Préambule - Mercredi 18 juin...

Même si les portes de la cathédrale n’ouvriront que demain pour les concerts du festival, le Hellfest a prévu un comité d’accueil efficace pour les headbangers qui, comme moi, sont arrivés plus tôt. Dès ce mercredi, j’ai pu faire un tour au Hellcity Square, pour un peu de shopping sur les stands de l'Extreme Market, ou pour me restaurer au Metal Corner. J’ai été accueillie par la Gardienne des Ténèbres, qui a été révélée l’an dernier, postée ce soir devant une toute nouvelle arche d’entrée vers la Hellcity, les yeux fermés et la tête penchée vers le sol, comme endormie. C’est au Metal Corner que je découvre la nouvelle scène qui prend la place de la Fanzone : la Purple House, grande tente sombre surmontée d’une planète violette, qui accueille en son sein des jeux d’arcade, des stands d’animations avec des défis, mais surtout en son centre une scène circulaire piégée dans une cage, nous permettant de vivre un concert à 360 degrés. J’inaugure cette nouveauté avec le groupe JUMPING JACK, venu de Nantes pour nous proposer un stoner rock pêchu. Une fois un souci de sortie de son de guitare réglé, le trio nous présente un set très énergique et je vis ma première suée du week-end sous une tente à l’ambiance torride...
J’enchaîne ensuite avec la Hellstage, où Francis Mac Douglas (Gaël Mectoob pour les intimes) fera se défouler les metalleux enjoués avec sa traditionnelle "Queuleuleu", avant d’enchaîner avec son comparse Julien Ménielle pour le DJ-set barré d’AMICAL TENDENCIES. Au programme, des associations audacieuses voire improbables entre classiques du metal et rythmes électro, qui finissent par inviter les headbangers à se jeter dans un wall-of-death, prêts à en découdre pour la bagarre, et à finir dans les bras les uns des autres sur "Careless Whisper" de George Michael... Le temps de me restaurer, retrouver des amis, et déjà la journée s’achève. Demain les choses (presque) sérieuses commencent...
Jeudi 19 juin...
C’est sous un soleil de plomb que je passe les portes de la cathédrale pour enfin entrer sur le site du Hellfest. Après un passage au merchandising dans l’impressionnant bien-nommé Sanctuary, je vois la deuxième partie du set de MISþYRMING sous la scène Temple, ce qui me permet de commencer le festival par une belle découverte. En effet, les Islandais se présentent tout de noir vêtus, le corps-paint de peinture luisante noire et rouge, pour une apparence brutale et guerrière qui fait totalement écho à leur black metal à la forte violence bestiale. Le public ne s’y trompe pas, et je partage l’engouement de ce set qui ramène à des émotions dépouillées.
Je n’ai plus qu’à me décaler sur la scène voisine, l’Altar, à 18h pour le set des Allemands MENTAL CRUELTY. Après une décennie d’activité, le groupe a vu son style évoluer progressivement au gré des line-up d’un slam death brutal à un deathcore qu’on pourrait qualifier de symphonique, avec la belle présence de nappes d’orchestration. J’ai à peine le temps de scruter l’énorme logo blanc du groupe, impressionnant et en toute logique peu lisible, que les challengers arrivent. Ces bénévoles seront là pour réceptionner les headbangers en fin de slam, et je comprends que le set ne va pas tarder à commencer.
