
Ce n’est pas parce que les fêtes de fin d’année approchent qu’il faut pour autant associer systématiquement la Finlande au pays du Père Noël, de ses joyeux lutins farceurs et de ses rênes avec leur grelots qui font gling-gling en trimballant leur traineau plein de cadeaux. Faut pas déconner, on n’est pas dans le monde de Disney ici, et attention, je vais vous révéler un secret (éloignez les enfants de cette écran car leurs âmes sensibles pourraient ne jamais s’en remettre) : les contes de fées et le Père Noël n’existent pas ! Par contre, WHEEL, le groupe Finlandais qui nous occupe ici, existe bel et bien et est éminemment recommandable à tous les amateurs d’excellence.
Avec la sortie de son troisième album, le superbe « Charismatic Leaders », WHEEL a franchi un palier de plus dans une discographie qui ne souffre aucun défaut, et c’est avec la joie au cœur que nous partons les retrouver ce samedi 30 novembre à Paris, dans la petite salle du Backstage By The Mill, avec enfin la possibilité de les voir en tête d’affiche après un premier contact live en 2021 en première partie de LEPROUS. Dire que nous attendions ce jour avec impatience est un euphémisme, tant la musique du groupe, progressive, raffinée, subtile et complexe avec ses polyrythmies, mais hautement émotionnelle nous accompagne depuis maintenant plusieurs années. Pour ceux qui aiment arriver sur les lieux en avance afin d’être placés au plus près de la scène, le Backstage est une salle qui possède l’avantage certain d’être située au fond du pub O’Sullivan, c’est-à-dire au chaud et au sec. Et lorsque les frimas s’installent, c’est tout de même plus agréable d’être à l’intérieur que de faire le pied de grue dehors, en proie à toutes les intempéries de cette météo capricieuse.
Ouverture des portes de la salle prévue pour 19h00, avec un premier groupe devant débuter dès 19h10. Le timing est serré et sera respecté au pied de la lettre toute la soirée. Chapeau à l’organisation ! Le revers de la médaille, c’est que le dit-groupe, CHUAN-TZU, qui, comme son nom ne l’indique pas, vient de Francfort en Allemagne, commence son set devant un parterre franchement clairsemé. Alliant des styles aussi diverses que le death/thrash, le hardcore et le metal alternatif, le quartette formé en 2003 présente son dernier EP en date, « So Death Created Time », après deux albums parus respectivement en 2009 (« Metachaos ») et 2016 (« Delight In Disorder »). Le public est certes peu nombreux, mais les musiciens ne se laissent pas décontenancer et assure un show énergique, bien rentre-dedans, qui va progressivement attirer l’adhésion du public. Un set sympathique pour démarrer la soirée.

Changement d’ambiance avec les tous jeunes Islandais MÚR, à ne pas confondre avec les Parisiens black metalleux MUR. Les petits gars en question viennent de sortir leur premier album éponyme et proposent un post-metal sombre et torturé, avec des nappes atmosphériques, sorte de croisement en CULT OF LUNA, ENSLAVED, Devin Townsend et ALCEST, avec des cris de chat écorché façon Ihsahn dans EMPEROR, le tout chanté dans leur langue natale. Solide et possédée, la proposition du quintette se révèle hypnotique et captivante, malgré sa complexité qui demandera par la suite plusieurs écoutes approfondies pour bien s’en imprégner. Enveloppée des nappes du keytar de Kári Haraldsson, le chanteur, la musique du groupe est essentiellement construite sur des tempo lents et lourds et des structures tarabiscotées, avec quelques envolées rythmiques dotées de double pédale. Quatre morceaux seulement sont joués, mais rien d’étonnant vu la longueur desdits morceaux qui oscille entre 7 et 10 minutes chacun. On regrette toutefois une certaine linéarité dans le chant, la plupart du temps hurlé d’une façon assez monocorde, mais l’on sent toutefois un réel potentiel d’amélioration chez le jeune chanteur. MÚR offre une prestation très propre et carrée, avec un charisme certain de la part de tous les musiciens, possédés et investis par leur musique, même si la communication avec le public est réduite au strict minimum. Les spectateurs ne s’y trompent pas et leur réservent un accueil des plus vifs et chaleureux.

