
Adeptes du nihilisme, de la monochromie d’un ciel nocturne sans étoile, aficionados de la noirceur et du pessimiste, férus de climats anxiogènes, vous pouvez d’ores et déjà suspendre la lecture de cette chronique qui risquerait de vous filer de l’urticaire. Passez donc votre chemin et allez plutôt faire un tour chez Leroy-Merlin pour voir s’il n’y a pas des cordes de bonne qualité, ainsi qu’un banc en promotion, pour enrichir votre collection. Car nous allons aborder ici le nouvel album de KILLSWITCH ENGAGE, « This Consequence », qui, s’il recèle beaucoup de colère, est aussi doté d’une force positive et optimiste qui fait du bien au moral.
Sans changer fondamentalement la donne dans sa déjà longue discographie, KILLSWITCH ENGAGE continue en effet de proposer ce qu’il sait faire le mieux, un metalcore burné qui alterne brutalité et mélodies, il nous envoie tout de même avec cet album un vent de fraîcheur bienvenu. D’entrée de jeu, avec le véloce "Abandon Us", c’est un quintet très remonté qui nous prend à la gorge. La fureur et le mordant sont bien plus présents sur ces dix nouveaux morceaux que sur le précédent album, « Atonement » (2019), qui présentait une facette plus mid-tempo et mélodieuse de la musique du groupe. Exit les ballades, ici ce ne sont que des brulots revendicatifs que les vétérans du metalcore ont pondus, prouvant qu’ils en ont encore sous la pédale et qu’il ne faudrait pas les enterrer trop vite, comme l’assène le chanteur Jesse Leach (« This is not our requiem » : « Ce n’est pas notre requiem ») sur la dernière piste intitulée fort à propos "Requiem".
Toujours accompagné d’Adam Dutkiewicz (production, guitare et chœurs), de Joel Stroetzel (guitare), de Mike D’Antonio (basse) et de Justin Foley (batterie), le frontman tient une forme olympique et s’arrache les cordes vocales tout au long de l’album, que ce soit en voix claire ou saturée (c’est même à prendre au pied de la lettre sur "Aftermath", où l’on a presque mal pour lui !). On a même droit à un growl très grave façon death metal, une première chez KILLSWITCH ENGAGE, sur le break de "Collusion". Comme sur leur excellent projet TIMES OF GRACE, il est bien secondé par Adam D, à tel point qu’il est parfois bien difficile de distinguer lequel des deux growle le plus fort, tant leurs voix s’accordent à merveille. Pour la première fois de leur carrière, les musiciens se sont retrouvés tous ensemble dans la même pièce pour la composition, et l’on sent une véritable unité entre eux. Ils se sont mutuellement stimulés pour donner le meilleur d’eux-mêmes. D’où cette urgence vitale qui imprègne tout le disque. On est bien évidemment sur le même schéma couplets agressifs / refrains accrocheurs tout au long de l’album. KILLSWITCH ENGAGE fait du KILLSWITCH ENGAGE, du metalcore originel, peut-être pas forcément original, mais diablement efficace. A commencer par les attaques de guitares qui laminent tout, la rythmique en furie qui ne fait aucune concession, sans oublier les soli, certes peu bavards, mais qui renforcent ainsi le propos. Les mélodies des refrains restent en tête, et viennent vous hanter même la nuit durant votre sommeil (génial "Forever Aligned", irrésistible "I Believe", "Discordant Nation", "Abandon Us"...). Si l’on reste sur des structures classiques, le rendu est moderne avec un traitement du son très actuel et surpuissant. Quelques petites surprises cependant, avec "Collusion" et "The Fall Of Us", qui frôlent le black/death avec leurs ambiances ultra virulentes, et "Broken Glass" au ton plus inquiétant avec son refrain rampant.
Jesse Leach distille presque toujours du positif dans ses textes, sauf lorsqu’il aborde le sujet délicat de son pays qui part en cacahuètes sur "Discordant Nation" : « Kill all your sympathy / In this discordant nation » (« Tuez toute votre compassion / Dans cette nation discordante ») Dans tout ce que nous faisons, que ce soit sur un plan politique, sociétal ou écologique, il nous faudra assumer les conséquences de nos actes. C’est le message principal de cet album. Mais, d’une certaine manière, le chanteur garde cette foi en l’humanité, cette conviction qu’il y a toujours une lumière quelque part, même dans les endroits les plus sombres, qu’après le pire, le meilleur va forcément suivre. "I Believe" est, à ce titre, l’un des morceaux les plus émotionnellement intenses de l’album : « Some people will say it's part of life / I chose to refuse to let it slide / Finding faith in these dark times / Keeping hope alive » («Certains diront que cela fait partie de la vie / J'ai choisi de refuser de laisser tomber / Trouver la foi en ces temps sombres / Garder l'espoir vivant ») Mais il ne faut pas pour autant se fier au ton presque pop de ce morceau, car il ne reflète pas vraiment la teneur bien plus brutale de ce nouvel album. Ainsi, "Forever Aligned", "Discordant Nation", "Collusion", "Where It Dies", "Abandon Us", "The Fall Of Us" et "Broken Glass" se chargent de la version agressive et violente, tandis que "I Believe" et "Aftermath" montrent le visage le plus mélodique du groupe, le tout dans un format très court, le plus long morceau ("The Fall Of Us") dépassant à peine les quatre minutes.
L’assaut se terminant sur "Requiem", avec son refrain entêtant et son joli solo de guitare, on se prend l’envie irrépressible de réenclencher la touche "play", tant cette grosse demi-heure passe à la vitesse de l’éclair. Mais aussi parce qu’il se dégage de « This Consequence », malgré les sujets graves qui y sont abordés, une énergie positive, une forme d’espoir qui brillerait à travers l’adversité, un optimisme contagieux particulièrement agréable en ces temps moroses. Pas sûr que le meilleur soit à venir, mais avec KILLSWITCH ENGAGE, on a envie d’y croire. Et c’est probablement sa plus grande force. Pas si mal pour un groupe en activités depuis plus d’un quart de siècle !