Si le kit de batterie de Danny Straßer peut paraître très humble à l’échelle de l’Altar, je pourrai par la suite constater son efficacité redoutable digne d’un rouleau compresseur sur "Kings ov Fire" par exemple. Ce qui me frappe avec ce groupe, c’est la volonté de prendre totalement la direction du set, les membres instrumentistes nous tournant le dos le temps d’une bande son d’introduction (sur le titre "Midtvinter"), avant l’arrivée du chanteur Lukas Nicolai. Lorsqu’ils se retournent d’un bloc et que "Obsessis a Daemonio" débute, ils viennent nous haranguer et communiquer une forte énergie conquérante. Malgré la chaleur écrasante, la foule répond à chaque invective de Lukas qui enchaîne avec fluidité d’impressionnants growls et de beaux cris aigus. Je note aussi le sublime chant clair du guitariste, alors qu’il nous est demandé de sauter en l’air. Le set se déroule sans temps mort, entre slams et circle-pits débridés, pendant que Lukas porte la main à son front pour mimer des cornes, ou se frappe la poitrine du poing à plusieurs reprises, comme possédé par son interprétation. En conclusion de ce set intense mettant en avant le dernier album du groupe, « Zwielicht », sorti en 2023, Lukas nous demande d’allumer les lumières de nos téléphones pour accompagner "Symphony Of a Dying Star". Un peu de poésie sur une bande son brutale !

Je me dirige à présent vers la Mainstage 2, pour assister au set de Kim Dracula. Si je suis peu familière de la discographie de cet artiste, je suis curieuse d’entendre ce qu’il peut proposer, lui qui est originaire de Tasmanie et que j’ai découvert comme beaucoup sur les réseaux sociaux grâce à sa version sombre de "Paparazzi" de Lady Gaga.
Alors qu’une bande son déclame une série de mots dans le registre des difficultés, de la résilience et de la reprise de pouvoir, je vois arriver sur scène Kim Dracula, vêtu d’un costume rappelant un commandant, cheveux blonds platine, maquillage appuyé jusqu’à un rouge à lèvres criard. Mais la surprise vient surtout du son ! "Land Of The Sun" démarre par des gros riffs de guitare agressifs, accompagnés par des blasts de batterie, au service d’une voix typée nu-metal, ce qui éteint instantanément tout début de questionnement sur la raison de la programmation de cet artiste à l’affiche du Hellfest.
Pas le temps pour autant de s’acclimater que le titre bascule déjà sur un rythme samba, comme une sorte de morceau dans le morceau, avant que le metal ne reprenne le dessus comme une pensée intrusive. Les forces semblent s’équilibrer entre le saxo, le chant un peu pop à la voix chaude de baryton et les accords sombres derrière, pour un côté Ricky Martin possédé assez déroutant. Je ne peux qu’admirer la capacité de l’artiste à sauter d’un registre vocal à un autre, entre chant mélodique et accrocheur et growls dignes des gobelins du deathcore. Sur "Superhéros", notre chanteur propose une ambiance funky sur laquelle son rap sait se faire rapide et saturé à la fois, avant qu’un beau moment de chant s’organise avec les harmonies de la bassiste et du guitariste en appui. Le clou de cette chanson sera la note aiguë très typée heavy à l’ancienne (coucou IRON MAIDEN), qui laisse admiratif.
Je trouve à "Drown" une ambiance telle que je les aime sur les titres de feu Lil Peep, entre noirceur et trap avant l’arrivée d’un riff, alors que Kim Dracula continue une interprétation habitée en titubant dans une chorégraphie de faux malaise. Les interactions avec le public sont assez généreuses, il nous appelle au chaos, et je peux voir qu’autant une partie des gens autour de moi est en découverte totale, autant une autre non négligeable est acquise à la cause. Et ce n’est pas le début de "Paparazzi" qui va éteindre l’incendie, bien au contraire ! Le public reprend les paroles, et sera également invité à le faire sur "Make Me Famous", alors que Kim nous gratifie d’un « Bonjour » ironique avant le dernier morceau qu’il annonce comme notre ultime chance de montrer de quoi nous sommes faits sur un beau circle-pit. Le "diable de Tasmanie" se déchaîne pour un set finalement très musclé. Seul bémol pour mes voisins et moi, la caractéristique même des morceaux rend l’ensemble assez décousu, tant nous sautons d’une idée à l’autre sans cesse, mais ça fait aussi l’originalité de l'ensemble et donne envie de découvrir la trajectoire de cet artiste sans limites dans les prochaines années.

