Aucun doute ne subsiste. Il est certain qu’après plusieurs écoutes attentives du onzième album d’ARCHITECTS, « The Sky, The Earth & All Between », cela relève de l’évidence : ARCHITECTS est un très grand groupe, de ceux qui tracent leur route au-delà des sommets et sont amenés à laisser leur marque indélébile dans le paysage sonore contemporain. Peut-on d’ailleurs encore parler de metalcore concernant ce groupe tant le brassage des genres abordés sur cet album est vaste ? Ce terme se montre en effet bien réducteur au vu de la diversité du propos, tant au niveau des sons que du chant de Sam Carter, qui livre ici une performance ahurissante, à la limite de la schizophrénie.
Alors que nous étions restés sur une version très mélodique avec les deux précédents albums, « The Classic Symptom Of A Broken Spirit » (2022) et « For Those That Wish To Exist » (2021), le groupe de Brighton nous prend soudainement à rebrousse-poil et nous balance toute sa rage dans les oreilles, histoire de bien nous faire comprendre qu’il se réserve la liberté de faire la musique qui lui plait, sans se soucier des commentaires bien souvent dispensables dont les réseaux sociaux l’abreuvent. Et quoi de mieux comme premier cri de révolte que ce "Seeing Red" révélé au public en décembre 2023 et interprété pour la première fois en concert à Paris en janvier 2024 ? Cri de révolte, oui, car cette chanson évoque précisément le comportement de certains prétendus fans qui se permettent insultes, réflexions stupides, commentaires désobligeants et conseils "avisés" sur la manière dont le groupe doit créer sa musique et gérer son image. Comme un pied de nez à tous ces furieux, ARCHITECTS prouve avec « The Sky, The Earth & All Between » qu’il n’est pas prêt de se conformer à l’image que certains voudraient lui coller sur la trogne. Le groupe s’autorise ici tous les excès, en poussant le curseur au maximum et en pratiquant l’autodérision comme peu savent le faire. Ainsi, certains moments peuvent sembler trop cliché, comme ce « Blegh » d’anthologie sur "Seeing Red", mais c’est purement volontaire. On y va à fond, que ce soit dans la violence brute ("Brain Dead", "Blackhole", "Whiplash"), la pop groovy ("Everything Ends", "Landmines"), la techno/électro ("Judgement Day"), l’émotion pure ("Chandelier", "Broken Mirror"), le tout saupoudré de mélodies et refrains imparables qui font céder les derniers barrages.
On est en présence d’un groupe qui explore toutes les facettes de sa personnalité, mariant avec délices le groove et les mélodies des deux derniers albums avec le metalcore abrasif des précédents. Ce que l’on appellerait la maturité en quelque sorte. Quand on a trouvé son chemin après quelques errances, on est plus sûr de soi. Cette certitude se ressent dès les premières notes de "Elegy", qui commence en douceur, pour nous prend à la gorge par surprise. Sam Carter se révèle exceptionnel du début à la fin, l’étendue de ses capacités vocales semble décuplée, naviguant avec aisance entre voix claire mélodique, chuchotements délicats, cris stridents, hurlements possédés et growls flirtant avec le death metal. Le tout sur les textes d’une profondeur vibrante écrits par Dan Searle (un batteur qui écrit pour son chanteur, voilà qui n’est pas commun !), mais les deux hommes se connaissent si bien que les sujets et les intentions fusionnent pour ne former qu’un tout, indissociable. Regards sans complaisance sur la société et sur notre environnement que l’on détruit progressivement et sans remords, telle la question qui taraude dans "Blackhole" : « Is today so hollow / If there were no tomorrow ?» (« Aujourd’hui est-il si creux / S’il n’y avait pas de lendemain ? »). Considérations personnelles et intimes aussi, sur la vie, sur les souffrances de l’âme, sur la mort, comme il a pu l’écrire auparavant sur le magnifique "Dying Is Absolutely Safe" issu de « For Those That Wish To Exist ».
