29 mai 2014, 21:27

NINE INCH NAILS @ Paris(Le Zénith)

Toutes les splendides photos de Marjorie nécessitaient bien un petit texte d’accompagnement : ça tombe bien, nous étions aussi au Zénith de Paris jeudi 29 mai pour l’un des deux shows français de NINE INCH NAILS.

Impossible de louper un nouveau passage du groupe, après les avoir revu à Rock en Seine l’été dernier, quelques jours avant la sortie de leur dernier album “Hesitation Marks” - show à Bobo-Land qui avait complètement atomisé le festival francilien, se posant de toute évidence comme le meilleur concert du week-end. A nouveau en tête d’affiche dans un Zénith apprivoisé depuis déjà une quinzaine d’années, et même avec un dernier album finalement plutôt bancal et décevant passé l’excitation de la découverte, NINE INCH NAILS suscitait toujours autant l’enthousiasme et la curiosité de tous ses fans...

A peine le temps de descendre quelques bières au bistrot d’en face, que nous arrivons au Zénith en constatant que ça gronde et bourdonne déjà à l’intérieur : « merde, COLD CAVE joue encore ? » Nous n’étions pas plus curieux que ça de découvrir ce groupe sur les planches - mais dans le doute, nous accélérons le pas dans les coursives, vides, pour se rendre compte que NINE INCH NAILS joue déjà depuis 5 minutes : il est 20h34. Pour des vieux de la vieille comme nous, c’est l’interrogation : il n’y a pas école le lendemain pour nos gueules burinées, alors pourquoi démarrer si tôt ? Bref, nous aurons loupé “Me, I’m Not”, et c’est donc au son de “Copy Of A” que nous nous installons, devant une scène pour l’instant masquée par un grand rideau noir, le groupe démarrant ainsi son concert avec un minimalisme quasi-jésuite qui tranchera fortement avec la suite, éblouissante... Lorsque le masque tombe, la batterie métronomique annonce l’irrésistible “The Beginning Of The End” tiré de “Year Zero”, et assurément l’un des meilleurs morceaux de la deuxième partie de carrière du projet de Trent Reznor. Pourtant, avant qu’il ne joue ce soir “Survivalism” - son enchainement direct sur le même album - le gourou offre aux fans ardents une première incartade de choix dans “The Downward Spiral”, avec pas moins de trois titres phares : le fiévreux et épileptique “March Of The Pigs”, “Piggy” et un “Reptile” terrassant, faisant passer le plus heavy des morceaux de GODFLESH pour un dance-remix de KAJAGOOGOO. La première grosse gifle de la soirée, tant tous les fanatiques de NIN resteront assommés par une telle expérience sonore, comparable à la compression d’une lourde presse dans une aciérie blindée d’écho. Enfin je me comprends.

Suivent “Gave Up”, brulot ardent issu de “Broken”, le méga-hit générationnel “Closer” repris par toutes les gorges en feu de la fosse jusqu’aux gradins, puis un “Sanctified” repensé, plus moderne et direct que sa version synth-pop gothico-cold wave de “Pretty Hate Machine”, reposant toutefois sur cette même ligne de basse arachnéenne et obsédante - un très beau triptyque pour les fans de la première heure...

Trent Reznor n’a cependant plus rien de la figure christique des années 90 : exit le jeune homme aux cheveux de jais, aux guenilles post-apocalyptiques aussi poudrées que ses nasaux, aussi prostré qu’explosif et qui délivraient des shows dangereux, border-line, auto-destructeurs et complètement imprévisibles - franchement pas un truc de hipsters à l’époque. Trent Reznor succédait alors à Kurt Cobain au poste de gourou d’une jeunesse désenchantée et avide de sensations extrêmes aux US, nouveau mentor d’un David Bowie en pleine mutation industrielle et homme de l’ombre d’un certain Antéchrist Révérend, à l’aube de son avènement. Ecouter NINE INCH NAILS entre 1992 et 1995, c’était hautement subversif, à l’image de son chanteur, self-made man autocratique et seul responsable du son de son projet cathartique. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, Trent Reznor est quasiment débarrassé de ses démons, devenu un talentueux musicien oscarisé pour ses compositions de musiques des derniers films de son pote David Fincher, un heureux père de famille affichant une hygiène de vie straight-edge, aussi regonflé à bloc que ses biceps fortement travaillés avec coach dans sa salle de gym climatisée. Crâne rasé, apaisé et plus grand chose de névrosé ni d’instantanément inflammable, Trent n’est désormais là que pour sa musique qu’il désire visiblement la plus expérimentale possible - au grand dam de nombreux fans déçus qui lui reprochent soit un retour flagrant vers le DEPECHE MODE de ses jeunes influences, ou vers une electro codée et bien trop hype pour les amateurs de gros bruit blanc, composante majoritaire de son très large public.

