
Quand il n’y en a plus, il y a KADAVAR ! Il y a six mois, le groupe berlinois sortait l’album « I Just Want To Be A Sound » qui marquait un changement radical : le trio est devenu quartette et le style musical s’est adouci. À peine six mois plus tard, KADAVAR sort un nouvel album intitulé « K. A. D. A. V. A. R. ». Sobre et lourd de sens à la fois, il marque un nouveau départ pour le groupe. Nous en avons discuté avec Christoph "Tiger" Bartelt, batteur et membre fondateur de KADAVAR, au cours d’un entretien.
Votre nouvel album s’intitule « K. A. D. A. V. A. R. », ce qui signifie « Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin » (« Des enfants qui renoncent à leur destin parmi la vanité et la ruine », ndlr). Qu’est-ce qui fait que vous vous voyez ainsi ?
Christoph "Tiger" Bartelt : C’est un jeu de mots qui correspond au thème de l’album en tant que doomsday record. Le titre implique que nous observons ce qu’il se passe dans le monde et que ça provoque en nous une peur de l’avenir, alors que nous ne sommes encore que des enfants. Une partie de nous continue d’avoir de l’espoir et une autre partie de nous n’arrive pas à croire ce qu’il se passe. Voir l’enfant qui est en nous doit faire face à une potentielle fin du monde crée une tension qui montre les deux aspects de la place qu’on occupe au milieu de tout ça.
Cet album, notamment à travers le titre "You Me Apocalypse", parle de l’apocalypse et de la fin du monde. De manière générale, comment cet album réagit-il aux événements du monde ? Est-ce qu’on doit l’interpréter comme un album chargé d’angoisse ou bien qui cherche plutôt à s’éloigner de cette angoisse pour préserver la joie ?
C’est un peu des deux. Il y a tout un spectre entre les deux. C’est plus proche de la peur et de la tension, l’album essaie de mélanger toutes ces idées selon lesquelles tout se passe de la pire des façons en ce moment et on a l’impression d’être plus proche de la fin qu’il y a dix ans. Et en même temps, je dirais que tous les sujets abordés sur cet album ne sont pas aussi sérieux : la palette de ce qui vient à l’esprit quand on pense à l’apocalypse s’est élargie, ça se manifeste d’une façon différente dans chaque chanson.
Dans le monde actuel, qu’est-ce qui vous fait penser que l’apocalypse est proche ?
Peut-être la peur de perdre la communauté à laquelle on appartient. Le fait que les communautés ne soient pas des réseaux suffisamment sûrs dans nos sociétés. Je dirais aussi : le côté impitoyable du monde, la politique et les politiciens comme Donald Trump. Le fait de dire des choses absolument horribles à voix haute, à un tel rythme et dans de telles proportions qu’on finit par franchir un palier dans l’horreur et dans ce qu’on perçoit comme horrible. C’est très dangereux. Ce sont les éléments principaux, mais plus j’y pense, plus il y a d’éléments qui me viennent en tête pour répondre à cette question. Il y a des possibilités infinies, dans notre monde très mondialisé, de perdre le lien avec ses racines.
Tu as dit que l’album était déjà contenu dans son prédécesseur, qu’il était comme un négatif de « I Just Want To Be A Sound ». Est-ce que ça s’applique aussi au processus de composition ? Avez-vous écrit les chansons des deux albums en même temps ?
Je dirais que l’album « I Just Want To Be A Sound » était une expérience pour nous. Quand on essaie d’écrire des chansons très belles et un peu plus pop, on explore le thème de l’esprit de façon un peu plus personnelle que ce qu’on a fait avant, donc c’était une expérience assez folle pour nous. Je pense qu’il y avait déjà l’empreinte de chansons un peu plus heavy qu’on n’a pas choisies pour cet album. On voulait qu’il soit vraiment lumineux et assez conceptuel en ce sens. Donc certaines des chansons vraiment heavy n’auraient pas correspondu à cet album, comme "Lies", "The Children" ou "Total Annihilation" par exemple. Une fois qu’on a fini d’écrire « I Just Want To Be A Sound », je dirais que la gravité des riffs nous a rappelés à elle, on a eu vraiment envie de revenir à des sons plus heavy.