On trouve cet art des mots, cette poésie, sur tous les titres. Par exemple, sur "Landmines" : « Like choking up the ocean / Don't set me off, 'cause I know myself / I'm close enough to broken / So come and cut me open / I could spеnd a lifetime skipping over landminеs » (« Comme pour étouffer l'océan / Ne m'énervez pas, parce que je me connais / Je suis assez proche d’être brisé / Alors venez et ouvrez-moi / Je pourrais passer une vie entière à sauter sur des mines »). Ainsi que sur le poignant "Chandelier" qui referme l’album, un pur joyau qui prend aux tripes : « Was I dead or was I dreaming? / I stopped breathing / When all I really needed was this feeling / No more lies if I disappear / Just one less light on the chandelier / If I begged you and I pleaded / I don't mean it / Nobody can hear the words that I'm screaming / No more lies if I disappear / Just one less light on the chandelier » (« Étais-je mort ou rêvais-je ? / J'ai arrêté de respirer / Alors que tout ce dont j'avais besoin était ce sentiment / Plus de mensonges si je disparais / Juste une lumière de moins sur le chandelier / Si je t'ai supplié et que j'ai imploré / Je ne le pense pas / Personne ne peut entendre les mots que je crie / Plus de mensonges si je disparais / Juste une lumière de moins sur le chandelier »)
Le disque doit s’écouter du premier au dernier morceau. C’est un cheminement, une réflexion, qui ne souffre pas de coupure. Il ne faut pas parler en terme de singles, car les chansons se répondent, s’entrechoquent, se complètent. Ainsi l’agencement fait sens. Si "Everything Ends" se retrouve coincé entre deux des morceaux les plus violents, "Blackhole" et "Brain Dead", ce n’est pas un hasard. ARCHITECTS revendique haut et fort ses couleurs, qu’elles soient pop ou punk-hardcore comme sur "Brain Dead" justement, qui accueille la participation de HOUSE OF PROTECTION, le projet un peu barjot des deux ex-FEVER 333 survoltés que sont Stephen Harrison et Aric Improta. Jordan Fish (ex-BRING ME THE HORIZON), qui s’est occupé de la production et a composé une partie des morceaux en compagnie de Sam Carter et Dan Searle, les a mis en relation pour un résultat d’une brutalité détonante. Au rayon des featurings, on croise aussi Amira Elfeky qui offre sa voix douce et sensuelle sur le techno/électro/pop "Judgement Day", à un Sam Carter qui lui répond à l’unisson. En outre, si la composition des morceaux est essentiellement axée sur les riffs directs et efficaces, on n’en apprécie que plus les deux soli de guitare d’un Adam Christianson inspiré sur "Blackhole" et "Evil Eyes", ainsi que la batterie ultra puissante de Dan et le groove monstrueux de la basse d’Alex Dean qui sont mis en avant dans le mixage. Si certains craignaient que la production de Jordan Fish ramollisse un peu l’ensemble, force est de constater qu’il n’en est rien, bien au contraire. Non, ARCHITECTS ne s’est pas mué en clone de BRING ME THE HORIZON. Il affirme même sa personnalité, multiple et fascinante. Et expose ses doutes, ses failles, ses forces, ses révoltes, son amour et sa colère.
Impossible de résister au groove infaillible de ces compositions. On apprécie autant les refrains addictifs de "Elegy", "Whiplash" et "Blackhole" avec leur final furibard, les incontournables "Curse" et "Seeing Red" qui rentrent dans le crâne, de gré ou de force, que le sautillant "Landmines", qui nous rappelle le génial "Little Wonder" (« For Those That Wish To Exist » - 2021), ou bien encore l’intensité émotionnelle de "Chandelier" et "Broken Mirror", et la folie furieuse de "Brain Dead" et "Evil Eyes". L’équilibre est trouvé, la cohésion est là. Le quartette nous caresse autant qu’il nous fustige, nous libère autant qu’il nous dompte. Et surtout, il nous donne tout. Amour et haine. Tout ce qui fait la complexité de l’être humain, sa bonté, sa générosité, mais également sa noirceur, sa crasse. Résumer cet album à une seule émotion serait extrêmement limitant. Il contient tout, effectivement : le ciel, la terre et tout ce qui se trouve entre les deux.