet image ?
Dans un premier temps, l'IA c'est un sujet qui m'intéresse énormément à la fois pour l'évolution que ça va être et pour les dégâts que ça va faire. J'avais envie de m'en éloigner et de choisir une vraie peinture avec de la sauvagerie, de l’humanité pour accompagner la composition assez brute ou sauvage des morceaux. Je voulais quelque chose qui sort des tripes ! L'artiste, c'est Mathieu Castel, j'invite tout le monde à aller voir son travail ! C'est un fan de DAGOBA qu'on a croisé pas mal de fois sur la route, et je ne savais pas qu'il était devenu peintre ! En le retrouvant, son travail m'a époustouflé. Je me suis dit que c'était ce côté brut dans sa peinture que je voulais pour cet album. On a discuté du concept de l'album, du titre qui parle d'une espèce différente. Je voulais évoquer des créatures un peu mythologiques, mi-homme, mi-animal, d’où le minotaure. J’avais aussi envie de faire référence à deux éléments en particulier. Je voulais d’abord retrouver l’état d’esprit du premier clip des DAFT PUNK. Je ne sais pas si tu t'en rappelles, c'est une soirée à New York avec un personnage qui a une énorme tête de chien. Il se balade et est en soirée avec ses potes, des humains normaux. Tout le monde agit normalement avec lui et lui aussi, les interactions sont naturelles alors qu’il a une énorme tête de chien. Au départ ça devait être un vrai minotaure avec le torse nu, des muscles, très viril. J'ai voulu au contraire lui mettre un habit de super héros qui fait référence à celui de Tetsuo dans le manga Akira. Il ne sait pas quoi faire de sa puissance, s'il doit faire le bien, ou le mal. On s'est aussi tous grimé en super héros quand on était des enfants et j’aimais le contraste entre la créature puissante comme le minotaure et l’insouciance d'un enfant qui se déguise en super héros. C'était quelque chose que je voulais faire transparaître dans cette peinture.

Je vois, à la fois violent, tragique, innocent, un peu monstre, un peu héros ! Je trouve que ce concept correspond bien à l’esprit de la chanson ''Minotaure'', une de mes préférées dans l’album. Elle est particulièrement forte. Vis-à vis de l’esprit de l’album et de l’artwork comme tu l’as pensée et composée ?
Pour le riff d'intro, je voulais faire référence à mes amours d'adolescence, notamment Dimebag Darell et son art du riffing dans PANTERA. J'ai toujours essayé de lui rendre hommage humblement dans nos compositions. Je voulais un riff vraiment appuyé, avec de la cymbale ride pour le côté groove metal. Le reste de la chanson ce sont mes influences black metal, notamment sur le pré-refrain et le refrain. Ça donne un peu cette sensation de bloc vraiment noir et puissant. Puis avec le pont, j'avais envie d'illuminer tout ça avec la guitare, très lumineux pour faire un contraste aérien dans la chanson et donner un peu de respiration dans cette noirceur. Sans ce pont, ça n'aurait vraiment été qu'un condensé de haine.

Il y a en effet pas mal de respirations mélodiques bienvenues dans l'album. Il y en a toujours eu dans votre répertoire, ce n'est pas une nouveauté, mais c'est vrai qu'elles sont vraiment agréables sur ce disque. Je crois que ça doit être dans ''Vega'' où je trouve que c'est vraiment très beau...
Merci !


Comment tu les conçois ces pauses mélodiques et comment tu les as intégrées dans l'album ?
Comme tu le dis, ça a toujours existé dans DAGOBA et on ne s’en est jamais caché. On n'a jamais eu honte de rajouter un petit refrain mélodique. On a toujours assumé pleinement ce ratio très important de mélodies, notamment dans la voix et dans les arrangements. C'est notre recette et on se régale à le faire. On s'est régalés à le faire précédemment et on se régalera le faire dans le futur !

J’ai également vu que vous aviez composé cet album pendant la tournée 2022. Ça s'est fait de manière fluide ? Vous aviez une organisation particulière ? C'était nouveau pour vous de composer à ce moment-là ?
Oui, c'était complètement nouveau ! Ce qu’il s'est passé c'est qu'après la sortie de « By Night », et juste après la pandémie de COVID, on est partis directement pendant presque un mois et demi en tournée avec INFECTED RAIN en Europe. Ça faisait tellement de temps que je n’avais pas été sur scène, que je n’avais pas chanté, j'avais vraiment un stress particulier ! Je me suis dit que pour assurer soir après soir, directement comme ça, il me fallait une hygiène de vie irréprochable. J'ai fait une préparation physique monstrueuse, je tournais à l'eau, je dormais au maximum, et quitte à ce que les autres fassent l’inverse. Pour eux au contraire, ça a été une libération, ils ont fait la fête tous les soirs, je comprends aussi ! Mais moi, pour mon instrument, respecter le public et tenir la route, il fallait que je sois vraiment très isolé. Je n’allais pas non plus m'isoler dans mon bunker et regarder des séries sur Netflix. J’ai mis à profit ce temps et j'ai pris mon calepin. J'ai réfléchi à tout ce que j’avais fait précédemment, ce que je voulais améliorer et c'est comme ça que ça s'est théorisé en fait.

