Nous sommes en 2005 et votre serviteur, alors âgé de treize ans, ne jure que par Jimi Hendrix, OASIS, les ROLLING STONES et le "Live In Canada" de RHAPSODY (pas encore OF FIRE). C’est donc une éducation musicale - fortement désorganisée, nous en conviendrons - qui commence sous les meilleurs auspices… encouragée par les disques mis aléatoirement à disposition par la médiathèque du coin. Empruntés, copiés, dévorés, libérés (délivrés), jusqu’à plus soif.
C’est justement ici que l'histoire débute, un matin de juillet 2005, face au rayon “disques” de cette même médiathèque. Un album, jusqu’ici inconnu attire notre bel œil bleu alerte, avec sa pochette représentant un graffiti de soldat avec des ailes dans le dos. Il s’agit bien évidemment d’"Hybrid Theory", premier effort des Américains LINKIN PARK. Nous n’avons alors aucune idée de comment ça sonne, de comment c’est bien, ou de comment nous allions nous retrouver à Londres dix-neuf ans plus tard pour assister à l’un des concerts de résurrection de ce groupe, dont le retour ne semblait plus vraiment une évidence après moult assauts de la vie, et de la mort.
Et pourtant, en quelques jours, après l’annonce d’un nouvel album, d’une tournée à venir, et d’une "remplaçante" à l’ultra-regretté Chester Bennington, il faut bien se rendre à l’évidence : LINKIN PARK est de retour.
From Barbezieux Saint-Hilaire, en Poitou-Charentes, to London, capitale du Royaume-Uni, un des berceaux du british rock, du punk, du metal et du fish & chips.
Nous sommes le 24 septembre 2024, il est 19h et grand temps de ressentir, de célébrer, LINKIN PARK à nouveau.
Découvrir ce que le groupe a dans le ventre dans sa version 2024, mais surtout, accueillir la chanteuse Emily Armstrong, avec un respect à la hauteur de son courage, provoque une sensation indescriptible. Nous n’avons pas l’estomac serré, mais assurément les tripes en ébullition. La leader des excellents DEAD SARA vient se frotter au rôle jadis occupé par l’immense Chester Bennington, ce n’est pas rien !
Encore moins à Londres, presque terre sacrée lorsque l’on en vient à parler de LINKIN PARK. Si le dernier concert du groupe avec Chester a eu lieu à Birmingham le 6 juillet 2017, c’est pourtant à Londres dans cette même O2 Arena (ainsi qu’à l’O2 Brixton) qu’il viendra régner les 3 et 4 juillet de cette même année. Des shows “évènements” qui verront “LP” jouer des sets parmi les plus longs de sa carrière. Sans oublier les deux nuits, toujours à l’O2 Arena, dans le cadre de la tournée de l’album "The Hunting Party" en 2014 dont les fans parlent encore aujourd’hui, le live à Milton Keynes en 2008, les sept concerts londoniens de la tournée "Hybrid Theory", etc… LINKIN PARK et Londres, si ce n’est peut-être pas aussi fusionnel que Springsteen et Asbury Park, c’est une relation forte, empreinte de fidélité, d’intensité, c’est du love à gogo bébé. Résultat, lorsque nous franchissons les portes de la fameuse O2 Arena, au-delà des frissons, c’est bien la surprise qui nous accueille.
Pour ceux qui ne connaissent pas, il faut dire qu’entre ses cinq milles escalators, sa centaine de boutiques, on ne se sent pas vraiment dans l’enceinte du Bercy britannique : c’est quoi ce bo**el ? C’est un concert ou une soirée shopping à Créteil Soleil ?! Heureusement, l’organisation anglo-saxonne nous remet rapidement sur de bons rails : terminus premier étage, rendez-vous avec la scène centrale de LINKIN PARK. On se pince encore et nous ne sommes pas les seuls ! Une configuration digne d'un show de METALLICA… Blague à part, une atmosphère unique, celle des grands soirs, parcourt la salle. Pas vraiment d’électricité dans l’air, mais plutôt une chaleur étonnante, réconfortante, malgré la clim’ à fond qui vient nous caresser l’arrière de la nuque avec la raideur d’un moine shaolin en pleine écoute d’un disque de MESSER CHUPS. La chaleur là, elle est intérieure, elle se love au plus profond de nous pour nous porter durant ce grand moment qui s’annonce et nous sommes nombreux à le partager ce soir.