Efficacité et rapidité toujours pour le dernier changement de plateau avant que WHEEL n’investisse à son tour la scène. La salle est désormais bien remplie et l’assistance aux aguets. Pas de backdrop, pas de fioriture : le décor se résume à une estrade centrale pour le chanteur/guitariste James Lascelles et une plus basse côté jardin pour le guitariste Jussi Turunen, tandis que Jere Lehto, le bassiste nouvellement recruté pour la tournée, se trouve côté jardin et l’imposante batterie du génial Santeri Saksala est centrale et dominante.
C’est au son de la magnifique "Fugue" et de ses arpèges de guitare que le quartette démarre son set, et ô quel bonheur de l’entendre live, alors que nous avions regretté son absence lors du concert de 2021. S’en suit "Hyperion", lui aussi issu du précédent album, « Resident Human » (2021) pour un démarrage atmosphérique et en douceur, avant que le rythme ne s’emballe pendant le morceau. Spécialiste de la montée en tension progressive, WHEEL s’y entend comme pas deux pour poser des ambiances et les développer sur la durée, avec une énergie et une tension contenues, latentes, qui explosent en bouquet final. Le jeu de lumières colle à la musique du groupe, jouant le chaud-froid en permanence.
Le son est bon, très bon et aucune note ne tombe à côté. La technicité et la maîtrise des musiciens est incroyable, mais le rendu n’est pas froidement chirurgical pour autant, car les compositions du groupe ont une âme, et les quatre musiciens en sont imprégnés. Cela se voit sur leurs visages, se ressent dans leurs regards. James Lascelles est possédé, ses yeux brillant d’une hargne intense difficilement contenue. Et que dire de ce batteur exceptionnel qu’est Santeri Saksala ! L’homme délivre des rythmiques ébouriffantes, tout à la fois subtiles et ultra puissantes, complexes et groovy. Son jeu est fascinant et il se révèle être l’un des éléments majeurs de la musique du groupe. Il est sans conteste l’un des meilleurs batteurs du circuit, et figure dans le top 3 de votre chroniqueuse, chers lecteurs. Je ne saurais que trop vous encourager à vous plonger dans la musique de haute volée de ce groupe.

Toujours sur la douceur, c’est le très beau "Porcelain" issu du dernier album qui nous est offert, avec ses lignes de basse rondouillettes et ses guitares délectables, avant que l’on ne poursuive avec le très énergique "Lacking", extrait de « Moving Backwards » (2019), et son final apocalyptique totalement jouissif, accompagné de ses paroles percutantes : « I won't lose control / Must have control / Will take control / Won't stop and / I won't lose control / Must have control / Will take control / Will take it all » (« Je ne perdrai pas le contrôle / Je dois avoir le contrôle / Je prendrai le contrôle / Je n'arrêterai pas et / Je ne perdrai pas le contrôle / Je dois avoir le contrôle / Je prendrai le contrôle / Je prendrai tout »).
James prend la parole pour nous demander si nous passons un bon moment, et la réponse de la salle ne se fait pas attendre avec les cris et des « We love you » qui fusent. Puis il présente "Saboteur" comme une chanson sur ce deuxième moi, à l’intérieur de nous, qui a toujours tendance à nous dévaloriser, sur l’estime de soi et sur l’acceptation de nos échecs. "Dissipating" est également un grand moment, une montée d’adrénaline savamment dosée qui s’achève sur une explosion d’énergie brute . Les deux guitaristes que sont James et Jussi se complètent à merveille, James essentiellement pour la rythmique et Jussi délivrant les soli et mélodies enchanteresses, comme ce sera le cas plus tard sur le morceau instrumental "Caught In The Afterglow" qui va servir d’intro au puissant et brutal "Movement", puis au non moins énervé "Vultures". Avant cela, on a droit à un passage à la guitare acoustique pour James sur le poétique "Synchronise". Souvent comparé, à tort ou à raison, à TOOL, WHEEL a su s’émanciper de ses influences pour proposer son propre univers fait de mélodies, de rythmes échevelés, de noirceur et de mélancolie, de rage enfouie et bouillonnante.
Très grand moment avec la pièce maîtresse de « Charismatic Leaders », "The Freeze", qui est un morceau à l’intensité peu commune, entre délicate subtilité, tristesse diffuse et impuissante, et violence fulminante qui se retrouve si bien sur le final génial orchestré par les descentes de toms de Santeri Saksala. Pas de rappel, le groupe poursuit à un rythme soutenu et la folie dans la salle explose sur les deux derniers morceaux, le brutal "Empire" et l’incontournable "Wheel" pendant lesquels des moshpit vont éclater dans la fosse. Les spectateurs se lâchent complètement, le groupe aussi, les flux d’énergie circulent, laissant éclater la joie et l’exaltation pour une fin de concert survoltée, incontrôlable et tellement jubilatoire. Les musiciens sont rayonnants et échangent des poignées de mains vigoureuses et chaleureuses avec les premiers rangs, notamment James Lascelles qui remercie ainsi ses fans.
On aimerait ne pas lâcher ses mains pour lui dire à quel point ce concert nous a fait du bien, à quel point son groupe est une merveille et qu’on espère les revoir au plus vite. En effet, le public en redemanderait encore volontiers, alors que le groupe joue depuis une heure quarante-cinq. Mais le concert est fini pour de bon. On n’a pas vu le temps passer, enrobé par la présence, le talent et le charisme des musiciens, enveloppés de leur musique belle et poignante. On aimerait aussi leur dire qu’ils sont magnifiques quand ils sont ainsi imprégnés de leur art, leur dire qu’on les attend une prochaine fois dans une salle plus grande, qu’ils le méritent tant car WHEEL est définitivement un grand groupe, un très grand groupe... à retrouver sur l'Altar du Hellfest le samedi 21 juin 2025.
Wheel © Sly Escapist