Indubitablement, quelque chose a changé chez Mark Tremonti, guitariste d’ALTER BRIDGE et du récemment ressuscité CREED. Appelons ça l’évolution, la maturité ou l’expérience, il se dégage désormais de son projet solo TREMONTI une atmosphère sombre, un désespoir palpable, accentué par l’approche progressive des morceaux. L’insouciance et la naïveté se sont envolées, une part de fraîcheur aussi. Cela a commencé avec le précédent album, « Marching In Time » (2021), où l’on sentait le guitariste-chanteur très affecté par la pandémie notamment, ainsi que par la naissance de sa petite fille, Stella, atteinte du syndrome de Down (autrement appelé Trisomie 21), affecté par ce monde en souffrance, et c’est encore plus flagrant sur ce sixième disque, « The End Will Show Us How ».
Essentiellement composé de morceaux mid-tempo, on est bien loin des brûlots speed thrashisants que le frontman avait l’habitude de nous balancer comme "The Day When Legions Burned" issu de l’excellentissime « A Dying Machine » (2018), "Wish You Well" sur « All I Was » (2012), "Radical Chang"» ou "Cauterize" tirés de l’album du même nom (2015) ou encore "The Cage" sur « Dust » (2016), entre autres. N’étant pas du genre nostalgique, on n’ira pas jusqu’à dire que l’on regrette cette époque, car l’évolution a du bon. Ce n’est pas un mal de voir l’artiste plus posé et mature, car cela l’amène à une profonde réflexion introspective et un regard sans complaisance sur l’état du monde. Et puis, il maîtrise nettement mieux sa voix. Ses excursions dans le répertoire de Frank Sinatra ont portés leurs fruits. Mais concernant ce projet solo, on a perdu en chemin le mordant, la colère bouillonnante et vindicative des premiers essais, pour laisser place à une sorte de fatalisme, un regard pessimiste mais réaliste, une amertume latente, comme il l’exprime clairement sur "All The Wicked Things" : « All The wicked things, Oh just like before, We’ll see them again. Oh not a thing has changed, humanity’s gone. Now what a shame it is, We’ve taken our world, We’ve torn it apart. Oh not a thing has changed... No. » (« Toutes les mauvaises choses, Oh comme avant, Nous les reverrons. Oh, rien n'a changé, l'humanité a disparu. Nous avons pris notre monde, nous l'avons déchiré. Oh rien n'a changé... Non. »)
L’album recèle de bons, voire très bons, moments, comme la chanson-titre et son riff entêtant, "The Mother, The Earth and I" et son ambiance menaçante, "Nails" avec son excellent solo et son pont bien furax, "The Bottom" et son groove contagieux. D’autres se montrent complètement dispensables ("One More Time", "Now That I’ve Made It", "Tomorrow We Will Fail") et ne possèdent pas l’accroche nécessaire pour les rendre mémorable. Cela commence pourtant bien avec la chanson qui a servi de premier single, "The Mother, The Earth and I", qui capte immédiatement l’attention avec sa mélodie entêtante et son ambiance sombre. "One More Time", bizarrement choisi comme deuxième single, ne réussit pas à faire dresser l’oreille, avec son air de déjà entendu. A l’inverse, "Just Too Much" aurait complètement pu faire l’affaire grâce à un refrain catchy et un solo court mais efficace. Ou bien "Nails", heavy en diable, avec un break réussi qui accélère la cadence pour notre plus grande joie. "It’s Not Over" est une ballade qui permet d’apprécier la voix de crooner du frontman, et son aptitude à écrire des textes introspectifs et touchants. « How I’ve tried... Oh to bring the past to life and to gather some control… Control of myself. Look to no one else... But me. But me. But it’s not over, I’ve been here before and I’ve told ya that this won’t drain the life from me. Oh this time I mean it, been broken before but I’m healin’. I’ve earned now all it takes to be... Here. » (« Comme j'ai essayé... Oh de faire revivre le passé et de reprendre le contrôle... Le contrôle de moi-même. Ne regarder personne d'autre... que moi. Que moi. Mais ce n'est pas fini, je suis déjà passé par là et je t'ai dit que ça ne m'enlèverait pas la vie. Oh cette fois je le pense vraiment, j'ai été brisé avant mais je guéris. J'ai gagné tout ce qu'il faut pour être... ici. »)
La production de Mickael "Elvis" Baskette est, comme à son habitude, propre et moderne. Tous les instruments sont savamment dosés dans le mixage, que ce soit les guitares de Mark Tremonti et Eric Friedman, la basse de Tanner Keegan ou la batterie de Ryan Bennett. On retrouve effectivement la même fine équipe que sur le précédent album, et l’alchimie entre eux est palpable, tant en studio que sur scène. "The End Will Show Us How" est l’un des meilleurs morceaux de cet album, avec un riff original ainsi qu’un refrain et un solo de guitare qui sortent des sentiers battus. Le toucher de Mark Tremonti ne souffre d’aucun défaut, mais possède parfois un aspect presque trop propre et lisse, alors qu’il peut s’avérer magique lorsque l’inspiration est au rendez-vous.
Alors que "Tomorrow We Will Fail" peine à décoller malgré une belle ligne de basse, "I’ll Take My Chances" est typique du TREMONTI d’avant, avec ses saccades rythmiques et son attaque nerveuse. Avec en sus la voix ultra sensuelle de crooner de Mark sur le pont. Classique dans sa structure certes, mais efficace. Très gros coup de cœur pour "The Bottom", un titre rythmé, ultra groovy et qui change du répertoire habituel du groupe. "Live In Fear" est l’un des rares au tempo enlevé, un morceau vif et tranchant qui redynamise l’ensemble avec sa niaque. On préfère ne pas s’éterniser sur "Now That I’ve Made It", jolie ballade mais peu marquante, mais plus sur le dernier titre, "All The Wicked Things" et son intro mélancolique, son atmosphère sombre et pesante, ainsi que son solo final inventif.
« The End Will Show Us How » est un bon album, qui nécessite un peu de temps pour être apprécié à sa juste valeur, même s’il aurait gagné à être un peu écrémé afin de condenser son efficacité et éviter de la diluer sur trop de longueur, comme nous avons pu le constater par le passé sur les albums d’ALTER BRIDGE également. TREMONTI aurait tout à gagner à resserrer son propos pour ne pas perdre l’attention de l’auditeur en cours de route. Car, il a des choses à dire et les exprime fort bien, avec sensibilité et humanité, mais aussi avec un talent indéniable pour les mélodies accrocheuses et des capacités techniques bien au-delà de la moyenne. S’il est moins marquant que les précédentes œuvres du groupe, il est toutefois empreint d’une ambiance particulière qui le rend attachant, et mérite de figurer dignement dans la collection au côté des autres projets du guitariste aux doigts en or.