Surtout, premier constat : si nous nous attendions à une audience de “jeunes” hyper stylés, ultra sapés bcbg tape m’en cinq Richard Virenque, c’est pourtant tous les profils imaginables (ou non) qui nous entourent. De l’homme d’affaires au costard parfait à la petite mamie qu’on aurait imaginée devant la soixante dix-septième saison de l'Inspecteur Barnaby (ndr : à la fin il gagne toujours, ne vous en faites pas). Absolument tout le monde peut aujourd’hui se retrouver à un concert de LINKIN PARK en 2024, et ça veut dire bien plus que tout ce que nous pourrions vous écrire aujourd’hui. Le répertoire des Américains représente un pan de vie pour tant de gens que même lorsque Grandson arrive sur scène pour entamer son set de première partie, il le fait au son de “Running From My Shadow” de l’album "Post Traumatic" de Mike Shinoda, sur lequel il apparaissait en featuring. Le prodige canadien nous explique tout l’amour qu’il porte au groupe, pour Shinoda, pour nous (évidemment), et surtout que nous allons vivre quelque chose d’exceptionnel, que c’est une fête ultime qui s'annonce pour nous ce soir.
Ce qui est génial avec Grandson, c’est qu’il le fait tout en blastant ses meilleurs brûlots rap, rock, salade-tomate-oignon-sauce samouraï de “6:00” à “We Did It” en passant par le plus personnel “Heather” où la foule communie volontiers avec l’artiste. Une belle ouverture signée par cet excellent frontman qui nous a déjà convaincu discographiquement il y a bien longtemps déjà (et que nous ne pouvons que vous encourager à découvrir d’urgence).
Il fait partie des petits protégés de Mike Shinoda, et à juste titre.
Enfin, le silence s’installe, les regards se vautrent dans l’immense océan de l’excitation généralisée, la pression monte, le temps passe très lentement, mais comme toujours : Les lumières finissent toujours par s'éteindre, et l’impatience s’évanouit dans le fracas d’une clameur brûlante comme le soleil.
Un faisceau lumineux est projeté au milieu de la scène centrale. Au-dessus d’elle, deux énormes blocs rectangulaires dont chaque face est un écran règnent sur l’édifice imposant qu’est l’O2. Tout ceci reste très minimaliste, mais bien suffisant pour ce qui nous attend. Un motif sonore est diffusé, il se répète, il accélère, nos coeurs également. Puis, enfin, nous plongeons dans un réel que plus personne n’imaginait il y a encore quelques semaines. Ils arrivent tous sur scène, un par un : Joe Hahn (DJ, caméraman, Janick Gers 2.0), Mike Shinoda (guitare, chant, piano, samples) et Dave Farrell (basse). Ils sont là, face à nous, nous les entourons avec nos vingt milles silhouettes hallucinées. Mais, comment ne pas penser aux absents ? Pour l’occasion, c’est un certain Colin Brittain qui occupe le poste de batteur, Rob Bourdon ne semblant plus vouloir faire partie de l’aventure. Le guitare est assurée par Alex Feder, Brad Delson - dont on avait été surpris de l'absence lors du livestream inaugural - ne souhaitant plus tourner et se concentrer sur la composition et le travail en studio pour tout ce qui touche à LINKIN PARK. Emily Armstrong finit enfin par apparaître, et les Américains lancent leur soirée avec un “Somewhere I Belong” dont le titre semble vouloir tout dire… et met directement la salle à genoux. Les musiciens arpentent la scène avec un plaisir non dissimulé, laissant les spectateurs dans un état d’euphorie contagieuse. L’entame de “Crawing” par Emily est le signal attendu pour que le dernier verrou de retenue saute. Ce soir, LINKIN PARK compte 20 000 membres, une armée de chanteurs. Les frissons parcourent nos zygomatiques, titillés comme jamais, même pour “The Emptiness Machine”, dernier single en date qui, en quelques jours, a su se hisser sans difficulté au même niveau que le reste du répertoire classique du groupe.
Pourtant, et malgré les efforts déployés, un vide semble persister sur scène. Pas forcément gênant, il paraît finalement n’être qu’une immense invitation à communier tous ensemble autour d'un LINKIN PARK certes diminué, mais qui n’a paradoxalement jamais été aussi grand. Nous avons beau accepter cette invitation, et le groupe ne joue pas à s'en cacher, augmentant sans cesse la cadence, les cicatrices sont visibles et viennent parfois nous rappeler à la brutale réalité que certains ne sont plus là. Raison de plus pour Armstrong et Shinoda de tout donner, et même au-delà. Les deux parcourent avec complicité la scène en long et en large, encore et encore, appuyés par un Joe Hahn qui contrôle les écrans et diffuse en direct depuis la scène des plans qu’il filme avec sa propre caméra. L’occasion de voir Alex Feder martyriser sa six cordes et communiquer avec ses collègues ainsi que la foule, comme s’il avait toujours fait partie de l'aventure. “The Catalyst”, “Burn It Down” ou encore “Waiting For The End” forment une belle triplette, absolument épique, et provoque une standing ovation pour la nouvelle frontwoman de LINKIN PARK : la foule scande son nom pendant une bonne minute. Emily Armstrong apparaît visiblement émue, mais joingnons-nous à l’avis populaire : la chanteuse va voler la vedette ce soir et à plusieurs reprises. Shinoda remercie la foule en de nombreuses occasions, toujours la tête haute, le regard fixé vers un chemin qu’on devine, et sur lequel nous le suivrons, tant la détermination semble immense dans le regard de celui qui porte aujourd’hui LINKIN PARK sur ses épaules.