A mi parcours de cette soirée, Reznor ouvre justement une longue parenthèse plus ouvertement electro et ambient, qui en fera bailler certains, râler d’autres qui reprocheront l’aspect ultra-pop et commercial des dernières orientations du groupe, et néanmoins fasciner l’ensemble du Zénith par les effets de lumière et de projections 3D qui maquillent le devant ou l’arrière de la scène, compensant visuellement ce que la musique peut perdre en intensité pendant un assez long moment. Il faut donc particulièrement souligner l’importance du light show ingénieux et complètement bluffant d’inventivité, qui outre des projecteurs dernier cri et en constante agitation, se résume à un rideau mobile, à la fois pratiquement transparent et constellé de milliers de leds servant d’écran panoramique pour toutes les expérimentations graphiques qui viendront poser des ambiances hallucinantes et singulières sur chacun des morceaux de la soirée. Clips divers, images choc, distorsions parasitées, backgrounds lumineux, animations architecturales et délires graphiques qui n’ont d’équivalent que la robustesse d’une sono à plein volume et d’une clarté exemplaire.

“Disappointed” aurait ainsi eu sa place dans un club chic et branché, suivi d’un deuxième extrait immédiat de “Hesitation Marks” - “Find My Way” qui, s’il prend de l’ampleur sur scène grâce à son interprétation aérée et intimiste, ne masquera pas pour autant toutes les mauvaises impressions laissées par ce dernier album d’une rare faiblesse - seule une poignée de titres aura gagné le coeur des plus tolérants et acharnés, les autres déploreront l’absence de guitares et de sonorités plus agressives. Plus vigoureux, “The Warning” s’avère plus excitant avec ses rythmiques samplées, parasitées et saturées, sa ligne de basse hypnotisante et en fin de course un riff sec de guitare complètement obsédant et électrique distillé par ce givré de Robin Finck (et pas Thicke : hey hey hey !), géant sado-masochiste et déglingué fidèle lieutenant à son maître depuis plus de vingt ans, époque où il se faisait gentiment pomper le dard par Marilyn Manson lors de l’une fameuse et excessive tournée commune... Derrière, le brouillon “The Great Destroyer” n’apporte strictement rien, laissant Trent jouer avec sa console et dispenser une leçon dub-step aussi insipide que brouillonne : assurément l’un des gros gros passages à vide de la soirée.

Heureusement, les plus sceptiques, déçus et assoupis d’entre-nous viendront vite se ressaisir dès l’entame de “Eraser”, l’un des plus fabuleux morceaux de l’ère "Downward Spiral" : asséné par un martèlement rythmique de sourd, ce titre culte monte en puissance avec ses dissonances hypnotiques jusqu’à un climax d’une rare agressivité, toutes guitares et hurlements dehors : « Lose Me ! Hate Me ! Smash Me ! Erase Me !... » : probablement le moment le plus violent de la soirée avec bien-sûr l’énorme “Wish”, way back in 1992, qui le suit de très près. Enfin, « violent », tout est relatif : si jadis l’EP “Broken” rivalisait avec le “Psalm 69” de MINISTRY question indus abrasif, l’interprétation d’un de ses titres aujourd’hui est néanmoins un brin plus lisse en comparaison... bien moins aliénant et incontrôlable qu’à une certaine époque bénie... mais niveau groove et refrains pop, rien ne pourrait ici surpasser l’enchainement “The Hand That Feeds” et “Head Like A Hole”, deux énormes tubes très attendus qui rendent le Zénith complètement dingue.

Acclamé, Reznor et ses mercenaires reviennent sur le seul extrait de “The Fragile” de la soirée avec un “The Day The World Went Away” qu’on aurait jamais imaginé être interprété pour un rappel... heureusement est-il très, logiquement suivi par la chanson la plus poignante de son répertoire, un “Hurt” forcément très émotionnel dont les passages les plus susurrés se font dans un respect et un silence total, alors que le dernier accord vient pourfendre cet intime instant de recueillement fragile dans une déflagration de guitare noisy...

Un concert immense en terme de set-list et de niveau visuel : tous les shows pharaoniques des KISS ou RAMMSTEIN risquent peut-être d’en pâtir quelque peu dans notre inconscient tant la magie a bien opéré ; si la scène était finalement relativement petite et peu profonde, elle fut incroyablement mise en valeur par ces nouvelles technologies de pointe - en attendant un éventuel DVD venant retracer ces bien belles ambiances, vous pourrez retrouver sur YouTube le show HD de Niigata lors du Fuji Rocks Festival au Japon ler 26 juillet 2013 et ainsi vous replonger sur grand écran dans un de ces rares concerts aussi conceptuels que transcendants.

Galerie complète du concert dans le portfolio de Marjorie Coulin.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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