Vous avez annoncé la sortie de « K. A. D. A. V. A. R. » le 28 août, quand le single "Lies" est sorti, pour le 7 novembre, alors que votre dernier album est patu en mai dernier. Comment avez-vous fait pour aller aussi vite ?
Je pense que c’est en partie parce qu’en 2022, Jascha nous a rejoints (ndlr : Jascha Kreft, membre du groupe allemand ODD COUPLE, a rejoint KADAVAR en tant que deuxième guitariste). Ça nous a pris deux ans pour finalement trouver un fonctionnement qui nous convenait en tant que quartette. « I Just Want To Be A Sound » a été le premier jalon de ce fonctionnement. Quand on a fini avec cet album, on a continué d’écrire et d’explorer les idées qu’on a eues. On ne s’est pas vraiment arrêté pour faire une tournée ou un concert. On a notre propre studio donc c’était plutôt facile de continuer à travailler. Donc c’est ce qu’on a fait, on ne s’est juste pas arrêtés.
Est-ce que le fait que tu sois aussi le producteur du groupe a favorisé ce processus ?
Oui, bien sûr ! C’est aussi dans ce sens que « I Just Want To Be A Sound » était une expérience pour nous : on a travaillé avec le producteur Max Rieger (ndlr : chanteur et guitariste du groupe allemand DIE NERVEN), une personne qui nous a apporté un œil extérieur, une forme de nouveau regard qui nous a apporté de nouvelles perspectives sur la façon dont on allait faire cet album. Et à la fin du processus, on est presque tombés amoureux de cette façon d’enregistrer, plus rugueuse, comme on le faisait avant. Ça nous semblait être la meilleure manière d’enregistrer ces chansons : c’était plus facile et plus rapide.
Vous avez dit que vous étiez fatigués du rythme que vous aviez, particulièrement des tournées que vous faisiez dans le monde entier. Comment cet album vous a-t-il aidé à vaincre cette lassitude sans pour autant vous reposer ?
Parfois, on a besoin de faire les choses différemment pour recommencer à sentir l’énergie que ça nous apporte. Je pense que cet album nous a permis de nous reconnecter à cet aspect du groupe. Je dirais qu’on a mis un terme à la phase d’expérimentation, même si on n’arrête jamais complètement de faire des expériences. Depuis l’album « Isolation Tapes », on a beaucoup expérimenté et on a fini par revenir à ce qui fonctionne vraiment pour nous.
Notamment parce que vous avez enregistré « K. A. D. A. V. A. R. » sur cassettes, comme vous l’aviez fait avec « Isolation Tapes » ?
Oui, c’était un peu la même technique de production. La différence principale, c’est qu’on a accordé beaucoup plus d’attention à notre performance pendant l’enregistrement, surtout à la puissance qu’on y a mise. C’était très important pour moi.

« I Just Want To Be A Sound » parlait des conflits internes, « K. A. D. A. V. A. R. » parle de la fin du monde et un troisième album doit arriver bientôt. Que peux-tu nous en dire ?
Honnêtement, la meilleure chose à faire actuellement me semble être d’attendre un peu. On a besoin de recharger un peu nos batteries avant de penser à ce troisième album. Actuellement, on est en tournée et on a été très souvent ensemble tous les quatre cette année. Maintenant, c’est important qu’on se régénère un peu avant de retrouver l’inspiration. Donc actuellement, je ne sais pas encore.
Je comprends, vous en êtes à votre deuxième tournée cette année, ça fait beaucoup...
Oui, et parfois ça fait du bien de ne pas penser à quelque chose jusqu’à ce que l’inspiration revienne.
Vous avez déjà une idée des thèmes, de l’ambiance peut-être ?