S'il fallait nuancer, regrettons que le groupe laisse parfois de longues pauses de plusieurs minutes s’éterniser, et ce ne sont pas les nouveaux motifs sonores et quelques effets spéciaux censés “créer” une atmosphère qui nous feront changer d’avis.
C’est l'occasion de modifier un peu l’orientation des instruments sur scène, pour que l’on puisse voir tout le monde, mais franchement, la dynamique en prend un coup à deux reprises. Heureusement, quand Shinoda revient sur scène pour nous donner du ‘When They Come For Me” de l’album "A Thousand Suns" ou “Remember The Name” tiré de “The Rising Tied” de son projet solo FORT MINOR, la perte de rythme est pardonnable.
Par contre, si c’est pour nous chanter “Lost” de "Meteora" en duo avec Emily dans une version épurée au piano, compliqué de relancer la machine derrière.
De grands moments contrebalancent ces partis-pris, tels que “Keys To The Kingdom” issu de l’incroyable "The Hunting Party", et qui voit Armstrong, hurlant, débuter sa prestation à genoux.
Comment ne pas parler aussi de ce “One Step Closer” d’une violence inouïe qui la voit agresser à coup d’opinel vocal vingt mille âmes qui ne s’attendaient peut-être pas à une telle puissance.
“Numb”, “In The End” et “Faint” viennent conclure le gros du show, tandis que le public s'octroie le rôle de troisième chanteur à la perfection.
Chair de poule digne de Pinhead d’Hellraiser chez votre serviteur.
LINKIN PARK revient nous offrir trois derniers titres : “Papercut”, puis le nouveau single “Heavy Is The Crown” (accompagnant leur collaboration avec "League of Legends") avec encore et toujours Armstrong en mégastar, nous gratifiant de grands moments vocaux, épiques, et offrant ses lettres de noblesse à cet inédit qui mérite sa place dans le set. “Bleed It Out” conclut le show avec efficacité, mais peut-être moins d’impact qu’un “In The End”, plus tôt, qui avait vraiment mis le public sur les rotules.
La démonstration est totale, et alors que nous quittons les travées de l’O2, nous ne pouvons pas nous empêcher de repenser à une interview de mars 2017 que Chester Bennington avait accordée au micro d’un média australien à propos de "One More Light", nouvel album de LINKIN PARK qui devait, à l’époque, paraître deux mois plus tard. Ce dernier tendait son discours vers une honnêteté bouleversante et qui résonne toujours aujourd’hui, sept ans après qu’il se soit ôté la vie.
Prônant l’ouverture plutôt que le repli sur soi, le chanteur y évoquait cette lumière salvatrice née de la main tendue vers ses collègues musiciens, de cette bataille pour se forcer chaque jour à regarder devant lui et à se battre.
Il y décrivait comment ce combat lui avait permis de retrouver l’inspiration, l’envie d’avancer et d’exploser toutes les barrières autour de lui. Comment cette attitude avait permis à un album comme "One More Light" de briller comme il le faisait malgré la noirceur des thèmes qu’il pouvait aborder. Ce soir, lorsque nous repensons aux regards de Shinoda et d’Armstrong lorsqu’ils arpentaient la scène, nous pourrions jurer avoir vu cette lumière et cette détermination inébranlable. Rien que pour cela, nous ne pourrons jamais dissocier ce retour de LINKIN PARK de l’influence de Chester Bennington et de l’empreinte indélébile qu’il aura laissé et qui lui permet, nous en sommes intimement persuadés, de toujours permettre au groupe d’avancer et d’exister en 2024.
Rendez-vous est pris le 15 novembre prochain pour la sortie de "From Zero", nouvel album de LINKIN PARK depuis sept ans et, surtout, le 3 novembre à La Défense Arena pour le retour de LINKIN PARK en France.