Me voilà de retour sous l’Altar pour le set de FIT FOR AN AUTOPSY. Je ne le sais pas encore à ce moment-là, mais je vais vivre un de mes sets préférés du week-end, alors que les Américains entrent en scène sur une intro plutôt solennelle. Ils sont concentrés, le temps d’un instant suspendu et... ça part très fort avec “Lower Purpose”, issu du dernier album du groupe « The Nothing That Is », sorti en 2024. Le public reprend les paroles, je suis frappée par la puissance nette d’un deathcore sans merci, alors que le guitariste Will Putney grimpe sur l’estrade qui s’élève à l’avant de la scène. Les têtes hochent en rythme, et alors que le chanteur Joe Badolato exprime sa gratitude que le groupe prenne part à son premier Hellfest, un wall-of-death s’organise déjà spontanément ! Le son est très lourd, entre breakdowns dantesques et chant fédérateur, pendant que de nombreux festivaliers slamment en direction de la scène. Sur "Black Mammoth", Joe exige le plus gros des circle-pits, et à la fin du morceau, nous l’encourageons de « hey, hey » poings fermés et bras qui fendent l’air. "The Sea Of Tragic Beasts" me rappelle un croisement heureux entre MESHUGGAH et GOJIRA, alors que "Savior Of None / Ashes Of All" me cueille avec un sublime chant clair. La guitares n’est jamais en reste, tant les soli se succèdent, comme sur "Hostage" par exemple, et je me souviens pourquoi Will Putney est autant sollicité pour produire la musique de grands noms du moment (NORMA JEAN, STRAY FROM THE PATH...), tant ce set est d’une clarté totale tout en offrant une expérience violente à souhait. Joe nous rappelle que ce moment marque la première venue de FIT FOR AN AUTOPSY à Clisson, et je suis persuadée que ce n’est pas la dernière !

Il est presque 22h, toujours sous l’Altar maintenant comble, quand débute le set des Ukrainiens JINJER. Tout le monde n’a visiblement pas pu venir se masser sous le auvent, à en juger les messages de mes amis qui se sont laissés surprendre par l’affluence et qui devront se contenter des écrans extérieurs, voire juste d’un son lointain. Alors que le logo de JINJER s’estompe et que les lumières baissent, la clameur des fans retentit et les musiciens font leur entrée seuls, sans la frontwoman, et "On The Top" commence. Je constate que des images sont diffusées sur l’écran derrière le groupe, dans une belle synchronisation avec le rythme du morceau, et c’est alors que Tatiana Shmayluk entre enfin sur scène, avec un chemisier blanc, un corset, une jupe asymétrique et des gants en dentelle. La patronne vient aux affaires ! Elle nous gratifie d’un « bonsoir » et demande à entendre nos voix. Nous tapons des mains sur le passage calme de la chanson (de courte durée), alors que je me fais la réflexion que la caisse claire a toujours ce son sec si reconnaissable.
Le set fait la part belle ensuite aux titres phares du dernier album, avec "Duél" accompagné d’images d’yeux et de munitions en cascade, puis "Green Serpent" évoquant les addictions et enfin "Fast Draw" le bien nommé tant son tempo est asphyxiant. Ce titre sert de support à une enfilade de slammeurs qui remontent du fonds de l’Altar alors que le mot "draw" est mis en avant à l’écran. Pour autant, le groupe n’oublie pas de rappeler au bon souvenir des fans les singles cultes de sa discographie avec "Teacher, Teacher" ou "Perennial", alors que "Judgement & Punishment" est interrompu et repris du début pour nous donner une chance de réagir plus violemment. Pendant "I Speak Astrology", Tati nous qualifie de "sweethearts" et s’assure que nous sommes toujours en vie. Le set s’achève sur l’incontournable "Pisces", illustré par une animation de poissons sur l’écran, dans la joie la plus totale ! J’ai adoré ce set, et l’enthousiasme de Tatiana, active sur tous les fronts, a fait très plaisir à voir.