Ce que je ressens maintenant, c’est que je réfléchis beaucoup après chacun de nos concerts. J’aime beaucoup retrouver ce sentiment qu’on a quand on joue de nouveaux morceaux, j’ai l’impression que c’est toujours pareil : on écrit quelque chose, on le joue devant un public et on sent ce qui change et ce qui marche vraiment bien. Je crois que ce sont ces interactions avec le public qui m’inspirent et m’aident à réfléchir à ce que je veux faire sur l’album suivant. C’est la façon dont on crée cette énergie dès le travail en studio : parce qu’on imagine ce que ça va donner sur scène. Ça repose beaucoup sur les interactions qu’on a quand on joue ensemble, faire en sorte que le prochain album soit focalisé sur cet aspect.
Ça s’est vu pendant votre concert à Paris ! Quand vous avez joué les nouveaux morceaux comme "Total Annihiliation" et "Lies", c’est comme si ça vous avait complètement boostés !
Je crois que le concert à Paris était vraiment spécial. Ça m’a fait réfléchir et ressentir beaucoup de gratitude. On vient à Paris depuis si longtemps ! Je crois que ça fait quasiment quinze ans. Et on a enfin pu jouer dans l’une de ces si belles salles de Montmartre. Ça faisait des années qu’on espérait pouvoir faire un concert comme celui-ci. C’était un moment vraiment spécial pour nous.
Certaines chansons de l’album « K. A. D. A. V. A. R. » font penser à d’autres, issues de votre tout premier album « Abra Kadavar ». Pourtant, l’un de vos objectifs, avec l’album « K. A. D. A. V. A. R. », est de vous reconnecter à vos racines, mais de le faire en tant que quartette. Comment parvenez-vous à trouver l’équilibre entre l’exploration et la recherche permanentes, et la fin de cette recherche ?
Je crois que c’est une question qui se repose pour chaque album. Mais maintenant, on a ce fonctionnement cyclique où on refait le lien avec une version plus jeune du groupe et la raison pour laquelle on a commencé à faire de la musique. C’est la fin d’un voyage expérimental : on assimile tout ce qu’on a appris et on continue à l’utiliser dans un contexte plus familier. L’exploration et la reconnexion. C’est comme ça qu’on garde l’équilibre.
Ça fait maintenant trois ans que Jascha vous a rejoints. Comment avez-vous trouvé un équilibre qui vous convienne à tous en tant que groupe à quatre musiciens ? Quels sont les obstacles que vous avez dû surmonter ? Et, comme vous avez aussi présenté cet album votre deuxième album initial, est-ce aussi un moyen d’affirmer la place de Jascha parmi vous ?
Oui, c’est forcément un peu le cas. Le premier album qu’on a fait ensemble était très marqué par ce besoin de trouver un socle commun, apprendre à se connaître. On était tous les trois très heureux que Jascha nous rejoigne avec toutes ses idées. Ça nous a en quelque sorte donné un nouveau souffle. Faire partie d’un groupe est quelque chose de très intime et ça peut prendre du temps de comprendre comment fonctionnent les choses. J’essaie de me souvenir de difficultés qu’on a pu rencontrer, mais je crois que la transition a été très fluide une fois qu’on a appris à se connaître. Je crois que tout le monde a beaucoup apprécié cette opportunité. On a commencé en faisant une tournée ensemble, ensuite on a fait un album après tous ces kilomètres parcourus. C’était très organique. Et ça ne fait qu’aller de mieux en mieux !
Pour revenir sur votre concert à l’Élysée Montmartre, c’était un moment très fort mais très différent du dernier concert que vous avez donné à Paris : les lumières étaient plus fortes, le son était plus agressif, et surtout, vous étiez sur une scène beaucoup plus grande. Si vous aviez un budget illimité et la possibilité de faire le concert de vos rêves avec la scénographie idéale, à quoi cela ressemblerait-il ?
C’est une question intéressante parce que, dans la vraie vie, c’est très différent. On ajoute des éléments petit à petit au fil du temps. Je pense que pour moi, le concert parfait grandit au fil des expériences. Je crois que la seule façon de l’envisager est d’y penser comme quelque chose d’organique qui grandit petit à petit. Je pense que j’aurais peur de vivre le concert parfait trop vite. J’ai besoin que ça soit imparfait.