Vous êtes d'ailleurs déjà en train de tourner, tout en attendant la sortie de l'album, ce qui n’est pas forcément habituel. Vous vous sentez comment à l'approche de cette sortie tout en étant en tournée ?
On est excités comme des dingues. Déjà parce qu’il y a une ambiance au sein du groupe que je n’ai jamais connue ! Quand on ne se voit pas, on se manque vraiment. Puis surtout on est plein d'énergie positive parce que ça ne nous est jamais arrivé dans notre carrière. Tout ce que l'on sort reçoit 100% de réactions positives. J'étais habitué à avoir un bon ratio de réactions positives mais avec quand même des mécontents, ce qui est normal quand tu te mets à nu et que tu es artiste. Il faut assumer le bon et le mauvais.


Il y avait aussi des prises de risques avant...
En effet, il y avait des prises de risques aussi ! Mais là on se retrouve et tout ce qu'on balance ça semble convenir à tout le monde, donc on est plein de l’énergie que nous donne l'auditoire, c'est super ! On a aussi investi massivement sur une nouvelle scénographie pour mettre en valeur tout l'artwork et l'imagerie de « Different Breed ». On se permet de la rôder au fil des sorties des singles qu'on implémente au fur et à mesure des shows. On voit les réactions des gens, ce qu'ils aiment ou pas. C'est vraiment une belle période de la vie du groupe ! On est plus heureux que jamais, on espère que ça va continuer et puisque tu parlais de retour aux sources, j'espère que les gens seront très contents de retrouver cette énergie.

Voilà c’est vraiment ce que je me suis dit à la première écoute de l’album, surtout en ayant écouté DAGOBA quand j’étais plus jeune...
Je suis d’ailleurs très content que tu aies cité ''The World In Between'' plus tôt, parce que pour ne rien te cacher c'est le titre dont je suis le plus fier de toute notre discographie et c’est aussi la seule chanson en ternaire de toute le répertoire. Et le clin d’œil dans « Different Breed », c’est que ''Vega'' dont tu parlais juste avant est la deuxième chanson en ternaire.

J'y étais sans doute sensible sans le savoir et c'est cool en fait de connaître ces détails...
Et puis mine de rien quand on parlait de prise de risque juste avant, il faut contextualiser les choses. Quand on sort cette chanson-là (''The World In Between''), on est de très jeunes adultes dans la scène metal française. On y met des passages clairs complètement assumés, une certaine fragilité, c'était audacieux.


La scène metal française est un peu particulière d’ailleurs parce qu’elle est à la fois très riche mais discrète aussi. Comment vous vous y placez et est-ce que ça te parle justement quand on vous dit que vous exportez la scène metal française ?
Tu sais quoi ? Ça me ramène aux premières interviews qu'on faisait à l'époque avec vos confrères de chez Rock Sound à l'époque, il me semble. Ils avaient interviewé tous les leaders des groupes de la scène metal française. Il y avait Joe Duplantier, moi, Candice de ETHS... Et la question c'était est-ce que vous pensez que le fait que GOJIRA et DAGOBA exportent le metal français, ça va emmener tout le monde à l'international ? Tout le monde était très enthousiaste et moi j'étais le seul à penser que pas du tout et j'avais été un peu mal vu. Et le temps malheureusement m'a donné raison. Moi, je me vois comme un ambitieux qui a une putain de veine, qui a fait des sacrifices mais qui ont porté leurs fruits et d'avoir réussi à exporter le groupe. Mais humblement, je ne peux pas dire je vais tous les tirer vers ça. Ce que je peux dire par contre c'est que je le souhaite à tous !

Vous tournez quand même encore beaucoup en France. C'est marrant cette ambivalence, vous êtes à la fois un groupe très français mais en même temps vous parvenez à vous exporter beaucoup.
Tu as tout dit ! On est très français, mais c'est bien, ça fait plaisir aussi ! On fait les mêmes continents que GOJIRA toute l'année, même si ce ne sont pas les mêmes salles et aujourd'hui la France c'est plus que 10% de notre part de marché. Mais pourtant ces 10% on veut vraiment leur donner du temps, on veut la rosser et pas seulement faire Paris, Lyon ou Bordeaux.

Vous faites aussi plein de plus petites scènes en effet...
​Voilà on veut tout faire, on veut leur rendre hommage et on veut se rappeler d'où on vient parce que je pense que c'est le meilleur moyen de savoir où on va !
 

Blogger : Amandine Moonbaast
Au sujet de l'auteur
Amandine Moonbaast
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK