Difficile ces derniers mois de passer à côté d’un média METAL sans croiser une mention de la ''reformation'' de LINKIN PARK, un groupe qui semble inarrêtable. Les guillemets s’imposent, car il s’agit ici d’une résurrection plus que d’un simple retour. Cette fois, ce ne sont plus les paroles intimes et la voix unique de Chester Bennington qui accompagneront les explorations musicales de Mike Shinoda. Comme l’indiquent le nom de ce disque, sa première piste, et les premiers mots que l’on entend, ''From Zero ? Comme 'from nothing' ?'' – difficile d’exagérer, mais quand Emily Armstrong, nouvelle voix du groupe, prononce ces mots, on comprend à quel point le chemin a dû être sinueux, parfois teinté de l’odeur âcre du désespoir.
Comment se recréer ? Se retrouver ? Comment reconstruire le monde lorsque même le ciel a cessé d’émettre la moindre lumière ? On se souvient justement de « One More Light », dernier album des Américains, un disque où la musique semblait tellement (trop ?) s’opposer aux paroles et où la lumière paraissait feinte. Certes, le constat est sévère, mais cet album restait atypique et intrigant, à défaut d’être une ''masterclass''. C’est dans ce contexte, avec une nouvelle ''direction'' et une nouvelle chanteuse, que « From Zero », remarquablement réussi et rappelant un LINKIN PARK qu’on ne pensait plus revoir, fait son entrée.
De '' The Emptiness Machine'', que vous connaissez sans doute déjà par cœur, à ''Heavy Is The Crown'', on retrouve la même structure dans chaque titre : riff -> headbang -> chant de Shinoda -> refrain -> chant d’Emily. Entre ces deux titres, ''Cut The Bridge'' se distingue comme une version dénudée de ses voisins, laissant place à une énergie plus primitive et dansante. Avec ''Over Each Other'', Emily prend vraiment les rênes : elle ouvre le morceau, sur fond d’atours pop du plus bel effet. Sans être le sommet de « From Zero », ce titre pose une pause bienvenue, presque langoureuse, qui nous invite à nous laisser porter.
Les premières secondes de ''Casualty'' nous sortent brusquement de notre torpeur, les cris perçants d’Emily – ses « Let Me Ouuuuut ! » venus tout droit de nos pires cauchemars – annonçant la tempête. Nous voilà pris dans un ouragan sonore dévastateur. Quelque part entre des riffs martiaux, froids, dignes de Rob Zombie ou MINISTRY, un Shinoda plus furieux que depuis « Hybrid Theory », et une batterie acérée comme un métronome implacable, ''Casualty'' s’impose comme une pierre angulaire dans la discographie du groupe, et peut-être comme le morceau le plus intense et virulent qu’ils aient jamais enregistré.
Ce constat rend l’écoute de ''Overflow'' plus ardue, tristement. Si ''Casualty'' représente un LINKIN PARK à l’état brut, ''Overflow'' offre un terrain d’expérimentations, difficile à appréhender. Sans vouloir exagérer, on y sent presque une aura et des envies créatrices à la RADIOHEAD, en rupture totale avec les 567 BPM du titre précédent. Cela dit, quelle performance vocale d’Armstrong ! Le morceau gagnera à être réécouté plusieurs fois pour vraiment l'apprécier. ''Two Faced'' renoue avec des riffs et des lignes vocales menaçantes qui rappellent fortement ''One Step Closer'' de « Hybrid Theory ». ''Stained'', morceau ''tribal'' malgré ses accents pop, s’illustre par un refrain accrocheur, parfait pour la scène. Une fois de plus, Emily Armstrong sublime le chant et le rap d’un Shinoda qui explore ici une variété de styles comme rarement auparavant.
Le groupe semble canaliser l’esprit de REFUSED sur ''IGYEIH'', des riffs aux cris enragés d’Emily, en passant par l’ambiance générale du morceau. Un brûlot simple mais efficace, alternant entre furie et moments plus posés qui rappellent la capacité de LINKIN PARK à jouer avec le temps. La conclusion arrive avec ''Good Things To Go'', où une basse quasi new-wave crée un socle solide pour les voix entrelacées d’Emily et Shinoda. Sympathique mais sans plus, ce titre met tout de même en valeur l’influence d’Armstrong sur le groupe. Seul bémol : un choix discutable pour clore cet album. Mais après tout, rien de bien grave.
Sans être le meilleur album de LINKIN PARK, « From Zero » porte admirablement bien son nom. L’album sonne comme une première aventure (certes bien financée) pour se familiariser avec la ''nouvelle'' réalité du groupe. Rien ne paraît forcé : le groupe prend son temps et commence par faire les présentations dans le premier tiers avant de se lâcher dans les deux suivants. Personne ne remplace personne, la nouvelle frontwoman du groupe se pose comme une voix ultra charismatique, sur qui il faudra compter. C’est un plaisir de se laisser happer et de découvrir, morceau après morceau, ce LINKIN PARK 2.0. Ce n’est pas le premier groupe à traverser deux périodes distinctes mais complémentaires (coucou AC/DC, MARILLION et THE STRANGLERS), et ce ne sera sûrement pas le dernier. Mais n’est-ce pas ici que nous reconnaissons les grands ? Dans cette capacité à se renouveler, qu’importent les obstacles et les pièges de la vie ?
« From Zero » est une mosaïque captivante où l’on se plaît à revenir encore et encore, que ce soit pour retrouver un vieil ami ou se faire un nouvel allié. L’essentiel, ne l’oublions pas : LINKIN PARK est de retour. Avec style !