Il est minuit quand débute sous l’Altar le set de WHITECHAPEL. Si j’ai rapidement glissé une oreille du côté des mainstages pour écouter de loin "Blind" de KORN, j’ai choisi l’option deathcore pour ma fin de soirée. Je suis accueillie par une sublime image sur l’écran en fond de scène dont l’esthétique se rapproche de celle de la pochette du dernier album des Américains, « Hymns In Dissonance », avec ses sortes de prêtres occultes aux masques menaçants mi-humanoïdes mi-cervidés. L’Altar est bien remplie, compte tenu de la concurrence sur le créneau, et le set démarre très directement avec "Prisoner 666", qui remporte immédiatement l'adhésion d’un public prêt à en découdre. Je suis immédiatement soufflée par la performance vocale de Phil Bozeman, qui se montre impérial de puissance et d’agilité.
Les musiciens qui l'accompagnent ne sont pas en reste, entre les blasts assassins, le groove indéniable ou les guitares qui savent se faire tour à tour rageuses ou lancinantes. Nous avons affaire à des pointures et Phil nous promet un set fait de « nouveau, d’ancien et d’entre deux » avec par exemple "Forgiveness Is Weakness" (2019) suivi de "A Visceral Retch" (2025). Un interlude musical instille une ambiance tribale, avant que Phil ne revienne sur scène affublé du masque rappelant un cerf monstrueux, alors qu’il adopte une posture de gourou, rappelant la thématique de l’album. Nous adhérons au culte, enjoints à faire du « putain de bruit », et le set reprend de plus belle. En entame de "Diabolic Slumber" Phil nous reparle de l’album récent, les lumières virent au rouge et il se frappe la poitrine, alors que les guitares hurlent. Notre nouveau maître à penser nous réclame de muscler notre jeu pour le tout dernier morceau du set, l’immanquable "The Saw Is The Law". Nous nous exécutons, ses désirs étant des ordres.

J’ai à peine le temps d’un sprint pour traverser le site et rallier ainsi la Warzone pour le set de TURBONEGRO. La Warzone est une scène magnifique, enclavée entre des miradors et des panneaux en corten oxydé, dont le ton rouille est magnifié par les lance-flammes dès que la nuit tombe. Je ne connais pas bien le groupe que je m'apprête à voir, mais c’est quelque chose qui me plaît dans un festival, à savoir se laisser tenter par un descriptif et faire des découvertes, même tardive dans le cas présent. En effet, TURBONEGRO est un groupe affichant plus de 35 ans d'existence, venu de Norvège pour nous proposer un rock punky. Le look est globalement kitsch à souhait, voire carrément outrancier pour le chanteur Tony Sylvester qui combine avec brio une casquette de policier en cuir noir luisant, un t-shirt de hockey et un maquillage dégoulinant des yeux aux lèvres. Je remarque dans le public de nombreux spectateurs avec des bonnets de marins floqués au nom du groupe, et je me renseigne : les fans du groupe se retrouvent sous l’étendard de la "jeunesse turbo" ou Turbojugend. Alors que retentit "Hurry Up And Die", le public assure les chœurs avec entrain et ne se fait pas prier pour taper le rythme avec ses mains. Le titre "Rocknroll Machine" remporte la même ferveur et le chant s’intensifie encore pour "Hot For Nietzsche" et son solo guilleret. La guitare nous gratifie également d’un beau solo sur "Selfdestructo Bust". Pendant "City Of Satan", un drapeau noir avec le dessin du bonnet emblématique flotte dans les airs...
Tony annonce la fortune du groupe, qui aurait vendu une application de "stupidité réaliste" à Elon Musk pour la modique somme de « un zillion de dollars », avant d’entamer "Zillion Dollar Sadist" et de conclure le set par "All My Friends Are Dead". Super moment, TURBONEGRO est un groupe qui ne se prend pas au sérieux tout en se donnant musicalement, et qui sous ses airs de bande de gentils blagueurs assène une musique efficace à l’énergie communicative !
Ainsi s’achève mon premier jour de cette édition "out of bounds", le cadenas est ouvert, déchaînement enclenché pour le vendredi... compte-rendu à suivre !